ActuSF
, coll. Les Trois Souhaits Dépôt légal : mai 2010 Retirage Anthologie, 166 pages, catégorie / prix : 10 € ISBN : 978-2-917689-15-8 Format : 14,9 x 21,0 cm Genre : Imaginaire
Sous-titré "anthologie SFQ" (au dos de l'ouvrage).
Des êtres synthétiques soumis à nos désirs, de l’orgasme en capsule, la radiographie du plaisir. Nos futurs nous réservent des fantasmes inédits et mystérieux...
Douze auteurs soulèvent le lourd rideau des tabous pour emprunter la voie des sens et mieux affoler les nôtres.
1 - Jérôme LAVADOU & Charlotte VOLPER, Préface, pages 5 à 6, préface 2 - Stéphane BEAUVERGER, Eddy Merckx n'est jamais allé à Vérone, pages 9 à 16, nouvelle 3 - Maïa MAZAURETTE, Saturnales, pages 17 à 32, nouvelle 4 - DAYLON, Misvirginity, pages 33 à 48, nouvelle 5 - Mélanie FAZI, Miroir de porcelaine, pages 49 à 61, nouvelle 6 - Francis BERTHELOT, LXIX, pages 63 à 74, nouvelle 7 - Sylvie LAINÉ, Toi que j'ai bue en quatre fois, pages 75 à 85, nouvelle 8 - Norbert MERJAGNAN, Louise ionisée, pages 87 à 97, nouvelle 9 - GUDULE, Sabbat, pages 99 à 102, nouvelle 10 - Charlotte BOUSQUET, Les Métamorphoses d'une martyre, pages 103 à 108, nouvelle 11 - Jean-Marc LIGNY, Vertiges de l'amour, pages 109 à 129, nouvelle 12 - Virginie BÉTRUGER, Descente, pages 131 à 145, nouvelle 13 - Joëlle WINTREBERT, Camélions, pages 147 à 164, nouvelle
Quarante ans après l'année érotique, cet ouvrage de « SF Q » 1 proposé par les éditions ActuSF a partagé la vedette au festival Utopiales 2009 avec une autre anthologie érotique, Chasseurs de fantasmes, aux éditions Griffe d'encre. Pour retrouver un tel déferlement de sexe dans la SF, il faut sans doute remonter aux années 2000-2001, avec le double projet dirigé par Jean-Marc Ligny : Cosmic Erotica (la version fille) puis Eros Millenium (son pendant garçon).
Premier constat, l'objet est attrayant avec sa fort jolie couverture de Diego Tripodi, dans un style pop art tout à fait adéquat. De même, la lecture s'en révèle très agréable, avec des textes d'inspirations évidemment différentes mais tous d'une excellente tenue littéraire – il faut dire qu'il y a là quelques-unes de nos meilleures plumes.
La critique pourrait s'arrêter là, car comme pour toute anthologie, chacun aura ses textes préférés, qui ne seront pas ceux du voisin. Peu importe, tant qu'à donner son avis, allons jusqu'au bout.
Le recueil s'ouvre sur Stéphane Beauverger qui n'est pas non plus passé inaperçu aux Utopiales puisque son Déchronologue a raflé le Grand Prix de l'Imaginaire et le Prix Européen des Pays de Loire. Sa nouvelle, qui se déroule justement en 1969, se montre émouvante et d'une écriture très fine, parfaite pour introduire une anthologie ainsi baptisée : pour le coup, on lui pardonne qu'il s'agisse de littérature générale, sans la moindre trace de SF.
J'ai également adoré les Saturnales de Maïa Mazaurette, qui dépeint une évolution très crédible de la sexualité future, avec beaucoup d'humour. Au milieu des inévitables améliorations à venir et des publicités qui nous les imposeront, notre sexualité ordinaire apparaît bien triste et d'une animalité terriblement dégoûtante. A la fin, il est difficile de ne pas se considérer comme un pervers...
A partir du thème assez classique de l'androïde utilisé comme objet de plaisir, Daylon nous offre un exercice de style intéressant mais qui ne m'a personnellement pas convaincu. La narration décousue imposée par l'interview entrecoupée de souvenirs m'a paru un peu fastidieuse, même si on peut y voir un mode de pensée particulier à l'androïde.
Avec son élégance et sa noirceur habituelles, Mélanie Fazi nous offre une danse d'amour et de mort en compagnie d'une dresseuse d'automates. J'aurais volontiers souhaité un texte moins subtil et un peu plus cru, mais c'est toujours un plaisir de la lire.
Sans partager la fascination de Francis Berthelot pour les pectoraux huilés des légionnaires romains, j'avoue avoir partagé avec une certaine jubilation son expérience de « cinéma interactif » dans un péplum retraçant les contorsions politiques et sexuelles de l'année 69 (la vraie, celle du 1er siècle). Ceux qui ont regardé la chaude série Rome devraient apprécier.
Sylvie Lainé, elle, nous rappelle que sexualité est une alchimie délicate et que s'amuser à en déséquilibrer les ingrédients peut être source de frustration et de désir inassouvi. Sous son titre intrigant – et à lui seul érotique — la métaphore se montre très habile.
Louise ionisée, de Norbert Merjagnan, est un texte décalé et étonnant, à base de savant fou et de lunettes magiques, aussi ludique dans son intrigue que dans son ambiance un peu désuète et dans son style. Assurément dans mon trio de tête.
Le court Sabbat de Gudule a pour atout sa vigoureuse énergie. L'intérêt m'en a cependant paru faible et le lien avec l'Imaginaire très ténu.
La nouvelle de Charlotte Bousquet fleure bon son XIXème siècle, avec une histoire ultra-classique de meurtrier hanté par sa victime. Malgré ses qualités, l'impression de déjà-lu en devient un peu trop forte pour emporter une totale conviction.
Classique aussi le succube invoqué par Jean-Marc Ligny, mais son personnage d'écrivain dépressif donne au récit un parfum d'autofiction, ce qui en accroit considérablement l'intensité.
Dans Descente, Virginie Bétruger montre que l'évocation du sexe peut devenir un moyen de faire face à une mort probable. La manière dont le thème érotique et la SF sont reliés apparaît tout de même artificielle.
Reste Joëlle Wintrebert, avec à mon sens le meilleur texte du lot. Sans doute le plus SF : il s'agit d'un planet opera exotique à souhait, où elle démontre avec brio que l'ailleurs et demain parle souvent bien mieux de l'universel que l'ici et maintenant. Sans doute le plus véritablement érotique aussi, en ce sens qu'il suscite le désir, un vrai désir charnel et voluptueux, un désir bien singulier puisqu'il s'agit de s'accoupler avec l'Autre, cet étranger qui inquiète mais qui peut aussi porter en lui les germes du futur.
Au total, 69 réussit son pari, bien que l'érotisme dans la SF soit un univers toujours difficile à traiter sans être « trop » ou « pas assez », sans être en décalage avec les propres fantasmes du lecteur. Ces douze nouvelles ne permettent évidemment pas de faire le tour de ce thème si particulier, mais elles en offrent douze visions très différentes et toutes dignes d'être partagées.
Cette anthologie, coordonnée par Charlotte Volper et illustrée avec talent par Diego Tripodi, nous donne à voir le sexe sous toutes ses formes. Tantôt cru, tantôt érotique, hétéro ou homo, violent ou passionnel, il y en aura pour tous les goûts. Comme de plus la relation au sexe est une notion très intime à chaque individu, très subjective, deux lecteurs ne réagiront jamais de la même manière à la lecture de ces textes. Par exemple, la nouvelle de Norbert Merjagnan, « Louise ionisée », un petit bijou d'humour chez les savants, au style généreux, m'a paru la plus excitante du lot (alors que c'est l'une des moins explicites). Parmi les autres réussites de l'anthologie, on signalera le beau texte inaugural de Stéphane Beauverger, où comment se donner une contrainte (citer Eddy Merckx dans un récit sur le sexe) et la satisfaire haut la main, même si on ne trouvera pas de trace d'imaginaire ici (ce qui en soi n'est pas sale). Sylvie Lainé décompose la relation dans « Toi que j'ai bue en quatre fois », où les quatre ingrédients principaux, selon la façon dont ils se recomposent, nous font vivre une histoire différente à chaque fois. Virginie Bétruger a un peu triché sur la thématique, puisque le sexe le plus cradingue est plaqué sur son récit comme un prétexte pour nous livrer au final une très belle réflexion sur la mort et la nostalgie des occasions manquées. Enfin, Joëlle Wintrebert clôt le livre avec une nouvelle de relation contre nature homme-extraterrestre que n'aurait pas reniée un Philip José Farmer...
Afin de ne pas biaiser la vision du sujet, il a été convenu qu'il y aurait autant d'auteurs féminins que d'auteurs masculins ; parité à peu près respectée ici. Il m'a d'ailleurs semblé que les femmes parlaient d'une manière générale en termes plus crus que les hommes, mais peut-être est-ce dû à la présence de la nouvelle humoristique de Maïa Mazaurette, qui nous raconte une nuit de noces du futur, pour laquelle tout est théoriquement planifié, carré, sans aspérité... Le mari voudra faire ça à l'ancienne, grand mal lui en prendra.
A la lecture de « LXIX », de Francis Berthelot, expérience de cinéma interactif où un spectateur laisse parler son penchant pour les corps sculpturaux, on se dit qu'il aurait parfaitement pu écrire le scénario de 300, le film de Zack Snyder sur la bataille des Thermopyles, où le contenu homosexuel était patent, dans la façon qu'a le réalisateur de mettre en scène les corps d'athlètes des Spartiates. A l'autre bout du prisme, le texte de Mélanie Fazi, sur une femme commandant à des automates, est comme souvent chez elle d'une délicatesse et d'une subtilité rares, mais derrière sourd toujours la noirceur.
Les derniers récits m'ont moins parlé : ceux de Charlotte Bousquet et Jean-Marc Ligny par leur classicisme un peu trop appuyé, celui de Gudule par sa brièveté et sa trivialité, et celui de Daylon par son aspect froid et son style qui m'a semblé forcé.
Au final, cette anthologie reste néanmoins d'un niveau très homogène ; à peu près tous les textes sont intéressants, et présentent des visions très différentes, qui résonneront ainsi de manière particulière pour chaque lecteur en fonction de ses goûts. Bagatelle, souffrance ou passion : à vous de choisir !