Qui raconte les histoires que l'on va lire ?
Qui crée et manipule les destins souvent atroces
de leurs personnages ?
Serait-ce l'étrange voix qui s'enroue et résonne
sur la côte déserte,
avec pour seuls auditeurs les crabes du rivage ?
Serait-ce au contraire l'ultime survivant
d'une communauté polaire dont, depuis des siècles,
les moines voyagent vers les étoiles
en s'infiltrant dans les rêves de ceux qui souffrent ?
Ou bien les deux conteurs ont-ils engagé un combat
et confondent-ils leurs imaginations
en un seul labyrinthe ?
Une certitude en tout cas :
le voyage vers les étoiles
ne s'accomplit que dans la douleur.
Ainsi la formule l'oiseau, le woek :
"L'espace n'est construit ni d'éther ni de vide,
mais de souffrance abjecte et de désespoir."
L'auteur :
Quoique né après la Seconde Guerre mondiale,
A. Volodine a été contacté dès 1986
par les Gardiens du Schibboleth.
Il a également publié trois romans dans la présente collection,
dont Rituel du Mépris
(Grand Prix de la Science-Fiction française 1987).
Critiques
Au bout de trois livres, la plupart des lecteurs français de science fiction se seront sans doute fait une opinion sur Volodine, et ce n'est pas ce roman qui va la changer. Une fois de plus, on peut s'attendre à des réactions indignées de ceux qui voudraient lire un roman de SF, et à l'enthousiasme, peut-être de commande, de ceux qui voient en Volodine un grand littérateur.
Pourtant, les renvois entre les divers fragments du livre sont cette fois-ci nombreux et clairs ; il ne manque à l'intrigue que la linéarité du déroulement, que le ciment solide que donnent suspense et dénouement. On ne les trouvera pas ici, et on sera tenté de lire le tout comme une collection de tableaux vivants, d'instantanés d'autres planètes. Desquels il ressort que la vie n'est pas gaie dans la Galaxie, et que partout les « mutants » qui rêvent d'espace, et savent qu'on peut le traverser par la douleur, sont persécutés par les « normaux ». Pogrome est un des fragments qui ressemble le plus à une nouvelle indépendante, comme pour prouver que Volodine est capable de cela aussi, malgré le titre (qui suggère que les mutants, leur triste sort et leur gloire intérieure, ont beaucoup en commun avec les tribulations du peuple juif), le récit fait penser à l'Amérique Latine. Effet des noms, essentiellement ; il faut avouer que Volodine s'est montré moins créatif ici que dans Rituel du Mépris. A nouveau pourtant il exploite sans le dire l'histoire tourmentée de notre siècle, avec des scènes placées directement en Russie, ou le personnage d'Ulrike : le fragment qui lui est consacré indiquerait Ulrike Meinhof, de la Rote Arme Fraktion (« bande à Baader »).
Bref, Volodine continue de jouer avec le style, de taquiner le lecteur — « C'était un discours parfois insaisissable, décevant, parfois structuré et bien net », avoue-t-il dès la page 27, « cet éternel retour aux mutants de Woorakone avait des aspects lassants », p. 196, et maintes remarques dans le corps du texte. Toutes les expériences ne sont pas couronnées de succès, et la souffrance universelle finit par se ressembler. Mais les tableaux réussis sont poignants.