Sans complexe littéraire, Serge Lehman ne recule devant aucun effet, et c'est tant mieux. Que l'on se souvienne de la très jubilatoire scène finale du tome un où Chan et David mettaient en déroute une horde de B-Men tout en haut de la tour imprenable d'Aéropolis ! Plus fort que Rambo, Schwarzie, James Bond et Bruce Willis réunis !
Le tome 2, lui, démarre façon Les Douze Salopards (où comment des têtes brûlées en tout genre vont être les derniers remparts de la démocratie) et lorgne très rapidement du côté des X-Men (la fameuse BD Marvel signée initialement par Stan Lee), ces mutants aux super-pouvoirs mais souvent déchirés par leurs problèmes relationnels, qu'entraîne le professeur Xavier.
Bien évidemment, Lehman ne se limite pas à ce niveau basique du roman populaire. Tout d'abord, il suit pas à pas à l'entraînement de ses Défenseurs, analysant leur lente transformation en surhommes par la nanochirurgie, décortiquant leurs motivations (éternel pacte faustien : ont-ils vendu leur âme ? et si oui, à qui et pourquoi ?), s'efforçant par avance de réfuter l'éventuelle accusation de prôner le justicier fascisant (« Nous sommes une incarnation légale de la colère », dira l'un des Défenseurs). Ensuite, il enchâsse avec maestria les archétypes du roman d'aventures dans une fine réflexion sur le monde ultralibéral de la fin du XXI
e siècle, débouchant ainsi sur un impressionnant et captivant thriller économico-politique (d'ailleurs, dans ce volume, les Défenseurs ne seront même pas opérationnels et tout se jouera quasiment dans les coulisses du pouvoir !). Mais surtout, il joue avec les codes du roman populaire et de la SF. Exemple : pour souder leur groupe (surnommé le set de l'éléphant), les Défenseurs accomplissent le rituel de l'échange des sangs. Vieille tradition digne du Club des Cinq ? Au contraire, nécessité absolue pour que les Défenseurs, dont les fluides vitaux sont saturés de nanomachines, puissent se reconnaître et se tolérer. La cerise sur le gâteau, c'est de deviner les grandes influences qui irriguent ce roman et que Lehman assume pleinement
1 : l'image dickienne de l'intercesseur apparaissant dans le ciel virtuel d'Enversmonde, le côté Homo Gestalt sturgeonien du set de l'éléphant et même l'auto-référence au
Haut-Lieu !
Impressionnante histoire du futur en prise totale avec le monde actuel
2, déclaration d'amour à la science-fiction parcourue de bout en bout par un plaisir d'écrire communicatif, la série
F.A.U.S.T. est bien plus que « l'indice supplémentaire du grand renouveau de la SF française »
3, elle en est l'incarnation incandescente.
« Nous nous battrons avec nos rêves », avait écrit Michel Jeury dans Les Singes du temps. « Ensemble nous tiendrons ; divisés nous tomberons », lui répond, plus de vingt ans après, le wonderboy.
Notes :
1. En fait, je réagis toujours aux histoires des autres comme si elles étaient un défi personnel. » (Entretien réalisé par André-François Ruaud, in La Sidération, recueil de Serge Lehman — coll. Lettres Science-Fiction, co-éditions Encrage/Destination Crépuscule.)
2. Dont l'approche économique est à rapprocher de celle développée par G. J. Arnaud dans La Compagnie des glaces, en cours de réédition au Fleuve Noir.
3. Critique de Stéphane Nicot dans Galaxies n°2.
Denis GUIOT
Première parution : 1/12/1996 dans Galaxies 3
Mise en ligne le : 1/12/2001