Alfred Elton VAN VOGT Titre original : Quest for the Future, 1970 Première parution : Ace Books, juillet 1970 (fix-up des nouvelles "Film Library" (1946), "The Search" (1943) et "Far Centaurus" (1944))ISFDB Traduction de Bruno MARTIN Illustration de Wojtek SIUDMAK
POCKET
(Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy n° 5016 Dépôt légal : 4ème trimestre 1977, Achevé d'imprimer : 22 février 1982 Réédition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 3 ISBN : 2-266-00465-4 Format : 10,8 x 17,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
Profiter d'un voyage intersidéral, qui dure 500 ans, vers Alpha du Centaure pour retrouver le Palais d'Immortalité, niché dans un repli du Temps, est peut-être un moyen détourné. Mais Peter Caxton, en quête de son immortalité, n'en a pas de meilleur à sa disposition.
Ce n'est que le début d'un hallucinant va-et-vient dans le Temps, au cours duquel, entre Bustaman et Claudan Jhons, deux Détenteurs d'Immortalité, se livre un fabuleux combat.
Sans cesse projeté dans le nombre infini de mondes probables où il perd et retrouve sa mémoire et son identité, Peter Caxton finira-t-il par ancrer son destin à celui de la belle Selanie ?
Né en 1912 au Canada, Alfred Elton VAN VOGT fait ses débuts en 1939 dans la revue "Astounding stories". Très vite, il s'impose comme l'un des grands inventeurs de créatures surhumaines. En 1947, un sondage révèle qu'il est l'auteur le plus populaire de la science-fiction américaine...
Je vais en venir à ce livre par un itinéraire van vogtien. Peter Caxton est bien parti pour Alpha du Centaure avec l'intention de voyager dans le temps. Le fantastique n'est-il pas le centaure du temps ? Pourquoi pas ? Daniel Riche m'a donné une grande joie en me chargeant de vous parler ici de l'Anthologie du fantastique, présentée chez Presses-Pocket par Jacques Goimard et Roland Stragliatti. J'aurais voulu le faire ce mois-ci, mais c'était impossible, par manque de temps et manque de place. Je voudrais quand même dire aujourd'hui que je tiens ce travail pour une réussite extraordinaire. Courez vite voue procurer ces huit volumes merveilleux, de peur de ne plus les trouver dans quelques jours. Nous en discuterons ensemble le mois prochain.
Passons, ou plutôt revenons à la SF. Le livre-objet a ceci de particulier que, contrairement à celui qui n'est pas un livre-objet, il est un peu plus qu'un objet. Paradoxe de la société décadente, comme dirait de Fast. Avec la collection science-fiction de Presses-Pocket, une certaine perfection est atteinte, qui va probablement marquer une époque. Ce n'est pas assez dire que, pour la première fois, le livre de poche accède au rang d'objet artistique. Trois facteurs se conjuguent pour faire de cette série une sorte de percée technologique : minceur et finesse du livre, exceptionnelle qualité de l'illustration de couverture et homogénéité de la collection. Ne risquez pas de payer dans dix ans deux jours de votre indemnité de chômage le numéro qui vous manquera ! Veillez bien à avoir tous ces livres. Etalez-les de temps en temps devant vous : regardez, jouissez... Il n'y a pas que le talent de Siudmak. La qualité du papier ou je ne sais quoi joue un rôle mystérieux dans la profondeur de l'image. L'invincible(de Lem) et Piège sur Zarkass(de Wul) ont à ce point de vue les couvertures les plus étonnantes. Ma préférence va cependant à la couverture du livre de Francis Carsac, Ce monde est nôtre, entre parenthèses un des meilleurs romans de science-fiction de tous les temps.
... Et la collection de Jacques Goimard est aussi remarquable par sa variété. Classiques anglo-saxons, classiques français voisinent avec un excellent Stanislas Lem et des modernes de tout bord, parmi lesquels il faut citer le plus fracassant des Pelot et un Curval qu'on ne peut qualifier que de différent.
Un Soupçon de néant c'est la science-fiction faite univers. Une réussite égale à celle de Fredric Brown dans L'univers en folie et de Michael Moorcock avec Les Terres creuses. Mais le ton de Curval, il l'a assez prouvé, est personnel et unique.
La maison éternelle est un van Vogt ancien (1950) et extrêmement célèbre. Un des plus classiques aussi : une histoire d'immortalité, avec un grand personnage van vogtien, Stephens Allison.
Mission stellaire date de 1952 et appartient — plutôt deux fois qu'une — à la veine épique de Van Vogt. Voici l'ambiance : « Quand il arriva à portée optique, il apparut dans la clarté éblouissante de l'étoile jaune-blanc, plus grand que tout ce qu'on avait vu jusqu'alors parmi les Cinquante Soleils. Cela ressemblait à quelque vaisseau infernal venu du fond de l'espace, à quelque monstre d'un monde semi mythique... (...) L'Histoire donnait d'ailleurs de terribles avertissements concernant ce qui arriverait un jour... et ce jour était venu, » (p. 7).
Quête sans fin est un van Vogt relativement récent, puisqu'il date de 1970. Il reprend, dans un style plus intimiste et plus psychologique, quelques-uns des thèmes qui ont toujours été chers à l'auteur du cycle non-A. L'immortalité, en particulier. Ce beau roman d'action, un des meilleurs parmi les derniers van Vogt, est aussi, au deuxième degré, un retour sur lui-même de l'écrivain, une rêverie mélancolique sur le futur flamboyant qu'il avait créé autrefois. Cela, Guy Béart le chante aussi : « L'avenir, c'était plus beau hier... » (titre d'une chanson du disque FFF).
Van Vogt ne renie rien du passé et il se sauve par d'autres moyens. Ses personnages sont plus humains. Ils sont même très humains : pauvre Peter Caxton, plein de désirs fous et maladroit comme il n'est pas permis. Peter Caxton qui attire la guigne, fait le vide autour de lui, reçoit beaucoup trop de coups sur la tête, mais veut quand même être immortel et n'hésite pas à entreprendre la plus fantastique des quêtes. « Je suis en quête de l'immortalité, et j'apporte à cette quête le même fanatisme que les croisés d'autrefois, » (p. 167). Caxton est souvent pathétique, dans sa passion, sa fébrilité et sa fragilité. C'est le plus attachant des personnages de van Vogt.
Le Palais de l'Immortalité, sur lequel règne Claudan Jhons, le Détenteur, est plus lointain que la maison éternelle. Ce n'est sans doute pas un hasard. Comme ses Illustres devanciers, le héros de Quête sans fin connaîtra des aventures fabuleuses à travers l'espace et le temps ou dans l'infinité des mondes probables, sans que l'intérêt du lecteur faiblisse, mais il ne deviendra jamais un super-héros. Et l'éternité... L'éternité pouvait bien attendre : ainsi se terminait le van Vogt de 1950. Pas de solution de continuité... Quête sans fin s'achève sur un dialogue dans une cuisine en 1981 et sur une rêverie d'un personnage secondaire en train de contempler le ciel. « Le beau sombre de la nuit palpitait du mystère immense de l'univers » C'est dur d'être van Vogt en ces temps étranges. Un livre poignant.
Une fois encore, Quête sans fin illustre la méthode principale de notre auteur pour ses romans : le fix-up, ici de trois textes courts publiés longtemps auparavant dans Astounding. Soient la nouvelle « Destination Centaure », en 1944, et « La quête » (1943) et « La Cinémathèque » (1946), deux récits sensiblement plus longs. Le moins que l’on puisse dire est qu’ici, cet assemblage hétéroclite montre rapidement ses limites, aussi bien en termes de cohérence que de qualité. De fait, « Destination Centaure » est très au-dessus des deux autres textes — rien d’étonnant à ce qu’il bénéficie d’une notoriété supérieure.
À la fin des années 70, des boites de films éducatifs, destinés à des écoles ou des conventions professionnelles, contiennent tout autre chose que ce que leur étiquette indique, à savoir des aperçus aux « effets spéciaux » extraordinaires d’autres mondes du Système solaire ou d’engins futuristes. La cinémathèque qui les fournit est incapable d’expliquer la substitution ou la provenance de ces films (ils viennent en réalité du futur et montrent des scènes authentiques). Lorsqu’un professeur de physique de lycée perd son emploi en partie à cause de ces courts-métrages (mais surtout du fait de ses propres paranoïa et malveillance), il décide de résoudre le mystère. Sitôt sa décision prise, c’est le voile noir (et la fin de la partie correspondant à « La Cinémathèque »). Il se réveille deux semaines plus tard, désormais représentant de commerce, et incapable de se souvenir de ce qui lui est arrivé dans l’intervalle. En menant l’enquête, il va découvrir que des voyageurs se déplaçant dans le Temps et les mondes parallèles opèrent sur Terre. Il va alors pénétrer dans le Palais d’Immortalité, un endroit extraordinaire logé dans un « repli du temps », où l’on rajeunit au lieu de vieillir (ce qui rappelle la très postérieure « Maladie de Merlin » de Dan Simmons). Un repli au bout duquel l’Histoire, ou plutôt toutes les Histoires, finissent (comme dans le récent Terminus de Tom Sweterlitsch). Une fois renvoyé dans son époque d’origine, Peter Caxton n’aura de cesse de retourner dans le Palais et d’acquérir l’immortalité, pour se retrouver pris dans la guerre temporelle que se livrent deux Détenteurs – ces humains capables de se déplacer librement dans le Temps.
On connaissait le space opera d’un côté, le time opera de l’autre : ici, van Vogt invente le « space-time opera », quand tous les moyens sont bons pour Caxton pour tricher avec la mort : repli du Temps, donc, cryogénie, « soleil célibataire » dont l’approche catapulte un vaisseau dans une autre époque, et surtout un voyage infraluminique d’un demi-millénaire en catalepsie vers Alpha du Centaure – la partie correspondant à « Destination Centaure », de loin la plus claire et la plus intéressante de cet assemblage (notamment via l’énorme choc culturel et psychologique qui attend les astronautes à l’arrivée). Si tout cela semble bel et bon, l’exécution (ou la traduction ?) est calamiteuse : la pseudoscience de van Vogt est floue, mal ou trop tardivement expliquée, datée et bancale (« la vélocité est égale au cube de la racine cubique de GD »), et l’ensemble du roman vacille sous le poids d’un empilement de concepts de voyage dans le temps et d’univers alternatifs nébuleux, une intrigue particulièrement confuse pour laquelle le lecteur perd peu à peu tout intérêt. Certains passages demeurent cependant fascinants, telle la partie correspondant à « Destination Centaure ». Rien que pour l’ambition, l’imagination, lesense of wonder dont fait preuve l’auteur, Quête sans fin reste donc une lecture stimulante, à défaut d’être pleinement enthousiasmante.
APOPHIS (site web) Première parution : 1/4/2020 Bifrost 98 Mise en ligne le : 13/1/2024