Il serait difficile de ne pas évoquer ici Olaf Stapledon, dès lors que l'ouvrage de John Taine, alias Eric Temple Belle, affirme au sein de son bavardage une vocation philosophique ou mieux encore métaphysique. Qu'importe l'intrigue, semble nous répéter le texte : seules comptent les visions cosmiques qui forment son arrière-plan. Malheureusement, la théorie de Taine quant à la nature du Temps s'enlise de délayages en délayages, là où les illuminations cosmologiques de Stapledon atteignent à la poésie pure.
John Taine est en effet bavard, et ses personnages sont marqués au coin de ce défaut. Déjà, dans Avant l'aube, les commentaires du narrateur alourdissaient considérablement les aventures de Belshazzar, ce saurien pourtant sympathique. Le flot du temps raconte les aventures de quelques rescapés d'Eos, planète morte enlisée dans les strates du passé, qui ne cessent d'accomplir une navette entre leur monde et le nôtre dans le but d'éviter la catastrophe ultime. On ne peut certes exiger du mathématicien de CalTech un time-opera façon Patrouille du Temps, mais les voyages des Eosiens ne semblent prétexte qu'à causeries interminables. Le style légèrement marqué n'arrange évidemment rien (la traduction française parut au « Rayon Fantastique » en 1957, et cela se voit...).
Sans doute Taine aborde-t-il quelques thèmes dont le traitement fit, et fera encore, de la littérature d'exception : l'affrontement de la liberté et du choix individuels face à la raison du nombre, la réflexion sur la complexité et la pluralité du réel (« Dans l'univers réel, les choses ne s'ajustent pas toutes ensembles comme les morceaux d'un puzzle d'enfant »). Mais il lui manque ce qui nourrit d'autres œuvres, telle celle de Stapledon pour le citer à nouveau : un souffle épique.
Au terme du récit, on ne peut se départir du sentiment que toutes les théories absconses, voire fumeuses, exposées ici quant à la circularité du flot temporel finissent par nous ramener, tout simplement, à l'un des plus anciens mythes de l'humanité — l'éternel retour ! Et coucou, Cocteau... Beaucoup de bruit... aurait dit Shakespeare.
Au fond, le meilleur dans ce livre, cela reste la couverture de Nicollet. Peut-on changer le futur, se demandent avec angoisse les protagonistes ? Personnellement je m'avoue incompétent sur ce point — mais changer ainsi la Joconde, alors oui, on peut, on doit, et c'est salubre.