Isaac ASIMOV Titre original : Asimov's Mysteries, 1968 Première parution : États-Unis, New York : Doubleday, 1968 (regroupe les tomes 1 et 2)ISFDB Cycle : Histoires mystérieuses vol. 1
Prisonnier de son embonpoint et ennemi juré des voyages, le célèbre Dr Urth, extraterrologiste émérite, ne s'est jamais éloigné de son domicile. Cependant, ce savant en pantoufles possède une connaissance si parfaite des planètes étrangères et de leurs habitants que c'est à lui que la police a le plus souvent recours pour démasquer les criminels intergalactiques. Ainsi, pour notre plus grande joie, assistons-nous au mariage heureux de la science-fiction et de l'intrigue policière. Du crime parfait sur la Lune aux aventures d'un James Bond de l'an 4000 agressé par les filles de l'espace, le grand mérite du Dr Urth — et de son créateur — sera de ne jamais faire appel à d'opportuns gadgets futuristes pour résoudre les énigmes, mais à la pure logique.
L'auteur
Isaac Asimov (2.1.1920-6.4.1992), écrivain d'origine russe dont la famille émigra aux États-Unis en 1923, publie sa première nouvelle à l'âge de 19 ans. Professeur de biochimie, il abandonne l'enseignement pour l'écriture en 1958. Surtout connu pour son cycle de Fondation (Présence du Futur) et sa série des Robots (J'ai lu), le grand Asimov laisse une œuvre monumentale, dont une majorité d'ouvrages scientifiques.
1 - Introduction, pages 9 à 13, introduction, trad. Michel DEUTSCH 2 - Chante-cloche (The Singing Bell, 1955), pages 15 à 44, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 3 - Post-scriptum (à "Chante-cloche") (Afterword (The Singing Bell), 1968), pages 44 à 45, postface, trad. Michel DEUTSCH 4 - La Pierre parlante (The Talking Stone, 1955), pages 47 à 82, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 5 - Post-scriptum (à "La Pierre parlante") (Afterword (The Talking Stone), 1968), pages 82 à 83, postface, trad. Michel DEUTSCH 6 - Ante-scriptum (à "Le Patronyme accusateur") (Foreword (What's In a Name?), 1968), pages 86 à 86, préface, trad. Michel DEUTSCH 7 - Le Patronyme accusateur (What's in a Name? / Death of a Honey-Blonde, 1956), pages 87 à 114, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 8 - Ante-scriptum (à "La Cane aux œufs d'or") (Foreword (Pâté de Foie Gras), 1968), pages 116 à 116, préface, trad. Michel DEUTSCH 9 - La Cane aux œufs d'or (Pâté de Foie Gras, 1956), pages 117 à 143, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 10 - Cache-cash (A Loint of Paw, 1957), pages 145 à 149, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 11 - Post-scriptum (à "Cache-cash") (Afterword (A Loint of Paw), 1968), pages 149 à 149, postface, trad. Michel DEUTSCH 12 - Ante-scriptum (à "A Port Mars sans Hilda") (Foreword (I'm in Marsport Without Hilda), 1968), pages 152 à 152, préface, trad. Michel DEUTSCH 13 - A Port Mars sans Hilda (I'm in Marsport Without Hilda, 1957), pages 153 à 177, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 14 - Ante-scriptum (à "Au large de Vesta" et "Anniversaire") (Foreword (Marooned Off Vesta/Anniversary), 1968), pages 180 à 180, préface, trad. Michel DEUTSCH 15 - Au large de Vesta (Marooned Off Vesta, 1939), pages 181 à 207, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 16 - Anniversaire (Anniversary, 1959), pages 209 à 238, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH
Ce livre est paru l’année dernière aux États-Unis sous le titre Asimov’s mysteries. L’édition originale contenait quatorze récits dont ce premier tome présente une traduction partielle ; nous pouvons heureusement espérer que Denoël publiera les nouvelles manquantes dans un volume ultérieur.
L’œuvre d’Isaac Asimov possède la particularité d’être groupée autour de deux thèmes principaux ; celui de l’univers néo-romain de Trantor qui a été exploré dans la trilogie Fondation, Les courants de l’espace, The stars, like dust… et celui qui mêle science-fiction et policier. Dans un monde futur un crime est commis, nous assistons aux efforts du détective pour trouver le meurtrier, et, comme dans un bon roman de détection, tous les détails nécessaires à résoudre le problème sont connus du lecteur. À cette catégorie de récits se rattache le célèbre, et excellent, roman Les cavernes d’acier et sa suite Face aux feux du soleil, mais aussi les Histoires mystérieuses, tome 1 qui sont une succession de huit petites énigmes à éclaircir.
Disons-le tout de suite, le recueil déçoit, ne serait-ce que parce que nous avions pris l’habitude d’attendre tellement de la part d’Asimov ; pourtant trois des nouvelles peuvent être qualifiées d’excellentes.
Chante-Cloche et La pierre parlante ont déjà été publiées en français dans Fiction nos 23 et 31 sous les titres Les cloches chantantes et La bête de pierre mais la traduction de Michel Deutsch est très supérieure, en ce sens qu’elle ne fleure plus le mot à mot et le recours incessant au dictionnaire.
Ces deux nouvelles mettent en scène un personnage savoureux, caricature pittoresque d’Asimov lui-même, le docteur Urth l’extraterrestrologue : « Il avait les traits bouffis, son nez était une sorte de bouton de bottine et des verres épais protégeaient ses yeux quelque peu globuleux. » Urth est atteint d’agoraphobie et refuse de se déplacer autrement qu’en marchant (on sait qu’lsaac Asimov rejette jusqu’à l’idée de prendre l’avion), aussi c’est dans sa chambre qu’il résout toutes les énigmes de la Galaxie.
Bien que ne s’élevant pas au rang de classiques, Chante-Cloche et La pierre parlante sont des exemples intelligents, quoique un peu froids, de science-fiction policière.
À Port Mars sans Hilda est d’une conception toute différente : écrite dans un style tout à fait délectable absorbé en très petites doses et qui rappelle San-Antonio, la nouvelle conte les mésaventures d’un apprenti Sherlock Holmes obligé de démasquer un dangereux trafiquant (escroc, dit la prière d’insérer, pourquoi ?) pendant que sa « petite amie » se morfond à l’attendre. Intégrez cette trame dans un contexte de science-fiction et vous aurez une histoire frivole mais très réussie.
D’un niveau plus bas, Au large de Vesta et Anniversaire sont doublement intéressantes ; tout d’abord Au large de Vesta est la première nouvelle qu’Asimov ait publiée. Cet événement historique prit place dans Amazing de mars 1939 et, dès avril, les appréciations des lecteurs s’accumulèrent « Pas très excitante », « Une splendeur qui rappelle le bon vieux temps de 1926 ». Que trente ans plus tard le récit soit encore lisible et même attachant prouve que la science-fiction a moins évolué qu’on pourrait le croire. Ensuite Anniversaire se trouve être la suite de… Vesta écrite spécialement pour le numéro d’Amazing de mars 1959 : les deux nouvelles prises comme un tout forment une ingénieuse histoire de détection.
Le patronyme accusateur ne contient pas une once de science-fiction. C’est le type de nouvelle anti-émotionnelle qui semble tant plaire à Poul Anderson, ce qu’il appelle « le plaisir intense de la pensée disciplinée », mais dont le ton glacé manque de la chaleur humaine qu’apportait la personnalité luxuriante de Wendell Urth. Asimov a toujours tendu à se placer au point de vue de l’intellect désincarné et, dans ces nouvelles scientifico-policières, cette tendance s’accentue jusqu’à devenir un défaut ; ainsi la mort de la bête de pierre qui aurait pu atteindre une certaine grandeur, Asimov l’avoue lui-même, est expédiée en trois pages axées sur la tâche d’embrouiller l’intrigue. À ce propos il serait bon de demander l’avis d’un spécialiste du policier sur ces nouvelles ; il semble qu’elles soient plus à même de satisfaire un fanatique de ce dernier genre qu’un science-fictionniste.
Il nous reste à parler de deux nouvelles :
Cache-Cash est une brève histoire en forme de calembour sans le moindre intérêt ; Asimov dit bien que « le calembour est la forme la plus noble de l’esprit » et en anglais l’historiette est peut-être acceptable, mais dans notre langue, c’est tout simplement pénible.
Moins pénible toutefois que La cane aux œufs d’or. « Ce récit m’a valu après sa parution plus de courrier qu’aucun autre de longueur comparable, » écrit l’auteur et ce n’est pas étonnant ; les Américains adorent ce genre de conte où une théorie farfelue est présentée sous une forme à première vue rigoureusement scientifique. Après que nous ayons appris qu’une cane du Texas pondait des œufs entourés d’une coquille d’or pur, nous sommes emportés dans le monde « passionnant » de la chimie organique où nous apprenons, entre autres choses, que « les acides biliaires sont des stéroïdes produits par le foie… Ces acides sont des molécules de type détergent qui aident à saponifier les corps gras que nous absorbons ». Il est possible que cette histoire puisse arracher un sourire à un biochimiste, mais pour toute autre personne ce serait plutôt un bâillement. On ne peut même pas critiquer cette nouvelle sur le plan de la construction puisqu’elle atteint les buts qu’elle s’était fixés et ce n’est pas la haine qu’elle suscite chez le lecteur imperméable aux subtilités chimiques, mais un ennui, un ennui terrible, morne, désolant comme un paysage lunaire transplanté sur Terre. Aussi il est assez ironique qu’lsaac Asimov se lamente périodiquement dans les pages de Galaxy sur le « manque de science en science-fiction » ; mais, Monsieur Asimov, heureusement que la part de la science diminue dans le genre que nous aimons, heureusement que le temps d’Hugo Gernsback, où il fallait donner les équations des trajectoires des fusées, a disparu, heureusement qu’à part La cane aux œufs d’or vous avez écrit Fondation, car la science-fiction est une littérature et n’a que faire d’une hypothétique mission de créer les vocations d’ingénieur.
Ceci dit, le meilleur du livre se trouve sans doute dans les délicieux ante et post scriptums que l’auteur a adjoints aux nouvelles et, en fin de compte, ces Histoires mystérieuses n’ajouteront rien au renom de « Présence du Futur » ni à celui d’Isaac Asimov qui semble bien plus à l’aise dans le roman ou la longue nouvelle que dans les histoires courtes où son humanité semble se dessécher et l’intellect dominer trop fortement les glandes.
Marcel THAON Première parution : 1/5/1969 Fiction 185 Mise en ligne le : 27/10/2022