Damon KNIGHT Titre original : Natural State, 1954 Première parution : Galaxy Science Fiction, janvier 1954ISFDB Traduction de Xavier KEMMLEIN
LE PASSAGER CLANDESTIN
(Paris, France), coll. Dyschroniques Date de parution : 25 juin 2019 Dépôt légal : 2ème trimestre 2019, Achevé d'imprimer : juin 2019 Réédition en volume indépendant Nouvelle, 160 pages, catégorie / prix : 10 € ISBN : 978-2-36935-085-9 Format : 11,0 x 17,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Une version "augmentée" de cette novella paraîtra en 1959 sous le titre "Masters of Evolution" (non traduite). Design de couverture : Xavier Sebillotte.
En 1954, Damon Knight imagine un monde où l’humain s’émancipe de la machine pour vivre en symbiose avec la nature.
[Texte de l'éditeur]
2064. Trente ans plus tôt, le monde moderne, électrique, industriel et mécanique, a bien failli disparaître. Seules 22 mégacités sont parvenues à préserver, coûte que coûte, ce mode de vie. Face à elles ? Les Bourbeux ! Une civilisation rurale et tribale dont les techniques sont issues d'une coopération avec la nature. Lorsque le grand New York vient à manquer de métaux, ses dirigeants envoient un émissaire à la Campagne, pour troquer ses gadgets sophistiqués contre des matières premières. Damon Knight, dans ce récit truculent de 1954, nous dit que l'avenir de l'humanité -et de la nature dont elle dépend- passe par une relation symbiotique entre les deux. Une sortie d'utopie à rebours de certaines idées où la modernité se construit dans un équilibre fragile entre science et nature.
À première vue, on pourrait croire à un récit basé sur l’opposition entre la ville et la campagne, sujet de rédaction bien connu des collégiens. Le contexte est ici poussé jusqu’à la caricature, avec d’une part des villes-États à l’image de Sparte ou d’Athènes, prospères, hyper technologiques, et une ruralité composée de Bourbeux forcément sales et malodorants, à la nourriture infecte, qui ont appris à se passer des villes et même s’en méfient.
L’argent étant le nerf de la guerre, une ville comme Grand New York a cependant besoin de développer le commerce à l’extérieur de ses frontières, et ses concurrentes bien dotées ne sont pas la cible idéale. Aussi a-il été mis en place un plan marketing en direction de la ruralité, qui n’a jamais vu revenir ses émissaires. C’est pourquoi on demande à un acteur de cinéréel, séduisante image iconique, d’aller porter la bonne parole à bord d’un aérobarge, avec quelques gadgets. Le début du récit justifie le fait qu’il est pratiquement impossible à Alvah Gustad de refuser la mission malgré le préjudice sur son activité, et qu’il voyage seul, quand bien même il ne connaît rien de l’extérieur.
Une première partie s’amuse de difficultés d’adaptation à l’environnement et aux codes sociaux, la seconde, des efforts d’Alvah Gustad pour survivre à présent que son appareil endommagé lui retire toute possibilité de retour à moins de chercher plus loin de quoi le réparer.
Ses efforts ne sont pas couronnés de succès : ses articles se révèlent inutiles et mêmes dérisoires face aux outils locaux, qui font, à partir de produits naturels, mieux et moins cher. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un retour à la nature, car on rencontre des insectes métallophages, des oiseaux index, récipients de la mémoire encyclopédique, chaque individu récitant comme un perroquet le savoir dont il est porteur. L’opposition technologie contre écologie n’est pas tout à fait pertinente : c’est davantage la machine que la technologie qui est ici critiquée. Du reste, certaines avancées sur le plan biologique ne sont probablement pas envisageables sans un appareillage technologique.
Un autre effet délétère du modernisme est le conditionnement qui réduit les chances de survie : quelqu’un de la campagne s’adapte partout. L’homme de la ville ne s’adapte qu’en ville, est-il écrit. Mais la symbiose avec la nature est tout aussi artificielle : provoquée, manipulée, il s’agit davantage d’une exploitation sans machine que d’un respect écologique. Il n’en reste pas moins que le récit anticipe les effets de l’urbanisation sans contrôle qu’on constate actuellement : « Les grandes Villes ontenglouti les petites, comme les insectes mangent leur propre corps quand la nourriture vient à manquer . »
Situé quelque part entre la fable de La Fontaine du « Rat des villes et du rat des champs » ou des Lettres persanes de Montesquieu, ce récit vite écrit, mené tambour battant avec une bonne dose d’humour, se laisse lire sans déplaisir.