Robert SHECKLEY Titre original : The Status Civilization / Omega!, 1960 Première parution : Amazing Science Fiction Stories, août et septembre 1960 (sous le titre "Omega!"). En volume : Signet, 1960 (sous le titre "The Status Civilization")ISFDB Traduction de Frank STRASCHITZ Traduction révisée par Marie KOULLEN Illustration de LEYHO
GOATER
(Rennes, France), coll. Rechute n° 12 Date de parution : 13 mai 2022 Dépôt légal : 1er trimestre 2022 Réédition Roman, 240 pages, catégorie / prix : 14 € ISBN : 979-10-9746582-7 Format : 979-10-97465-82-7✅ Genre : Science-Fiction
Oméga, le bagne spatial. Une société de hors-la-loi qui admet le crime, l'admire et le récompense. Un enfer où les damnés ont subi un lavage de cerveau et ne savent même plus pourquoi ils sont là ; où il faut devenir toxicomane sous peine de mort ; où les tueurs tiennent le haut du pavé, comme les kapos dans les camps de concentration. Le héros de cette histoire doit s'adapter à ce monde impitoyable. Il apprend à se défendre. Œil pour œil, dent pour dent. Jusqu'au jour où il revient sur terre. Il croit ses malheurs terminés. C'est alors qu'il apprend la vérité sur son crime et sa condamnation. Et tout à coup, Oméga lui apparaît comme une sorte de paradis.
Robert Sheckley est l'un des très grans écrivains — et certainement le plus corrosif de la science-fiction américaine. Né en 1928. Débuts en 1952. Ses idées fulgurantes, ses sous-entendus ironiques, font de lui l'un des maîtres de la nouvelle. Il est également l'auteur de romans remarquables comme Le temps meurtrier ou Les erreurs de Joenes où son humour noir, son goût du sarcasme et son sens de la terreur composent un climat tout à fait personnel.
Oméga, planète-prison où la Terre envoie tous ses criminels et ses dissidents. Oméga, planète où les bagnards exilés font la loi. Où le meurtre ritualisé est une façon reconnue et acceptée de s’élever dans l’échelle sociale. Où le Mal est célébré tous les dimanches lors de messes noires. Oméga, roman de Robert Sheckley écrit en 1960 et quintessence de son humour pince-sans-rire et du regard mordant d’ironie qu’il jette sur ses semblables humains. Dans ce récit, l’auteur propose de suivre le numéro 402, un homme sans passé déporté vers Oméga et qui va essayer de se faire un trou dans cette société de bannis, tout en cherchant à comprendre ce qu’il fait là. La structure, classique pour l’époque de l’écriture du livre, nous le montre dans un premier temps sur Oméga, puis sur Terre, décrivant ainsi les deux faces d’une même pièce. Et soulignant comment deux sociétés ayant choisi deux extrêmes – l’une vers le Mal, l’autre vers la sécurité et la confiance absolues – peuvent au bout du compte se ressembler étrangement pour finir par étouffer d’une trop grande conformité et d’une pression sociale poussant les gens à la folie.
Lu en 2022, ce roman reste pourtant d’une actualité brûlante à l’heure où les vieilles rancœurs issues de la Guerre froide se réactivent et réveillent certaines peurs, notamment d’une escalade nucléaire. Néanmoins, même si la révision de la traduction donne un coup de jeune formel au texte, Oméga reste par d’autres aspects dans son jus du milieu du xxe siècle – on pense aux personnages féminins qui font office de figuration, et de manière plus générale aux seconds rôles peu étoffés. Il s’agit plus ici de défendre des idées et d’explorer ce qu’il se passerait si l’histoire conduisait à cette séparation stricte entre bons citoyens et mauvais (qu’ils soient malfrats ou qu’ils pensent simplement différemment du consensus majoritaire) que de donner une attache émotionnelle au lecteur pour suivre les aventures de 402. Un classique mineur de la science-fiction à redécouvrir.
Écrivain connu et reconnu dans le milieu de la science-fiction pour ses satires et son humour grinçant, très prolifique au cours des années cinquante (notamment dans la revue Galaxy), Robert Sheckley est resté dans les mémoires grâce à un thème qui lui est cher : celui du jeu télévisé futuriste où un homme se retrouve pourchassé par ses semblables. Ce sujet a été traité de nombreuses fois par l'auteur, notamment dans une courte nouvelle (The Price of Peril) adaptée au cinéma par Yves Boisset sous le titre Le Prix du Danger. Oméga (The Status Civilization), un de ses premiers romans, ne déroge pas à la règle en opposant son « héros » à un ordre totalitaire et à la cruauté naturelle de l'Homme, tout en affichant une ironie de tous les instants afin de nous inciter à réfléchir sur le bien-fondé de nos valeurs morales.
Sur la forme, l'œuvre emprunte un schéma simple, linéaire, mais à l'efficacité prouvée : un personnage central, par les yeux duquel nous sera contée l'histoire, se réveille dans une cellule. Totalement amnésique, il va devoir recouvrer sa mémoire et son identité tout en explorant le monde dans lequel il se retrouve projeté. Nous découvrons alors, avec lui, un environnement digne de l'« off-world » d'Alice à Travers le Miroir : une planète pénitentiaire où toutes les valeurs sont inversées et la criminalité récompensée. Le procédé narratif est connu et toujours efficace (Dumas l'a utilisé dans Les Trois Mousquetaires, l'amnésie en moins, et dans le domaine de la SF Maurice Dantec l'a récemment exploité avec Cosmos Incorporated) et le décor du « lieu-où-vous-n'avez-vraiment-pas-envie-de-vous-rendre », quant à lui, est également un classique du genre (on pensera sans peine à des « films carcéraux » comme New York 1997 ou Absolom 2022). C'est à l'aide de ce parti pris narratif et de ce cadre que Sheckley va s'amuser à mettre en pratique les thèses nietzschéennes relatives à la survie du plus fort, au surhomme et, bien sûr, à l'inversion des valeurs morales.
Robert Sheckley n'étant pas homme à s'attarder éternellement sur un paysage, son histoire avance vite. Très vite. Dès les premiers pages, les péripéties se multiplient en poussant le lecteur à faire tourner son cerveau à plein régime afin d'assimiler tous les messages que Sheckley essaye de nous faire comprendre : le cruel système hiérarchique de la planète-prison où les plus impitoyables détenus élèvent leur condition sociale, sa religion maléfique obligatoire, l'ironie par laquelle le « héros » se retrouve à gérer un magasin d'antidotes... On se prend toutefois à regretter qu'il ne prenne pas la peine d'installer plus posément son univers, de s'attarder sur les décors, l'ambiance ou les personnages car l'auteur semble tellement pressé d'en venir aux concepts qui l'intéressent qu'il en oublie les élémentaires, en oubliant au passage son cahier des charges d'écrivain. Cette volonté de faire avancer le récit sans temps morts présente toutefois un avantage : les rebondissements s'enchaînent à un rythme effréné, et le lecteur ne s'ennuie pas une seconde. En outre, aucune des révélations brutales fournies ne paraît gratuite ou artificielle ; chacune d'entre elles apporte sa pierre à l'édifice et nous aide à mieux comprendre le propos final (la déshumanisation des individus au profit d'une civilisation homogène et lisse bien trop parfaite pour être honnête).
Ainsi, après avoir accumulé de nombreuses scènes généralement assez téléphonées dans sa première partie située sur la planète-prison, et où il trouve une nouvelle fois l'occasion de nous faire part de sa fascination pour les intrigues où un homme se retrouve traqué par ses pairs (le héros tue pour ne pas être tué, recherche son identité, cherche à rejoindre la Terre...), Sheckley emprunte ensuite une tournure surprenante et totalement imprévisible digne de la série Twilight Zone. Cette audacieuse façon de terminer son récit rattrape, à elle seule, toutes les maladresses accumulées précédemment tant il semble difficile d'abandonner la lecture avant d'avoir compris où l'auteur souhaite en venir... Son intrigue, jusque là assez classique, prend alors une nouvelle ampleur qui nous incite à remettre en perspective tous les thèmes abordés dans le livre, et à mettre dos à dos deux sociétés fondées sur la moralité et l'immoralité sans que l'une ou l'autre ne paraisse privilégiée aux yeux de l'auteur. On regrettera d'autant plus que la forme ne soit pas plus soignée.