Dès la couverture nous sommes au fait : ces fleurs d'aspect et de ton désuets nous disent assez que nous ne devons attendre ni monstres galactiques, ni maîtres du cosmos, ni robots déconnectants.
Philippe Curval a choisi, sans doute par opposition à tant d'aventures caracolantes, de nous conter un récit très simple, presque linéaire, avec des personnages à la mesure de ceux que nous rencontrons tous les jours, et il a fort bien fait. Son récit, un peu maigre, y gagne en chaleur et en vérité ; les personnages de sexe opposés se différencient par autre chose que des caractéristiques grammaticales. Curval a réussi ce que Serge Martel rata si brillamment dans « L'aventure alphéenne » : la crise vue du point de vue d'une famille, d'un petit groupe participant au bouleversement général, sans en être nécessairement les éléments moteurs. Et ici Terriens, Vénusiens, métis des deux races, sont tous des individus moyens, dont les préoccupations personnelles sont souvent plus importantes que la révolte qui couve.
Le livre n'est pas sans défaut, du moins pour ceux qui font leurs délices des belles intrigues et du mouvement. Il est lent après, un début assez rapide – c'est que le véritable personnage du roman, celui qui apparaît et reparaît sans cesse, c'est la flore de Vénus. Ce sont les fleurs dont les exhalaisons méphitiques rendent mortelles les nuits de la planète, et claquemurent les Terriens dans les trois villes : Lantica, Oxluta et Perlema. Ce sont elles qui sont à l'origine de cette division de la population en castes fermées, et qui emplissent cet univers végétal d'un chatoiement mortel. Elles encore qui fournissent aux révoltés de « La Fleur Pourpre » l'orchilda et qui développent le sens télépathique des métis. Enfin c'est la planète elle-même qui, en déchaînant la tempête, assure, sans résistance ni combat, la victoire aux rebelles.
Pour un bon tiers, le livre n'est que la lente description de ce monde à la fois semblable au nôtre et totalement différent. Et ce monde, Curval sait le peindre. Je suis de ceux qui ont aimé « Surface de la planète », dont je trouvais le langage parfaitement accordé au sujet. Ce langage n'eût pas été de mise ici, et je loue de même Curval pour son écriture, à l'opposé de celle de Drode, mais tout aussi parfaitement adaptée au récit.
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/1/1961 dans Fiction 86
Mise en ligne le : 29/1/2025