Adam-Troy CASTRO Première parution : Paris, France : Albin Michel, coll. Albin Michel imaginaire, 7 janvier 2021 (recueil sans équivalent en langue anglaise) Cycle : Andrea Cort vol. 1
LIVRE DE POCHE
(Paris, France), coll. SF (2ème série, 1987-) n° 37450 Date de parution : 24 janvier 2024 Dépôt légal : janvier 2024, Achevé d'imprimer : janvier 2024 Réédition Recueil de romans, 896 pages, catégorie / prix : 10,90 € ISBN : 978-2-253-10701-9 Format : 11,0 x 17,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quand elle avait huit ans, Andrea Cort a été témoin d’un génocide. Après avoir vu ses parents massacrés, elle a rendu coup pour coup. En punition de ses crimes, elle est devenue la propriété perpétuelle du Corps diplomatique et, avec les années, a embrassé la carrière d’enquêtrice pour le bureau du procureur. Envoyée dans un habitat artificiel aussi inhospitalier qu’isolé où deux meurtres viennent d’être commis, la jeune femme doit désigner un coupable rapidement, sans créer d’incident diplomatique avec les intelligences artificielles propriétaires des lieux.
Mais les leçons qu’Andrea a apprises enfant ont forgé l’adulte qu’elle est devenue : une personn inflexible qui ne vit que pour une chose : combattre les monstres.
Un polar spatial divertissant, intrigant, mais surtout addictif ! SYFantasy.
Une écriture ouvragée et une SF intelligente, ambitieuse et incarnée. Vivement les tomes suivants ! La Voix du Nord.
Les aventures d'Andrea Cort se situent dans un univers de space-opera où l'Humanité (les "Homsaps") cohabite avec diverses races extra-terrestres, chacune dotée de sa propre biologie, de sa propre culture, de sa propre morale. Les Homsaps ont donc créé le Corps diplomatique qui gère de multiples ambassades sur les mondes les plus exotiques.
Quatre nouvelles servent d'introduction au roman qui donne son titre au recueil. À travers ces textes, on découvre à différents moments de sa carrière une enquêtrice très spéciale du Bureau du Procureur au sein du Corps diplomatique.
Andrea Cort a ceci de particulier que, enfant, elle a été témoin d'un génocide entre des Humains et une espèce extra-terrestre. Pire encore, elle y a participé, puisqu'elle a tué de ses propres mains son père adoptif. Traumatisée par ce passé, perçue comme un monstre par tous ses congénères humains et par nombre d'extra-terrestres qu'elle côtoie dans son travail, elle s'est bâti des défenses sous forme d'une misanthropie aussi épaisse qu'un blindage.
Dans la plupart des textes, elle intervient dans des ambassades où les Homsaps ont commis des crimes, ce qui l'oblige à résoudre non seulement un casse-tête juridique, mais aussi une crise diplomatique. À chaque fois, la confrontation aux cultures et morales extraterrestres engendre un lot de problèmes éthiques en apparence inextricables.
La plupart des nouvelles sont assez classiques mais se lisent avec plaisir. Elles servent avant tout à bâtir le personnage d'Andrea dans toute sa complexité et à rendre le lecteur familier tant avec la bureaucratie du Corps diplomatique qu'avec les différentes civilisations extra-terrestres. Comme une sorte de prélude au roman Émissaires des morts, Démons invisibles pose enfin des enjeux forts, à la fois pour l'histoire personnelle d'Andrea Cort et pour l'univers. C'est un texte efficace, bien rythmé, qui traite avec finesse de la question de l'impossible communication entre les Terriens et une race extra-terrestre à l'insupportable placidité.
Le roman est un huis-clos situé dans un habitat artificiel, sorte de cylindre de O'Neill perverti par un fantasme acrophobe. Construit par un collectif d'intelligences artificielles affranchies de toute tutelle, il est peuplé par une espèce créée par génie génétique. Seule une mission scientifique humaine est autorisée à vivre avec eux. Le récit est une sorte de whodunnit sur fond de tensions diplomatiques : non seulement Andrea doit trouver le coupable de la mort en mission de deux agents du Corps diplomatique, mais elle doit éviter que son enquête ne crée un incident avec les IA maîtres des lieux. Dans l'ambiance étouffante d'un avant-poste isolé où des fonctionnaires médiocres macèrent dans leurs rancœurs, Andrea évoluera, apprendra à s'ouvrir aux autres tout en découvrant une part de la vérité sur le massacre qui l'a traumatisée dans son enfance.
Au final, ce roman et les nouvelles qui le précèdent forment un ensemble de récits efficaces et agréables à lire. Malgré la présence des ingrédients classiques du space-opera, on peine à y trouver le sense of wonder, le vertige cosmologique que savent faire naître les grands textes de SF . Il ne faut pourtant pas passer à côté de Émissaires des morts : avec un personnage complexe, torturé et au final très émouvant comme Andrea Cort, avec un univers riche où le cynisme et la Realpolitik gouvernent les relations diplomatiques, avec ses questionnements éthiques, ce livre mérite le détour et permet de découvrir un auteur qui sait bâtir des histoires prenantes, à mi-chemin entre le space-opera et le roman policier.
Emissaires des morts d’Adam-Troy Castro, dont le titre évoque celui du second roman du cycle Ender d’Orson Card, est le premier volume d’une trilogie consacrée aux enquêtes d’Andrea Cort. Cette détective du futur enquête pour le compte d’un procureur au sein d’un Corps diplomatique. L’Humanité a essaimé dans les étoiles et les contacts avec les espèces extra-terrestres donnent lieu parfois à des incidents regrettables dont nos dignes représentants portent souvent - cela n’étonnera personne - la responsabilité. Armée d’une détermination sans faille et d’un intellect holmésien, Cort débarque dans les ambassades humaines de mondes inhospitaliers ou simplement étranges et dénoue les nœuds gordiens qu’on lui soumet.
Une sale réputation la précède. Enfant elle fut le témoin, pas innocent, d’un massacre inter-espèces. Ses apparitions, renforcées par l’austère combinaison noire qu’elle revêt en toutes circonstances, genre héroïne badass de manga, son intransigeance, glacent ou rebutent ses interlocuteurs. Cependant la rigidité mentale de cette lointaine parente des agents de la redoutable section « Circonstances Spéciales » du cycle de La Culture de Banks, dissimule un abyme. Andrea Cort met autant d’opiniâtreté à enfermer ses monstres personnels que ceux qu’on lui présente.
Pour cette publication Gilles Dumay a joint au corps principal de l'ouvrage quatre nouvelles. Ce choix et l’ordonnancement des textes facilitent la compréhension de l’évolution psychologique du personnage. La version française devient ainsi la nouvelle référence d’une fiction anglo-saxonne. Que de progrès accomplis en un peu plus d’un demi-siècle par le milieu éditorial hexagonal de l’imaginaire ! La traduction toute en fluidité de Benoit Domis contribue au plaisir de lecture.
« Avec du sang sur les mains » frappe d’entrée le lecteur par sa dramaturgie. Les Zinns sont des sentients pacifiques et incroyablement évolués sur le plan technologique. Mais ils sont sur le déclin. En échange d’informations scientifiques ils demandent à ce qu’on mette à leur disposition un criminel humain pour l’étudier. Le récit - comme les autres - se déploie dans deux directions : la confrontation avec l’altérité, et la confrontation avec une culpabilité personnelle. Les adversaires d’Andrea Cort ne se privent pas de réactiver les démons du passé. Certains ne s’en remettent pas comme le Mental du roman Le sens du vent de Banks, d’autres s’efforcent de vivre avec, comme le héros de La grande porte de Pohl … ou Cort.
Si « Une défense infaillible » m’a semblé évoquer une classique affaire d’espionnage, « Les lâches n’ont pas de secret » replace l’intrigue sur le plan de l’éthique. Condamné à une mort lente et atroce sur le monde des Caiths, Griff Varrick informe l’enquêtrice qu’une sanction alternative existe. Il s’agit d’une camisole chimique privant l’individu de son libre-arbitre. Qualifiée par les autochtones de peine des lâches, elle devient une arme redoutable dans les mains d’une ambassadrice peu scrupuleuse.
Sur Catarkhus, l’héroïne doit qualifier des meurtres commis sur les Catarkhiens. Cette espèce intelligente semble déconnectée du réel, ignorer la présence d’autres sentients sur leur sol. La sensation même de douleur lui est étrangère. Comment dans ces conditions appliquer une sanction pénale pour des actes de violence exercés à son encontre alors qu’elle y est indifférente ? « Démons invisibles », un cran au-dessus des trois autres nouvelles lorgne du côté d’Un cas de conscience de James Blish par la hauteur de son propos.
La question du libre-arbitre et son antithèse brutale l’esclavage irriguent le roman Emissaires des morts. Son supérieur hiérarchique envoie Andrea Cort enquêter sur un double meurtre commis sur un monde artificiel propriété des IAs-source. Ces intelligences artificielles présentes dans toute la Confédération ont conçu un habitat gigantesque de forme cylindrique. Elles sont allées plus loin encore en créant une espèce vivante, intelligente, les Brachiens. Ceux-ci vivent dans les mailles de la Frondaison, une végétation suspendue dans la partie supérieure de cet étrange monde. La partie inférieure est dissimulée aux yeux de tous par une mer de nuages acides. Tomber c’est mourir. Accrochée aux Frondaisons, une ville constituée d’hamacs en guise de logements reliés entre eux par de fragiles passerelles abrite une population humaine de diplomates, de spécialistes en exo-civilisations et d’ouvriers. Ces derniers purgent une peine ou ont quitté une terre tyrannique dans l’espoir d’une vie meilleure. C’est un enfer qu’ils découvrent. Quant à la représentation elle n’a de diplomatique que de nom. Les IAs-source refusent de leur attribuer ce statut. Les Brachiens sont leur propriété point-barre. Cort découvre un administrateur, Gibb, installé dans cette déliquescence comme un lointain parent du Kurtz de Conrad, un adjoint énigmatique, une population fermée, et un couple d’humanoïdes bizarroïdes doué d’empathie : deux corps hébergent une conscience commune.
Emissaires des morts est tout à la fois le roman de l’assombrissement et de la délivrance. Le temps des changements pour Andréa Corps qui dans ce récit à la première personne, fend sa carapace de culpabilité, et le tableau d ’une humanité esclavagiste. Le livre s’achève par une double révélation, on serait tenté de dire comme Bester par une double démolition, celle frappant les sentients n’étant pas la moindre.
L'ouvrage d' Adam-Troy Castro hérite d’une longue lignée de thrillers SF (1), mais pas seulement si l’on se réfère aux fictions citées plus haut. Il s’apparente à un futur classique hanté par des fantômes littéraires, ce qui n’est pas un mince compliment.
Andrea Cort se considère comme un monstre. Objet de fascination et de répulsion aux yeux de sa propre espèce, depuis sa plus sanglante enfance, elle l’est aussi pour les interlocuteurs extraterrestres avec lesquels l’Homsap est amenée à entrer en contact. Liée par un contrat ressemblant davantage à une forme de servitude à vie, elle sert les intérêts du Corps diplomatique, accomplissant la mission délicate d’aplanir les angles avec les autres êtres sentients lorsqu’un humain se rend coupable de crime. Le plus souvent, on lui demande de déterminer ses mobiles ou de trouver son auteur en procédant à une enquête indépendante. Autant dire un travail délicat, où la vérité est souvent suspendue à la compréhension des mœurs étrangères et aux ressorts plus tortueux de la politique. La Confédération humaine doit en effet maintenir l’illusion de l’unité si elle veut continuer à peser dans le concert des nations extraterrestres, du moins sans avoir recours à l’argument hasardeux de la guerre. Elle doit prouver qu’elle est capable de régler sans compromission les problèmes causés par ses ressortissants, en dépit d’une histoire humaine troublée et d’un contexte présent non exempt de chicaneries et de cruauté. Bref, Andrea est un outil, utile mais évidemment sacrifiable, dont l’efficience n’a jusqu’à présent jamais fait défaut, y compris dans les cas les plus épineux.
Émissaires des morts se compose de quatre novellas et du roman donnant son titre à ce fort volume de plus de sept cents pages. Comme le précise Gilles Dumay en avant-propos, le sommaire résulte plus d’un choix éditorial que d’un calcul commercial. Il s’agit en effet de restituer l’évolution psychologique d’Andrea Cort, dont la personnalité constitue l’un des points forts du récit. La représentante du Procureur général du Corps diplomatique se dévoile en effet progressivement au fil d’enquêtes imaginées par Adam-Troy Castro avec plus ou moins de bonheur. Si l’on peut juger anecdotiques« Les Lâches n’ont pas de secret » ou« Une défense infaillible », « Avec du sang sur les mains » et « Démons invisibles » se révèlent très stimulants du point de vue de l’intrigue et de l’exo-psychologie. Mention spéciale sur ce dernier point au second texte, où l’auteur déjoue avec brio un problème apparemment insoluble d’incommunicabilité. En dépit de son aspect classique, tant du point de vue policier que du point de vue science-fictif, Émissaires des morts ne manque cependant pas de fraîcheur, apportant un petit coup de jeune à des motifs old school que n’auraient pas désavoué des auteurs de l’âge d’or américain comme Poul Anderson. Dans un univers dominé par la libre entreprise, la loi du plus fort et la concurrence acharnée, y compris avec les extraterrestres, l’ironie empreinte d’amertume d’Andrea fait écho au traumatisme qu’elle a vécu, ne faisant finalement pas d’elle l’être le plus monstrueux du lot. Bien au contraire, son point de vue apparaît comme un coup de pied mental salutaire, où la science-fiction semble être un outil pour mieux interroger le présent. En cela, Émissaires des morts peut être lu comme un roman noir où l’enquête se mue progressivement en quête plus personnelle, la collecte des faits cédant la place à l’introspection. Une enquête qui ne néglige pas l’aspect science-fictif, proposant quelques belles figures d’altérité radicale, notamment avec les Catarkhiens et les Brachiens, mais aussi, sous couvert des poncifs habituels du space opera, quelques passionnantes réflexions, peut-être un tantinet sur-explicatives, notamment sur le libre-arbitre et la perception de la réalité.
Entre enquête et quête intime, roman noir et science-fiction, Émissaires des morts déploie une palette d’arguments en mesure de séduire l’amateur de science-fiction, mais aussi le lecteur attiré par un questionnement flirtant avec la philosophie et la politique. De quoi réjouir les tenants d’une science-fiction divertissante axée sur les images autant que les idées.
Laurent LELEU Première parution : 1/4/2021 Bifrost 102 Mise en ligne le : 2/10/2024