Voici qui conclut la réédition en poche des trois titres du cycle de la Culture actuellement traduits dans la collection « Ailleurs & Demain ». Après
L'Homme des jeux et
L'Usage des armes, Une forme de guerre offre donc une autre facette de cette utopie ludique et décalée créée par l'Écossais Iain Menzies Banks. Le chicaneur dira que Gérard Klein éditeur en poche aurait pu rétablir ce que Gérard Klein éditeur en grand format avait brouillé : l'ordre originel des parutions. Le présent roman est en effet le premier volume de la Culture, paru en 1988, mais seulement le troisième à avoir été traduit. Qu'importe au fond, le jeu entre l'ordre et le désordre étant consubstantiel à la Culture.
La préface — comme toujours indispensable — de Klein parle de la mort, celle des individus et celle des civilisations. Elle aurait pu évidemment parler de guerre, et du rouleau compresseur de l'expansion, un rien impérialiste, de la Culture. Mais le roman, sous les péripéties, conte bien le sort de l'individu face aux soubresauts galactiques : il est un peu dommage que le lecteur francophone méconnaissant T.S. Eliot passe à côté de la clé que constitue le titre original,
Consider Phlebas. Vanité humaine : voyez Phlebas le Phénicien, dont le cadavre pourrit sur une grève, et qui incarne tragiquement notre futilité. Dans le même temps, ce marin noyé introduit le motif de la mer, qui réapparaîtra dans le récit. Horza, le Métamorphe, disparaît pareil à Phlebas, après s'être cru capable de vaincre une civilisation. Oui, la Culture assimile, mais elle tue également.
Le caractère flamboyant des space-operas de Banks n'est plus à démontrer. Tout concourt à faire de leur lecture un grand moment de jouissance, les noms étonnants, les décors, les situations, et particulièrement le contexte mis en place, sans oublier tous ces drones sarcastiques. La Culture semble décidément être ce qui se rapproche le plus en SF d'une société galactique tolérante dotée d'une morale. Mais pour Horza, la Culture délègue trop sa destinée à ses machines : voilà pourquoi il prend le parti des Idirans, de fichus intégristes fanatiques dotés d'une forte propension au Djihad. Car la Culture a beau se gargariser de son anarchisme, celui-ci s'avère plutôt cynique si l'on tient compte de sa tendance à l'interventionnisme. On sent chez Banks un tel désir de croire son univers possible qu'il tient aussitôt à le nuancer : où sont les bons, où sont les mauvais ?
Pour Horza, le conflit général prend les allures d'une croisade individuelle, dont l'issue ne peut qu'être fatale. Qu'importe au fond qu'il s'agisse de récupérer un Mental perdu : ce qui tourmente le Métamorphe tient à son identité, question qui traverse d'autres romans de Banks. Horza interroge la Culture. Quel statut conserve la vie organique dans une utopie qui ne doit son existence qu'aux Intelligences Artificielles ? Que reste-t-il aux autres sociétés lorsque l'expansion de la Culture les passe à la moulinette ?
Banks aime trop la complexité pour apporter des réponses simplistes, et si
Une forme de guerre peut prendre des allures de mélodrame, ne serait-ce pas, sans doute, parce que le mélodrame est partout autour de nous, des familles désunies de Bosnie ou du Rwanda aux empires cosmiques ? Le présent roman n'est peut-être pas celui qui décortique le mieux les structures sociales, politiques ou philosophiques de la Culture (voir
L'État des arts), mais il s'agit sans doute de celui qui renvoie le plus efficacement à leur vide constitutif les space-operas militaristes.
Il faudra un jour consacrer une étude à la présence de tant de trains dans l'oeuvre de Banks : le super-métro du Monde de Schar est à ce titre exemplaire. Et on attend la traduction des autres titres, Monsieur Gérard —
Against a Dark Background,
Feersum Endjinn,
Excession...