Kate WILHELM Titre original : Where Late the Sweet Birds Sang, 1976 Première parution : New York, USA : Harper & Row, janvier 1976ISFDB Traduction de Sylvie AUDOLY Illustration de Stéphane DUMONT
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 234 Dépôt légal : 2ème trimestre 1977, Achevé d'imprimer : 1 avril 1977 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : néant Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Riches propriétaires terriens, les Sumner, pressentant que la pollution et la guerre vont tout ravager autour d'eux, ont construit, dans leur domaine de Virginie, un centre de recherches scientifiques qui leur permet de survivre en économie fermée.
Et quand, au lendemain du cataclysme, on s'aperçoit qu'hommes et femmes sont devenus stériles, la solution est là, toute prête :
produire des bébés par cloning.
Mais, à mesure que les générations se succèdent, une question se pose, terrifiante : ces clones, sont-ils encore des hommes ?
Interrogation angoissée sur les capacités de survie de l'espèce humaine, ce roman d'une grande force dramatique offre une vision déchirante d'un avenir possible.
L'auteur :
Kate Wilhelm, qui vit en Floride, est la femme de Damon Knight, le célèbre anthologiste et découvreur de talents.
Elle a publié des romans et un grand nombre de nouvelles que la critique, spécialisée ou non, a salués avec admiration et qui lui ont déjà valu un Nébula.
Critiques
Condamnée par ses propres excès, l'humanité semble promise à une fin prochaine. Mais les Sumner, riche famille de Virginie, refusent de capituler. Ils décident donc de créer un centre de recherches biologiques sur leur vaste domaine, et c'est le jeune et brillant David qui sera chargé de superviser les travaux. Le but est simple : leur permettre de survivre — et avec eux, le genre humain — par tous les moyens possibles. David se consacre alors corps et âme à sa tâche, malgré la douleur d'être séparé de la jeune femme qu'il aime, sa cousine Celia, qui choisit de partir en Amérique latine pour aider les populations locales...
Bien sûr, Hier, les oiseaux traite de sujets extrêmement préoccupants : l'autodestruction inéluctable de l'humanité dans un monde saturé de pollution, ravagé par la guerre et les épidémies, et ruiné par les inégalités nord-sud (notons au passage que rien dans le texte ne laisse supposer que l'histoire se déroule dans un futur lointain, bien au contraire). Frappés de stérilité, les hommes espèrent vaincre leur disparition programmée par la généralisation du clonage. Mais un clone reste-t-il un être humain ? La question, on s'en doute, ne saurait être tranchée aussi facilement. Certes, le clone ressemble physiquement à son modèle, il s'exprime comme lui et obéit aux mêmes besoins naturels. Mais les mécanismes sociaux, eux, diffèrent complètement. Si l'on devait trouver un système comparable, ce serait peut-être celui des sociétés d'insectes tels que les abeilles ou les fourmis. Leur population se divise en catégories bien distinctes (reproductrices, ouvrières, exploratrices...) ; l'individu, dont l'existence est dénuée de sens en tant que tel, œuvre uniquement pour assurer la survie du groupe social dans son ensemble. L'apparition inopinée de l'individualisme dans un tel contexte n'est d'ailleurs pas sans évoquer un temps des changements à la Silverberg, dans un registre toutefois moins violent.
La narration, non linéaire (le roman se compose de trois parties, séparées chacune par plusieurs années), sert parfaitement le propos de l'auteur. Par une démarche qui rappelle celle de la microhistoire 1, Kate Wilhelm préfère rester au contact permanent d'une poignée de personnages, pour laisser le lecteur en déduire le futur possible de l'humanité dans sa globalité. On pourrait reprocher à Kate Wilhelm de s'être facilité la tâche en choisissant un microcosme remarquable entre tous, voire exceptionnel. C'est possible. Mais dans le monde qu'elle imagine, où les télécommunications de masse ont disparu, rien n'indique qu'un scénario comparable au sien n'est pas survenu en un autre endroit de la planète. D'une certaine manière, la réalité effroyable de l'avenir envisagé par l'auteur n'est pas directement perceptible dans la description méthodique des cataclysmes engendrés par la folie des hommes, mais plutôt par la façon dont ceux-ci vont affecter douloureusement la vie de quelques personnages isolés : amoureux déchirés, mère séparée de son enfant, inadaptation sociale d'un individu.
Texte sensible, Hier, les oiseaux n'assène donc pas les questionnements éthiques avec lourdeur ou agressivité, mais les laisse subtilement s'insinuer dans l'esprit du lecteur. Ce dernier retiendra-t-il de sa lecture la sombre vision d'avenir de Kate Wilhelm, ou la note d'optimisme apportée par l'épilogue ? Au moment où le clonage humain devient une éventualité scientifique concrète, ce roman, lauréat des prix Hugo et Locus en 1977, prend une dimension supplémentaire qu'il appartient à chacun de (re)découvrir.
Notes :
1. L'école microhistorique s'attache à l'étude d'un groupe social réduit, dans une période limitée, pour en tirer le cas échéant des conclusions générales sur un groupe social plus étendu dans une période historique plus large.
Kate Wilhelm, auteure de trente romans, a obtenu de nombreux prix dont deux Hugo, trois Nebula et un Locus. Avec son mari Damon Knight, elle animait des conférences qui ont poussé Robin Scott Wilson à fonder les ateliers d’écriture Clarion dans lesquels elle s’est fortement impliquée. Le prix Solstice décerné par l’association Science Fiction Writers of America pour récompenser les auteures ayant eu une influence significative sur la science-fiction a été rebaptisé, en son honneur, prix Kate Wil-helm Solstice. Kate Wilhelm est donc une autrice importante dans le monde anglophone. En France, la collection « Présence du futur » des éditions Denoël a publié huit de ses titres entre 1977 et 1987. Et depuis cette date, son œuvre est absente des rayonnages des libraires. Le Livre de Poche vient de rééditer Hier, les oiseaux, roman écrit en 1976, et premier titre traduit en français en 1977, année pendant laquelle il a été couronné des prix Hugo, Jupiter et Locus — rien que ça…
Imaginez un joli coin de Virginie, doté d’une terre fertile et traversé par une rivière poissonneuse. Une famille de riches propriétaires terriens, pressentant la fin de la civilisation, s’y installe et y développe une communauté auto-suffisante : champs, bétail, habitations, usines de transformation et même un complexe de recherche à la pointe de la technologie. Leur prédiction s’avère juste : pollution, changement climatique (ici un refroidissement global de la température — l’hypothèse de la survenance d’une ère glaciaire était sérieusement envisagée par la communauté scientifique des années 70) entraînent bientôt de nombreuses catastro-phes, et le reste de l’humanité, agonisante, sombre peu à peu dans le chaos. La communauté elle-même est touchée : la fertilité chute chez tous les mammifères, femmes et hommes inclus, condamnant ainsi l’espèce humaine à brève échéance. Le recours au clonage semble être la meilleure solution en attendant un retour à la normale.
Le roman se décompose en trois parties, chacune s’attachant à une génération : celle de la catastrophe, celle de la survie et celle de la renaissance avec pour chacune d’entre elles un angle de vue très resserré. Kate Wilhelm s’intéresse plus au fonctionnement de cette communauté fermée, à son évolution et aux interactions humaines, qu’au clonage en lui-même. Très vite, le fossé se creuse entre les générations, et les règles de la communauté évoluent en fonction des jeux de pouvoir internes. Les clones sont « produits » par groupe et développent un lien émotionnel et mental qui confine à la télépathie avec leurs « frères » ou « sœurs » qui, presque identiques, partagent les mêmes goûts. La séparation et l’éloignement génèrent un stress psychologique intense et, souvent, une incapacité à revenir s’intégrer dans le collectif. Au fil du temps, l’individualité s’efface au nom de l’intérêt collectif avant de devenir une tare puis une menace à éradiquer pour le maintien de l’ordre so-cial. La seconde génération de survivants, composée majoritairement de clones, décide de ne pas revenir au mode de re-production antérieur. La sexualité, débarrassée de sa fonction reproductive, se libère et devient un terrain de jeux et de plaisirs. En parallèle, les instances dirigeantes peuvent décider de quel type de profil a besoin la communauté : les clones héritent des aptitudes de leur modèle et, en vase clos, se révèlent incapables de faire preuve de créativité ou d’imagination. Et quand advient le temps d’explorer le monde et ses ruines, la survie demande des qualités et des capacités d’adaptation perdues depuis longtemps…
Sur la thématique du clonage, le roman accuse un peu son âge. En revanche, les questions éthiques sur ses conséquences sociales restent pertinentes, plus de vingt ans après le clonage de la brebis Dolly. Loin de s’inscrire dans le courant des dystopies glaçantes, Hier, les oiseaux déroule son propos avec une subtilité rafraîchissante et mérite la lecture.
Karine GOBLED Première parution : 1/10/2018 Bifrost 92 Mise en ligne le : 15/6/2023