Les nouvelles et romans qui composent
L'Histoire du futur furent écrits pour la plupart entre 1939 et 1950. Ce qui impressionnait beaucoup de lecteurs à cette époque fut le fait que ces textes étaient rédigés en suivant une chronologie établie dès le début (celle reproduite par
John Campbell dans les pages
d'Astounding en mai 1941). Certes, Heinlein ne fut pas le seul auteur dans cette période à projeter des grands schémas historiques dans l'avenir (on pense notamment à la série
Fondation d'
Asimov ou
Les derniers et les premiers d'
Olaf Stapledon), mais le sien, en partant du présent et en focalisant principalement sur un futur assez proche, est devenu par la suite un modèle. Pourtant, ce plan d'ensemble est loin d'être parfaitement réalisé. Le cycle contient des lacunes et des anomalies évidentes et Heinlein s'est vu obligé de remanier sa chronologie à plusieurs reprises avant de finir par la renier (raison pour laquelle les responsables de cette réédition ont décidé de ne pas la reproduire à nouveau).
Ce qui pourrait frapper les esprits des lecteurs d'aujourd'hui, par contre, est d'abord l'ampleur de la vision de Heinlein, le fait qu'il prenait en compte non seulement les développements scientifiques et technologiques possibles, avec plus ou moins de succès, mais aussi toute une série de facteurs politiques, économiques et culturels qui pourraient influer sur le progrès. Et aussi qu'il a conçu ce progrès de façon non-linéaire, comme un processus marqué par des crises, des à-coups, des mouvements de recul et des sauts rapides en avant, selon une logique presque... dialectique.
Les nouvelles du premier tome s'étalent sur la période située entre 1940 et 2000. En lisant
Les routes doivent rouler ou
Il arrive que ça saute on s'étonne de constater que Heinlein a su dès 1939-40 identifier la pénurie énergétique et la dépendance technologique, ainsi que les risques du nucléaire, comme problèmes majeurs à résoudre, même si les détails se sont révélés parfois erronés et les solutions qu'il y trouvait (comme les routes mécanisées, par exemple) prêtent parfois à sourire. Mais le défi principal est celui de la conquête spatiale, abordé de face dans
L'homme qui vendit la Lune. Curieusement, dans ce récit Heinlein donne les moyens technologiques comme pratiquement acquis, mais son héros, D.D. Harriman, doit faire des merveilles pour vaincre les résistances d'ordre politique, commercial et psychologique à entamer cette nouvelle étape de l'espèce humaine.
C'est peut-être pour cette raison que la plupart des nouvelles qui suivent dans le deuxième tome mettent en scène la vie dans l'espace, sur la Lune ou les autres planètes, telle qu'elle serait vécue par des gens plutôt ordinaires. Beaucoup de ces textes-là parurent pour la première fois non pas dans les revues spécialisées comme
Astounding, mais dans des publications comme le
Saturday Evening Post, destinées au grand public américain. Même quand il se risque à faire des envolées lyriques dans la nouvelle
Les vertes collines de la Terre, son chantre de l'épopée spatiale, Rhysling, reste un simple mécanicien de deuxième classe. Plus surprenant, mais assez révélateur, est la dernière nouvelle de ce tome,
La logique de l'Empire, une dénonciation en règle de l'esclavage comme mal inhérent à toute expansion impérialiste.
Le troisième tome commence avec
Oiseau de passage, un exemple type des textes écrits par Heinlein pour la jeunesse qui ont réussi à initier toute une génération d'Américains aux joies de la SF. On est heureux de voir que cette histoire d'une adolescente hyper-douée mais peu sûre dans ses rapports avec autrui, située dans le cadre exotique d'une ville lunaire, n'a rien perdu de sa fraîcheur. Les trois autres nouvelles forment une série un peu décousue, où l'Amérique sombre après le début du XXI
e siècle dans une théocratie qui doit son emprise sur les esprits à une nouvelle « science » de la manipulation sémantique. Cela va interrompre l'exploration spatiale durant plusieurs décennies. Espérons seulement que l'auteur ne s'avère pas trop prophétique sur ce coup-là...
Le quatrième tome offre deux longs récits des premiers voyages interstellaires effectués par des hommes. Dans
Les enfants de Mathusalem, on découvre qu'un programme de sélection génétique mené en secret par une certaine Fondation Howard depuis le XIX
e siècle a donné pour fruit quelques lignées humaines qui jouissent d'une extrême longévité. Mais quand ces familles Howard révèlent enfin leur existence au reste du monde, elles butent contre un phénomène de rejet et d'intolérance. Elles vont s'emparer d'un vaisseau interstellaire et s'enfuir du Système solaire. Au cours de leur voyage elles rentreront en contact avec des civilisations extraterrestres bien étranges, au risque de perdre leur propre humanité. Grâce surtout à la sagesse très terre-à-terre de leur doyen, Lazarus Long (personnage parfois considéré comme un avatar de Heinlein lui-même et qui réapparaît dans les romans tardifs de l'auteur), ils rentreront à bon port.
Et pour clore,
Les orphelins du ciel est l'un des premiers romans qui décrit les conséquences d'un très long voyage interstellaire à vitesse infraluminique, où les générations se succèdent à bord d'un énorme vaisseau contenant toute une écologie en vase clos. Ici, les passagers du
Vanguard, en route pour Proxima du Centaure, ont connu une terrible déchéance suite à une mutinerie qui élimine les membres du personnel les plus qualifiés. Depuis, coupés de tout contact avec l'univers extérieur, ils arrivent à survivre mais ont perdu leurs connaissances scientifiques et même les quelques fragments de leurs origines transmis par tradition orale ont été détournés en simples superstitions. Mais un jeune homme réussit à atteindre un jour la mythique Salle de Contrôle et découvre la réalité dans une révélation traumatisante.
Comme on peut le voir, à travers ces quatre tomes on repasse par un certain nombre de thèmes devenus archi-classiques dans le répertoire de la SF. C'est Heinlein qui les a en quelque sorte codifiés pour la première fois en leur donnant un contexte unifié et une mise en forme moderne. Mais en dehors de la question de l'importance de ces textes dans l'histoire littéraire du genre et de l'influence de cet auteur sur la postérité, ils gardent en soi une certaine aisance, combinaison de sophistication et de simplicité, et une économie de style qui les rendent toujours très agréables à lire. À travers eux, on mesure aussi nos réussites et nos échecs, ou du moins, le long chemin qu'il nous reste à parcourir si l'on désire vraiment parvenir un jour aux étoiles.