Le décor : une France prise dans l’engrenage de guerres mondiales et atomiques. L’action : une consultation médicale, un voyage à travers la France, un autre (sur les quatre dernières pages) dans le temps. Les personnages : des ratés divers. Où diantre sont passés l’archange et son épée ?
Il est bien question, dans ce qu’on peut à la rigueur considérer comme le centre de la scène, d’une sorte de médecin psychiatrique, qui affirme régulièrement son omniscience, fait de pesantes allusions à l’« Autre » et s’appelle, pour éviter toute équivoque sur sa personne, le docteur Satan. Mais ce pauvre diable manque singulièrement de relief et d’envergure. Il se révèle effectivement difficile à annihiler, mais il ne réussit en fin de compte qu’à faire tuer le financier qui venait lui demander protection.
Car c’est ainsi que s’ouvre le roman. Sur une bonne cinquantaine de pages, Louis Basile Loewenstein explique audit Satan qu’il va être assassiné, et reçoit les assurances les plus emphatiques de son interlocuteur : mais bien sûr, il va être protégé, cet assassinat sera évité, il y a d’ailleurs sous la main – ou presque – juste l’homme qu’il faut pour cette tâche. Entre en scène Fenris, militaire et déserteur qui paraît avoir la sympathie de l’auteur. Il est racolé par la secrétaire à tout faire de Satan, voyage et couche avec elle, tente de tuer Satan, puis de s’enfuir, est engagé par Loewenstein, et le tue. Fin de Loewenstein, donc, et fin également du roman. Si la première laisse indifférent, la seconde fait en revanche plutôt plaisir.
Pourtant, l’écriture de ces pages est souvent soignée, l’application de l’auteur, évidente. Mais il y a une disproportion considérable entre cette application et ce qui en est l’objet. L’idée d’une reconstitution méthodique et soigneusement planifiée par l’industrie n’est pas mauvaise, et donne lieu à des notations d’une saveur insolite : « Selon les programmes en cours, vous devez jeter sur le marché, dès l’année prochaine, les fusils à répétition, les mitrailleuses, les moteurs à explosion et les tanks. » Mais les invraisemblances sont là, elles aussi : bien qu’entraînée dans une guerre qui dure depuis longtemps, la France imaginée par l’auteur possède des routes à peu près intactes, puisque Fenris et la secrétaire se rendent en voiture en une nuit de Marseille à la capitale. La navigation est encore surtout à voile, mais on spécule à la Bourse. La majorité des gens ignore ce qu’est un revolver, puisqu’il n’en existe qu’un seul exemplaire (ce serait pourtant quelque chose d’assez utile, dans une guerre, non ?) mais on travaille à la réalisation d’une machine à voyager dans le temps. Si l’auteur a voulu évoquer l’absurdité foncière de la guerre, il y est certainement parvenu. S’il a cherché à brosser un décor cohérent, sa réussite est beaucoup plus contestable.
Comment s’étonner, en considérant une telle toile de fond, de ce Satan étriqué qui est mis en scène ? Ceux qui ont lu Je suis le ténébreux de Monique-Alika Watteau trouveront ici comme là un Lucifer attaché à la profession médicale. Mais la ressemblance ne va guère plus loin. Alors que le Ténébreux possédait une grandeur inquiétante, ce pauvre docteur Satan ne suscite qu’un sourire un peu apitoyé, tant est grande la disproportion entre ce qu’il se proclame et ce qu’il se révèle. Si c’est là l’Archange du titre, il est terriblement déchu. Quant au sieur Fenris, mieux vaut se borner à remarquer qu’il constitue un produit plausible d’une époque déréglée.
Les dialogues sont longs, l’action demeure hésitante et maladroitement évoquée ; en comparant les premiers à la seconde, on arrive à résumer l’impression d’ensemble que laisse ce roman : passablement de bruit pour pas grand’chose.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/4/1964 dans Fiction 125
Mise en ligne le : 29/12/2023