En apparence, le sujet rêvé pour Brussolo : l'exploration d'un monde biologique, un animal-planète qui dort en dérivant dans l'espace, un monstre dont les arbres sont des poils, les failles géologiques les narines (on attend le trou du cul et autres joyeusetés, mais hélas l'auteur évite la guignolade comme le scatologique : dommage !), les volcans en éruption des boutons à pus, qui crèvent. La « bête-montagne » d'Almoha, qui vient de
Sommeil de sang (Denoël) grâce à un ingénieux transfert interéditeur, pourrait aussi être dotée d'une « grandeur : mythique à la Wul, autre chantre du gigantisme... Mais Brussolo s'en tient à un catalogue d'effets spéciaux, à une cartographie épidermique dont on voit vite les limites : les scientifiques qui étudient la bête se nourrissent d'elle, en absorbent les toxines mutagènes et tératologiques, deviennent monstrueux à leur tour, ou fous : certains rajeunissent à moitié, ou vieillissent à moitié, d'autres « s'enterrent » sous l'épiderme du monstre, il y a des clans qui se combattent, des épidémies bizarres. Bizarre ? Vous avez dit bizarre ? Rien dans toutes ces péripéties ne surprend vraiment : la force de Brussolo, c'est l'effet-puzzle, l'accumulation tous azimuts (à l'œuvre dans
Les mangeurs de murailles ou
Les semeurs d'abîmes) ; ici, la ligne unique devient sagesse, presque pauvreté. De plus, l'auteur, qui n'a aucunement besoin de justifier ses fantasmes et ses images mentales, a dû récemment potasser un bouquin de biologie pour fortifier sa maîtrise du corporel ; et ce qui passait si bien à l'état brut s'alourdit maintenant d'explications scientifiques dont on se passerait volontiers.
Bref, ce dernier Brussolo est une déception. Mais attention : un Brussolo décevant vaut bien deux barils de capitaine de gendarmerie.