L’idée de départ était ingénieuse : l’écrivain de S.F. Alan Fraser, qui vit dans un village anglais vers 1965, est aussi Hagan Arnold, espion de l’an 2016. Nous sommes bien en fait en 2016 ; Arnold avait été envoyé en mission, pour le compte de l’Alliance Occidentale et de son chef Juilius Minsterly, de l’autre côté du rideau de bambou, dans la République des Peuples Sinoasiatiques. Son entraînement d’espion comportait l’implantation dans son subconscient d’une « psycho-barrière » chargée de le rendre amnésique en cas de douleur physique. Par suite d’un accident d’hélijet au retour de cette mission, la « psycho-barrière » s’est déclenchée. Les responsables du conditionnement précédent ont reconstitué un homme artificiel, Alan Fraser, qu’ils ont placé dans un monde artificiel, un village anglais de 1965. En suggérant à cet homme d’écrire « l’autobiographie fictive » d’un espion de 2016 nommé Hagan Arnold, ils espèrent faire resurgir le souvenir de sa mission.
L’expérience va échouer. Survient d’abord Karen, jeune fille membre du personnel de la Ferme d’État n°39, dont la rencontre avec Fraser contribue à éveiller chez celui-ci méfiance et soupçon envers le « village » et ses « habitants ». Un « jaune » s’est d’ailleurs infiltré parmi eux et tente par deux fois de le tuer avec un laser. Grégory Galéa, ancien ami et collègue d’Arnold, s’est aussi glissé parmi ces « habitants » (en fait membres de la Sécurité Intérieure). Mais, pour lui, le but de l’expérience est de créer un homme esclave, soumis aux ordres tyranniques des psychotechniciens et de Minsterly.
Mais surtout, l’expérience a développé chez Fraser-Arnold une extraordinaire puissance mentale accompagnée de monstrueuses transformations physiques. Grâce à sa puissance mentale, il « tue » à distance l’espion jaune, sauve Karen et Galéa de Minsterly venu aux nouvelles, en provoquant un accident d’hélijet. Minsterly est tué. Le monstre prend alors possession de son corps. « Il était le chef de l’État et il tenait le pays dans le creux de sa main. Et non seulement le pays, mais le monde. »
Dans une histoire aussi enchevêtrée, seules l’habileté de la construction et la profondeur des caractères peuvent retenir le lecteur. Or L’homme artificiel souffre d’un grave défaut de construction : la première partie, la meilleure, est trop développée ; la seconde, le récit d’espionnage, touffue et surchargée ; la fin, beaucoup trop rapide. Cette disproportion se ressent cruellement dans la peinture des personnages : Fraser nous intéressait, Arnold devient bien flou, le mutant final nous est inconnu. Les autres personnages sont inexistants. La partie espionnage manque de vraisemblance. On s’étonne de la multiplicité des erreurs commises dans une expérience aussi importante (infiltration de deux éléments étrangers dans une équipe soigneusement triée, arrivée imprévue de Karen, disputes continuelles des responsables). Côté S. F., le conditionnement d’Arnold paraît trop automatique. Quant au monde de 2016, il vient directement d’Orwell et surtout d’Huxley.
L’auteur, partagé entre des directions différentes, n’a pas su choisir et n’a pas réussi à maîtriser son sujet. Son roman en est devenu à la fois schématique et confus.
Alain GARSAULT
Première parution : 1/12/1967 dans Fiction 169