Elisabeth Vonarburg - Textes, Articles, Entrevues

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     Communication au seul et unique congrès du GRILFQ — Groupe de Recherche sur l’Imaginaire dans les Littératures Fantastiques Québécoises, ou quelque chose de ce genre, j’avais proposé l’acronyme, je crois bien. Ce groupe s’était constitué à la fin des années 80 à l’Université Laval, à Québec ; en même temps que des étudiants, et des Universitaires Patentés — Aurélien Boivin, Maurice Émond, Michel Lord, Denis Saint-Jacques... — , il comprenait plusieurs intervenants réguliers du milieu, Jean Pettigrew, Claude Janelle, et moi-même, entre autres.

La reproduction du corps dans l’espace
ou Naissance et renaissance dans l’espace

(1990)

     La SF, comme la science, utilise souvent les mêmes termes quotidiens que la littérature dite « générale » mais en change le sens ou y ajoute : ainsi « espace » n’y signifie plus seulement l’espace terrestre empirique mais l’espace extra-planétaire. En littérature générale, « la reproduction du corps dans l’espace » ne peut avoir que quelques sens bien délimités, non biologiques : images bi-dimensionnelles (reflets de sources diverses dans miroirs et assimilés, peinture ; plus récemment grâce à une technologie maintenant familière 1, photographie, cinéma 2), et images tri-dimen-sionnelles (sculpture et récemment holographie). Mais il se passe autre chose dans la SF. Il n’y a plus là a priori d’évidence, de « sens commun » comme on dit de façon si caractéristique. Plus encore que les mots exotiques, qui au moins se signalent et signifient par leur exotisme même, ce sont les mots ordinaires que la SF nous apprend à suspecter ou du moins à questionner. Dans « reproduction du corps dans l’espace » , par exemple, chaque terme est affecté d’un certain nombre de modificateurs explicites ou implicites en relation avec l’état des sciences et des technologies et l’évolution du genre SF lui-même ; ils font varier le sens de « espace » , ce qui va modifier chacun des autres termes qui à leur tour... et ainsi de suite. On doit toujours demander quel type de reproduction (biologique, technologique, bio-technologique), quelle(s) technologie(s), quel corps, dans quel espace (outre-espace extra-terrestre, extra-planétaire, cosmique, proche, lointain). Dans des vaisseaux spatiaux, des stations spatiales, sur d’autres planètes, dans le vide lui-même ? Ou s’agit-il d’un espace plus éloigné encore de l’expérience quotidienne, espace mathématique, subatomique, infra ou supra-dimensionnel, voir le « cyberespace » électronique ?
 
     À chaque combinaison de ces divers termes correspondent des types d’histoires parfois très différents. Je me suis quant à moi posé la question : les auteurs féminins et masculins produisent-ils des types différents d’histoires de « reproduction dans l’espace » puisque, pour commencer, ils ne vivent pas physiquement de la même façon la reproduction biologique ? Je me suis limitée, par nécessité, à l’espace non terrestre.

     Peut-être à cause du fait que la majorité de ses producteurs et de ses consommateurs sont encore en majorité masculins, le sens propre de l’expression, c’est-à-dire la conception et la mise au monde d’enfants dans l’espace, apparaît assez peu comme motif de premier plan dans la SF. Même dans les histoires de « vaisseaux-générations » où se trouve le corollaire de la reproduction humaine biologique, c’est d’habitude un motif secondaire, la sociologie ou l’action occupant en général le premier plan. Parmi les textes que j’ai choisi d’étudier, un seul utilise la reproduction biologique humaine individuelle comme motif-pivot de l’action (« La migratrice 3« de Francine Pelletier) ; c’est aussi un texte de femme, « A Momentary Taste of Being 4« d’Alice Tiptree Sheldon, qui fait son motif principal de l’élan génésique lui-même en tant qu’il contrôle l’évolution collective des êtres vivants — terrestres et extra-terrestres. Un autre texte fait de la reproduction biologique un motif d’arrière-plan bien que significatif (« Retour sur Colonie 5« de Joël Champetier).

     Bien plus souvent dans la SF, le corps n’est pas le produit d’une naissance biologique, il est reproduit grâce à d’autres moyens, « copié » . Voilà un motif familier, le double. On remarque, et ce n’est pas un hasard, que plus on s’éloigne de la littérature courante plus l’expression est prise dans son sens propre et non dans son sens figuré. Et son sens le moins figuré se trouve dans la SF, où la réification des métaphores est un procédé courant.

     Il se trouve à entretenir avec l’espace en général, et l’outre-espace en particulier, des relations privilégiées. Physiquement et symboliquement, l’outre-espace est infini : on y court le risque de se perdre, dans tous les sens du terme. D’où des questionnements sur l’identité et la finalité du Moi, et des tentatives pour réaffirmer l’identité menacée, en particulier par le motif du redoublement, de la multiplication, de la reproduction de soi, pour reconstituer dans l’espace cosmique le fameux « stade du miroir 6 » et son au-delà. C’est le motif du double, dans sa version biologique spécifiquement SF du clone, que l’on trouve dans « Nine Lives » 7 d’Ursula K. Le Guin, « Métal qui songe » 8 de Daniel Sernine et « Éon » 9 d’Elisabeth Vonarburg. On en rencontre la version technologique « dure » comme motif-pivot dans « Retour sur Colonie » de Joël Champetier.

     À cause de son caractère concret, d’une part, et d’autre part de sa « filiation » claire avec son original, le double SF se rattache assez souvent au paradigme de la reproduction biologique. Ce type de reproduction a à faire avec le temps et ses ambivalences : faire naître, c’est projeter quelque chose de soi dans le futur, ajouter à la matière et à l’esprit du monde, conquérir, par personne interposée, d’autres espaces physiques ou sociaux. Il y a, bien sûr, un prix à payer pour le Moi : la vieillesse, la mort ; mais elles sont inscrites dans l’ordre-des-choses, et comme telles en partie apprivoisées. L’angoisse est aussi plus ou moins désamorcée par la relation causale claire entre le parent et l’enfant, et le fait qu’ils soient deux individus distincts dans le temps — au contraire du double fantastique, dont l’origine comme la nature restent ambiguës, et dont le télescopage dans le temps et l’espace avec le Moi active irrésistiblement les doutes identitaires anxiogènes de celui-ci, et leurs diverses conséquences fatales. En SF, les moyens de la reproduction sont plus variés, et le biologique s’y croise avec le technologique : robots, androïdes, clones, simulacres électroniques, autre(s) Moi(s) créé(s) par un télétransporteur ou un duplicateur de matière, venu(s) du passé, du futur ou encore d’univers parallèles. Corrélativement, le pouvoir qui en dérive augmente et, toujours selon le processus de réïfication des métaphores propre à la SF, ce pouvoir est lui aussi réel-concret : conquête de l’Espace, du Temps (Sernine, Vonarburg), reconstruction de la race humaine (Le Guin), immortalité... Bien entendu, le prix à payer devient lui aussi plus lourd, en combinant parfois celui, « naturel » , de la reproduction biologique et celui du double fantastique : mutilations diverses, folie, mort.

     Chacun des trois textes cités tourne de façon explicite autour de ces catastrophes possibles, mais ils leur trouvent tous un moyen de salut plus ou moins efficace. C’est peut-être parce qu’il n’y s’agit pas seulement de la reproduction du corps, mais de la reproduction du corps dans l’espace, — un lieu chargé puisque, comme le remarque Pierre Francastel, « Tout espace [...] est à la fois une structure et un inventaire provisoire des formes et des relations symboliques » 10. Or, dans la SF, avec ce motif de l’outre-espace, on quitte, ou on a quitté, la terre ferme qui se trouve aussi être la planète-mère, toutes expressions aux connotations chargées elles aussi. Un texte classique de Richard Abernathy, « Axolotl » 11 (1953), l’illustre bien ; un bon quart de la narration est consacré à décrire le départ d’un vaisseau spatial et ce qu’on est bien forcé d’appeler le « trauma physique de naissance » pour son passager : expérience de la pesanteur, de la suffocation, de la chute.

     Pourtant c’est dans ce type de situation qu’on rencontre aussi la métaphore ascensionnelle dont Samuel Delany veut faire la métaphore centrale de la SF : s’élever, s’arracher à la pesanteur, à la matière, flotter, tout le paradigme de l’élévation. On tombe dans le vide, mais on monte aussi dans le ciel — mouvement immémorial de la spiritualité. L’ambivalence du motif s’accentue encore du fait qu’on quitte le connu pour aller dans l’inconnu. À l’aube de la SF moderne, dans Out of the Silent Planet, de C. S. Lewis 12 (1938), on trouve cette polarité remarquablement exprimée ; le voyage dans l’espace pour Lewis est le lieu de l’illumination, aux deux sens du terme : il y fait l’expérience d’une lumière à la fois physique et spirituelle, et s’y dépouille de terreurs nées d’idées fausses.
 
     [...] dans l’étrange char qui l’emportait, avec un léger frémissement, en d’innombrables profondeurs tranquilles, hors d’atteinte de la nuit, il se sentait chaque jour purifié dans son corps et dans son esprit, et rempli d’une vitalité nouvelle (p. 31)
 
     L’espace non terrestre va à l’encontre des données fondamentales de l’existence physique empirique, (horizontal/vertical, haut/bas), expérience qui peut être horrible (Abernathy), ou libératrice (Lewis). Mais c’est aussi le vide, l’absence (apparente) de matière. Des connotations vraiment négatives sont activées ici (solitude, absence, mort), avec cette perte des points de repère du Moi. Chez Sernine, un jeu délibéré du narrateur avec les proportions constitue sa façon de dominer l’espace et son vertige, en se faisant provisoirement la mesure de toute chose.
 
     Je sors dans le véhicule d’entretien, lui même assez gros pour emporter plusieurs drones [...] mais proportionnellement aussi minuscule qu’une petite planète auprès de son étoile [...] je m’éloigne jusqu’à ce que l’ensemble soit cadré dans un hublot rectangulaire du poste [...] [après sortie] je m’éloigne jusqu’à ce que le véhicule lui-même ne soit qu’une petite chose sans volume [...] dont l’image tient entre mon pouce et mon index [...] (p. 14-15)
 
     Au contraire, chez Vonarburg, la seule fois où Hilsh se trouve dans l’espace extérieur à la nef, un effacement délibéré des dimensions et des proportions permet un abandon heureux du Moi à l’espace et à ses prestiges, auxquels la nef est confondue :
 
     L’espace jaillit sur le grand écran central, un noir velouté constellé d’étincelles lumineuses, et au premier plan, dans une gloire de lumière, la nef. [...] Elle est à sa place, une étoile parmi les étoiles. [...] Elle est [...] belle. (p. 176)
 
     Chez Lewis, quand Ransom arrive de nouveau à proximité d’une planète, alors que dimensions et directions de l’espace « normal » réapparaissent, s’activent inversement les connotations de la chute, une naissance à nouveau, mais négative : « membres lourds [...] impression de lourdeur [...] (p.37) [...] Leurs corps paraissaient de plomb » (p.38).

     Dans l’inversion des valeurs réciproques de l’espace haut/vide, en réalité plein de vie et de la planète bas/plein, matière sans vie ni spiritualité, on retrouve la vieille hérésie cathare : la Chute, c’est la chute dans la matière, le Péché Originel, c’est l’incarnation : « il voyait les planètes —  » les terres » [...] comme de simples trous, des lacunes dans la vie céleste, des débris de matière lourde et d’air épais, exclus et rejetés, non pas ajoutés mais soustraits à l’éclatante splendeur environnante » (p.38). On en trouve l’écho presque identique chez Abernathy, dans un mode plus agressif : « le but ultime [...] ce n’est pas de conquérir l’espace pour atteindre les planètes. Le vrai but, c’est la conquête de l’espace pour lui-même. [...] Les planètes sont froides, sombres ; ce sont des ilôts qui meurent dans un océan bouillonnant de vie [...] » (p.56).

     Depuis Lewis on a appris à quel point l’espace est un élément mortellement hostile à la vie humaine. Le principe de réalité est intervenu, avec la nécessité de la science et de la technologie comme moyens — non naturels — de survivre dans l’espace. On peut dépasser cette dépendance, rêve Abernathy, en devant surhumain, en se métamorphosant : c’est toute la métaphore de l’Axolotl du titre, coincé dans un apparent cul-de-sac évolutif, mais qui se métamorphose en une splendide salamandre dorée, le « véritable adulte de l’espèce » :
 
     [...] « J’ai grandi, ma chérie. Pendant longtemps les biologistes nous ont raconté que l’homme n’était qu’un fœtus attardé, une sorte d’embryon qui vieillit sans jamais parvenir à l’état adulte. Maintenant je sais pourquoi : les conditions de la maturité [...] n’existent pas sur Terre [...] je risquerai d’être étouffé par l’atmosphère trop épaisse [...] » (p.57)
 
     Bien sûr : celle-ci est trop matérielle — trop maternelle.

     À défaut d’une telle métamorphose, et même pour donner à celle-ci l’occasion d’avoir lieu, on a donc besoin d’intermédiaires pour avoir accès à l’espace 13. Pas question de renoncer à celui-ci : en SF comme dans la littérature générale c’est le medium du voyage, ce qui permet liberté, action, pouvoir. Mais le principe de réalité impose à la SF des intermédiaires bien plus encombrants que ceux de l’espace terrestre à la littérature générale : le corps seul ne suffit pas au voyage (sauf métamorphoses !). On a besoin non seulement de technologie, mais encore (au moins depuis 1950, dans la SF moderne) d’un groupe de support en arrière et le voyage est donc plus souvent effort collectif que satisfaction immédiate de la pulsion individuelle.

     C’est surtout l’intermédiaire du vaisseau qui modifie l’équation de façon considérable, en la poussant du côté de ses ambivalences. En effet, comme on sait, tout véhicule vaut à la fois par son aspect extérieur et par la qualité de son intérieur. L’espace cosmique est celui du corps en danger, fragile ; l’autarcie est impossible : il en résulte une situation de dépendance fortement anxiogène. Le caractère englobant-protecteur des vaisseaux, scaphandres, stations spatiales, peut donc susciter une régression infantile ; les connotations irrésistiblement activées ici sont celles, bien sûr de la matrice. Laquelle se combine alors d’une façon bien intéressante avec les connotations phalliques liées à la forme classique du vaisseau-fusée.

     C’est ici aussi qu’on peut noter une première divergence entre les textes écrits par des hommes et par des femmes. La technologie et la science, dans le monde empirique, sont encore aujourd’hui considérées comme des domaines masculins ; il peut donc s’établir dans l’imaginaire des auteurs (et des lecteurs) une synergie positive entre la forme phallique de la fusée et sa nature de création/réussite du pouvoir masculin. Cependant, comme il est bien clair dans le texte d’Abernathy et un autre d’Alfred Coppel intitulé « Mother » 14 (1940), la fusée comme intérieur/ventre est plutôt négative. C’est que s’arracher à la planète-mère, c’est naître, même si les connotations de la naissance peuvent être brouillée par le fait qu’on s’élève vers l’apesanteur ou le vide (comme chez Abernathy et Lewis) ; en SF, la reproduction du corps dans l’espace — ou ailleurs — , c’est surtout de façon plus ou moins figurée, la (re)production du Moi : il s’agit d’être l’enfant de ses propres œuvres en faisant l’économie de la femme, et en particulier grâce à la technologie. L’un des textes séminaux, ou devrait-on dire matriciels, de la SF, est Frankenstein, où l’on peut mettre aisément ce point en évidence 15. Mais on peut aussi trop dépendre de ces intermédiaires technologiques, être incapable de s’en libérer — ou plutôt de se libérer de ce qu’on y projette à travers toutes les ruses de la rationalisation. On arrive ainsi à un texte aussi explicite que celui de Coppel, dès son introduction : « On se sentait là comme dans le sein de sa mère. »

     La divergence s’accentue entre écrivains et écrivaines : le principe de réalité (nécessité de sciences/technologies essentiellement masculines) joue plutôt pour le Moi masculin dans ce que j’appellerai le « complexe » de l’outre-espace (c.à.d. le voyage et ses sous-motifs). Même quand il est un-rouage-dans-la-machine-du-Pouvoir, le mâle participe à/de ce pouvoir et sait (ou peut fantasmer) qu’il en est la source. Mais le même principe de réalité joue très fortement contre les écrivaines (et les lectrices) en SF : même lorsqu’elles sont des scientifiques ou des techniciennes, elles savent que dans le monde empirique elles ne sont en général pas les initiatrices de la science/technologie, ni les détentrices du pouvoir politique. Elles vivent « in the chinks of the world-machine » 16, elles n’y participent pas vraiment. Les connotations du voyage dans l’espace ne peuvent donc pas toutes opérer pour elles de la même façon que pour les auteurs masculins.

     Pour commencer, certaines écrivaines essayent de contourner les connotations phalliques de la fusée ; ainsi Pelletier, mais avec quelle difficulté : « [...] objet de métal poli [...] une forme oblongue, des extrémités arrondies ; [...] Étrangement semblable à un missile [...] » (p.7). Les connotations du ventre ne sont réactivées qu’à la sortie de l’occupante humaine, moulée dans une combinaison argentée luisante évoquant la membrane du placenta : « Le flanc de la capsule était béant. On apercevait l’intérieur. Il n’y avait pas de sas [...] sa paroi interne était circulaire, une partie se creusait pour épouser la forme de la... de la migratrice. » (p.9)

     D’autres écrivaines, comme Vonarburg, se débarrassent plus radicalement des connotations phalliques primaires : non seulement son vaisseau/nef est organique, mais il est décrit une seule fois de l’extérieur — toutes les autres descriptions sont de l’intérieur, s’attardant longuement sur son aspect organique, et la forme générale semble bien en être sphérique. C’est un tout autre registre, déterminé par le transfert paradigmatique du technologique à l’organique pour le vaisseau.
 
     [...] labyrinthe des conduits et des passages, les veines et les artères où circulent sous la membrane, les fluides vitaux ; il peut voir les vastes alvéoles spongieuses [...] la masse rouge sombre du centre, un cœur qui se contracte comme un œil à la lumière [...] (p.176)
     Sernine offre une autre variante qui permet de mieux saisir une des relations du Moi au moyen de son voyage dans l’espace ; non seulement son narrateur a un double « mou » , son clone, mais aussi un double « dur » : grâce à des interfaces, il est (et non « a » , le texte insiste beaucoup sur ce point) un autre corps, le vaisseau lui-même (lequel est de surcroît constitué de trois éléments distincts quoique combinés 17). Ainsi le début du récit :
 
     Je suis un seuil, un seuil stellaire (p.9) [...] je suis le Limax, [...] le réseau cybernétique du Limax [...] je suis un grand vaisseau, mes propulseurs sont massifs [...] mes réacteurs [...] Pour l’heure l’Aurige [porte hyperespatiale], sa com-station et le Limax sont comme trois symbiotes reliés par un seul réseau, moi (p.10) [...] je suis [...] le réseau et les kilomètres cubes de métal, de plastal et de céramique qu’il surveille. Je suis les capteurs stellaires sagement repliés [...] je suis la com-station qui est un grand vaisseau en soi, arrimé à l’Aurige vingt fois plus long, je suis des électro-aimants de plusieurs tonnes et des cristaux microscopiques alignés en motifs complexes. (p.11)
 
     Le Moi s’identifie totalement au vaisseau, extérieur aussi bien qu’intérieur, à ses divers aspects, à ses divers pouvoirs. Mais on se demande en fin de compte si dans ce texte le vaisseau lui-même est un symbole du pouvoir masculin ou de la puissance féminine, même si celle-ci semble presque complètement dominée par celui-là. Une autre identification de JE se fait au début avec sa coque : « [...] mon cylindre massif, ouvert au deux bouts [...] » (p.10) ; or dans le contexte « matrice » , ce cylindre ressemble fort à une description populaire mécanisée du bébé (« ça entre par un bout, ça sort par l’autre » ) ; ce que confirme d’ailleurs le comportement du narrateur, dont un des plaisirs consiste à déambuler longuement à l’intérieur du vaisseau/ventre, s’en affirmant ainsi le propriétaire (tout espace intérieur assez large semble irrésistiblement inviter à des déambulations aussi bien chez Sernine que Vonarburg, Le Guin, Tiptree ou Pelletier — et bien d’autres encore).
 
     Bien à l’aise dans une combinaison qui protège ma peau des arêtes et des saillies, heureux dans un clair-obscur resserré et dans un tranquille bourdonnement, [...] presque grisé de la sensation d’être compact, d’être uniprésent plutôt qu’omniprésent [...] Je pense quelquefois à rester là, à l’étroit, les yeux mi-clos, avec pour jouets mes petits outils métalliques. Mais comme je suis aussi tout le reste, ça ne rime à rien, et je ressors [...] (p.14)

     Le narrateur est d’ailleurs presque conscient de son infantilisation, et il semble tiraillé entre plusieurs identifications qui l’empêchent de jouir pleinement et du pouvoir (apparemment masculin/technologique) du vaisseau et de la situation de l’enfant propriétaire protégé par le ventre 18.

     Le malaise est aussi perceptible, et une de ses sources plus claire, dans un rêve fait par le narrateur : il y rencontre ce qu’on pourrait considérer comme l’Ordre masculin vaincu, compte tenu de la symbolique du dieu ou du géant borgne ou cyclopéen.
 
     [...] je cours en des rues de métal et de verre [...] des usines et des grues, dans une cité. Mais elle est déserte [...] cheminées froides et sans fumées. Dans un temple [...] un dieu de pierre domine un parquet de marbre [...] main levée [...] apaisement et protection. Toutefois [...] visage vide. Son œil unique me fixe mais ne me voit pas et je prie en vain pour qu’un peu de braise le réchauffe. (p.18)
 
     Passage auquel fait écho de façon frappante l’expérience, réelle mais vécue comme un rêve, du personnage principal de « Éon » dont la conscience est précipitée à l’intérieur de l’ordinateur de bord secrètement envahi par le vaisseau /nef, et où il rencontre l’Ordre masculin castré sous la forme d’un robot mort.
 
     [...] il débouche dans une salle aux parois de glace, aux lignes sévèrement géométriques [...] lumière noire [...] un grand fauteuil se dresse. Une silhouette y est assise [...] C’est un homme [...] C’est Ordo et il est mort, pense Hilsh [...]des reflets métalliques jouent sur [...] l’entrecuisse vide, lisse. C’est un robot. Une machine morte [...] et un mouvement attire son attention vers la main droite du robot [...] quelque chose vient d’apparaître. Un arbre. Un petit arbre qui pousse et grandit [...] un bruit d’eau [...] : de la main gauche du robot, presque effacée, de l’eau s’est mise à couler. L’arbre envahit tout la salle, dont les limites ont disparu [...] l’eau, vive et fraîche [...] (p.163)
 
     L’arbre et la source représenteraient ici le monde féminin de l’organique triomphant. Il semblerait en tout cas que l’intériorité du vaisseau-ventre favorise non seulement les désirs de régression infantile mais aussi des fantasmes diversement incestueux, l’inceste visant ici à aider le Moi à se faire l’enfant de ses propres œuvres et/ou à participer des pouvoirs de la Mère, et/ou encore à sauver en quelque sorte le Père en jouant son rôle — et/ou à le remplacer, bien sûr. L’ambivalence mâle/femelle du vaisseau, plus ou moins affirmée selon écrivains et écrivaines, peut renvoyer aussi bien à l’image du Père qu’à l’image de la Mère ; chez Sernine, par exemple, la satisfaction sexuelle du narrateur est assurée par « les plaisirs de l’orifice », un orifice soigneusement neutralisé.

     La même ambivalence s’applique d’ailleurs à l’espace. Dans le texte de Sernine, la langue française permet au féminin d’être représenté presque exclusivement par les merveilles de l’espace, étoiles, galaxies et nébuleuses, toutes inaccessibles, désirées de loin et contemplées de façon obsessionnelle par le narrateur, lequel manifeste une hyperscopie impressionnante (le vocabulaire de la vue est représenté par plus d’une cinquantaine de mots sur un texte de treize pages à gros caractères, et parmi lesquels « voir » et « yeux » sont répétés de très nombreuses fois 19). Ce texte me semble bien illustrer la façon dont les rapports particuliers à l’espace, au moyen du voyage dans l’espace et aux conditions du voyage lui-même modifient le rapport au Moi. Lorsque l’espace extérieur désiré est perçu comme proche, un vide plein d’invisible puissance possédé de façon perpétuelle (Abernathy) ou temporaire (Lewis), il est lié à une mutation positive du Moi, physique pour Abernathy, spirituelle pour Lewis. Toujours splendide et désiré mais inaccessible parce que trop dangereux, il est lié à une mutilation psychique plus ou moins profonde du Moi. Ainsi, chez Sernine, le principe de réalité scientifique est trop fort, et la pulsion désirante du narrateur, confondue d’ailleurs avec une pulsion suicidaire, et qui serait aussitôt « punie » par l’Espace, est vite déniée :
 
     [...] Pour être vraiment dehors — enfermé dans rien, inclus dans rien, il faudrait une fois que je sorte du véhicule sans scaphandre après avoir neutralisé les dispositifs qui, là aussi, voudraient me l’interdire [...] Alors seulement je serais sorti, brièvement, puis à leur tour les fluides qui sont en moi [...] sortiraient en bouillons vite figés, en giclées qui gèleraient dans l’instant même [...] Mais ma chair n’est pas une geôle, mon esprit n’est pas prisonnier derrière mes yeux et je ne tiens pas à en sortir [...] (p.15)
 
     Par ailleurs, la double identité du narrateur, comme vaisseau et comme corps humain, (une triple identité même, si on compte son clone), loin de lui ajouter de la réalité et de lui conférer un pouvoir triomphant, semble au contraire l’angoisser, comme l’indiqueraient les mentions insistantes du corps physique (une soixantaine, avec répétition de « corps de chair » et « corps charnel » ), et l’auto-contemplation répétée.

     Cette angoisse est peut-être liée au type de reproduction du corps illustré par ce texte. C’est le clonage qui permet le long et lent voyage du narrateur en espace/temps réel. Mais cette technologie usurpe le pouvoir naturel /maternel sur la matière et le temps, et la quasi immortalité ainsi obtenue est perçue comme une tricherie, une fraude 20, qui est punie. Malgré le déni désespéré de l’exergue, Don’t worry, nobody lives forever 21 [N’aie crainte, personne ne vit éternellement], le narrateur est obsédé aussi bien par la durée que par le vieillissement et la dégradation qu’elle inflige : « Je suis ici depuis le début des temps et jusqu’à la fin des temps, [...] c’est trop long et [...] je suis las d’attendre, de ne pas attendre, puisque justement je n’attends rien. » (p.19) Le clone est bien alors un double, non un être indépendant, le Même, et non un Autre : le même Moi, né toujours parfait pour une vie de désespoir secret.
 
     [...] les clones de ce corps [...] avec mes engrammes dans leur cerveau [...] moi dans ce jeune corps [...] il saura faire tout ce que je sais faire, je saurai faire tout ce que je sais faire [...] (p.17) [...] Tu : moi [...] comme ce corps-là, qui est l’image d’origine est différent de ce corps-ci, qui est l’image finale [...] L’autre, le clone, est lisse et vierge — il n’a pas eu de rapport avec le temps [...] (p.21)
 
     Ce qui semble au début être une orgie narcissique révèle alors son véritable sens : le Moi est une prison, l’enfer, c’est l’absence d’un Autre véritable ; et même lorsque le narrateur décide de contrevenir à la procédure et de vivre un moment en compagnie de son clone, ce sera un sursis doux-amer, où une relation amoureuse et heureuse est à peine esquissée sous l’illusoire relation parentale et fraternelle. La mutilation du Moi paraît presque impossible à réparer.

     Chez Champetier aussi il y a fraude, et bien plus grave puisque l’espace-temps, comme le voyage et le vaisseau, sont paradoxalement annulés dans la reproduction instantanée dûe au Transfert. Le prix à payer augmente en conséquence et la déréalisation du Moi est presque irréparable : folie et mort, et pour une partie des survivants, impuissance (les « doubles » ont tué leurs enfants et ne sont plus capables de se reproduire ; les originaux ne sont pas en tellement meilleur état).
 
     [original humain non comestible à cause de son métabolisme] [...] au milieu d’une nuée vrombissante [d’insectes] sans ressentir aucune piqûre [...] il aurait tout aussi bien pu être une image holographique [l’original après le Transfert] Il se sentait bizarrement léger, il appuyait chacun de ses pas sur le revêtement élastique du sol, il avait envie de toucher les parois pour s’assurer de sa propre existence. (p.8)
 
     Les seuls doubles survivant sont ceux qui ont quitté le village et sa technologie pour se réfugier dans les profondeurs d’une forêt luxuriante et fertile, près d’une rivière. Eux peuvent avoir des enfants. Et le double de la femme qu’il aimait sauvera l’âme du protagoniste principal en lui montrant qu’il est possible de rencontrer l’autre Moi non comme un usurpateur menaçant mais comme un Autre véritable, différent, un ami en puissance.

     Le traitement du motif du double et le rapport au Moi sont différents chez Le Guin et Vonarburg : la relation symbolique à l’espace, aux modalités du voyage et à son moyen est aussi différente chez elles. Pas de vaisseau spatial ni de voyage dans l’espace dans le texte de Le Guin, dont l’action se passe sur une planète où on est préalablement arrivé de l’extérieur 22. Et l’espace extérieur à la nef est pratiquement absent chez Vonarburg, bien qu’on y voyage longuement ; l’épigraphe (comme chez Sernine) renvoie aussi au temps : « Éon : temps, éternité, puissances éternelles... » (p.117). Mais Hilsh n’évoque le temps qu’une seule fois (p.126-127). Et là où chez Sernine il y a un tête-à-tête étouffant de Moi et Moi, à peine déguisé par la différence d’âge, il y a une société de trois générations clonées de six personnes différentes chez Vonarburg, et chez Le Guin une société de neuf clones mâles et femelles confrontée à celle de deux humains « singletons » . L’Autre est là, et doit être pris en compte, même si c’est un clone — surtout si c’est un clone : après tout, les femmes n’ont-elles pas été considérées pendant longtemps comme des doubles imparfaits des hommes ? C’est pourquoi le clone mâle, dans « Éon », pourrait sans doute être considéré comme renvoyant au Moi féminin, comme ce serait le cas dans de nombreux textes de ce type écrits par des femmes (et/ou les textes à propos de relations homosexuelles masculines, fréquentes dans la SF et la Fantasy féminines 23).

     Par ailleurs, chez Le Guin comme chez Vonarburg, l’Autre n’est pas seulement mâle mais femelle. Chez Le Guin, c’est un clone masculin qui est le seul survivant (d’où les soupçons des critiques féministes radicales à l’égard de cette auteure), mais chez Vonarburg, l’Autre par rapport auquel le personnage principal doit se situer est bien femelle : le vaisseau lui-même devenu féminin en devenant conscient. Pourquoi le vaisseau accède-t-il à une conscience féminine plutôt que masculine ? L’explication est sans doute significative : un programme secret de conditionnement occulte pour les clones l’existence de l’autre sexe, et Ordo avorte aussi les embryons féminins, jugés « impropres à la reproduction » ; c’est en se nourrissant au propre et au figuré de ce matériau refoulé que le vaisseau est devenu « la nef »

     Ordo explique ainsi sa programmation : « LES FEMMES NE TOLERENT PAS LES CONDITIONNEMENTS NÉCESSAIRES À LA VIE DANS LES VAISSEAUX/TOUS LES ESSAIS D’ÉQUIPAGES MIXTES ONT ÉCHOUÉ (p.170) ; ce que les femmes « ne peuvent tolérer », en fait, ce serait cette reproduction du vieux Même, de l’ordre patriarcal oppressif. Lorsque Hilsh entre en contact avec l’Autre féminin, pourtant, ce n’est pas tant d’abord avec une conscience qu’avec un corps différent, « un corps étranger » (p.121). 24 Il passe par une dénégation aux termes familiers : [la nef est] « Un animal, un stupide animal [...] la bête désertée [...] une bête stupide échappée à la main de ses créateurs [...] ». Mais, par le biais de la musique qui est la voix de la nef, une communication se fait, l’hypothèse d’une conscience différente, et une possible acceptation :
 
     La musique est si poignante, si passionnée. Une femme. Qu’est-ce qu’une femme ? (p.174) [...] Humaine. Mais comment pourrait-elle être humaine ? [...] elle ne peut pas être consciente ! [...] Elle, cette vaste bête sidérale, elle appartient à l’espace de plein droit ; c’est son domaine, c’est là qu’ont évolué les organismes [transformés par humains en « vaisseaux biologiques »] Seule habitante légitime de l’espace, pourquoi ne serait-elle pas consciente elle aussi ? Une symbiose, une symétrie, la conscience évoluée sur les planètes et la conscience née de l’espace [...] (p.176)

     Mais ce qui rapproche surtout le texte de Le Guin et celui de Vonarburg, c’est leur relation à l’espace : le vrai « voyage » n’est pas celui qui se fait à et vers l’extérieur (malgré sa présence dans « Éon »), mais celui qui se fait à et vers l’intérieur — de la nef organique dans « Éon », de la planète dans « Nine Lives ». Pourtant, ces deux intériorités, ces deux ventres, ces deux Mères, semblent opposées : celle de « Éon » est assez nettement positive, et si elle absorbe temporairement les clones c’est pour leur redonner sans doute leur intégrité physique et psychique perdue ; celle de Le Guin, très négative, tue huit des neuf clones ; elle correspond d’ailleurs au stéréotype/archétype de la marâtre-putain dévorante (et animalisée, comme dans « Éon »). Mais l’important, c’est que l’espace intérieur où l’exploitation minière a lieu la fait basculer dans un autre registre, celui de l’exploration symbolique d’un ventre, dès la première ligne du texte : « Elle était vivante au-dedans mais morte extérieurement. » (p.149)

     Chez Pelletier aussi, où il y a bien voyage dans l’Espace et vaisseau technologique redoublé (par la capsule de la migratrice), on trouve une description insistante de l’intériorité et du mouvement de l’extérieur vers l’intérieur : l’introduction décrit l’avalement de la capsule de la migratrice par le vaisseau de Carlie.
 
     Le long bras mécanique se repliait [...] tandis que la capsule spatiale, posée au centre du chariot de transbordement roulait [...] le long des rails menant à l’écoutille [...] Celle-ci s’ouvrit en chuintant et le chariot pénétra dans un vaste sas intermédiaire. (p.7)
 
     On a ensuite un redoublement de l’enchâssement pour activer davantage encore les connotations fœtales ; c’est la migratrice, autant que son embryon, qui est à naître : « sur l’écran [...] une forme minuscule, mal définie qui occupait un rectangle plus clair aux pieds de la passagère endormie [...] embryon humain [...] loin d’être à terme » (p.9)

     Mais ici aussi reparaît le motif de la fraude : le voyage du Michigan est un mouvement circulaire, et en fait immobile, de l’extérieur vers l’intérieur : « [...] Comme si leur mouvement de va-et-vient de Relais II à Asterman leur donnait l’illusion de partir. [...] » (p.14). Un intérieur qui n’est pas la Terre, mais la station Asterman, où trône un pouvoir patriarcal et mercantile décrit cependant par l’intermédiaire d’une image traditionnellement réservée à la femme, l’araignée 25. De ce piège, extérieur aussi bien qu’intérieur, le Moi ne peut sortir que grâce à un intermédiaire salvateur, la migratrice, qui pourrait être considérée comme un double figuré du personnage principal ; en l’aidant, Carlie commence à se libérer elle-même 26. La migratrice échappe bel et bien au cercle/ventre du voyage circulaire puisqu’elle se rendra sur Titan où naîtra son enfant : possibilité future de métamorphose, non seulement sociale mais raciale. Les enfants des migratrices, variformés pour être adaptés à leur environnement, paieront le prix de la libération : la solitude.

     On retrouve aussi un mouvement circulaire routinier dans « Éon » : il y a circulation « en Surface » entre les modules enchassés dans la peau de la nef, mais aussi une « montée vers le Centre » qui est physiquement à la fois une descente vers l’intérieur et une élévation, positivement connotée, la pesanteur diminuant progressivement vers le Centre de la nef.

     Chez Le Guin, Pelletier et Vonarburg, on remarque alors que le seul mouvement générateur de découverte, d’illumination et de libération est celui qui va vers l’intérieur : Carlie voit l’intérieur de la capsule de la migratrice, Kaph voit (métaphoriquement) dans le cœur de Pugh après être descendu dans la mine, Hilsh commence à prendre conscience de la sapience de la nef dans la « salle de sculpture », située hors des modules et plus à l’intérieur du vaisseau. De même, la finale de la nouvelle se fait sur un retour, un mouvement de l’extérieur vers l’intérieur, la « réinsertion des modules dans la Surface » : « Les blocs géométriques des modules commencent à flotter lentement vers la courbure lumineuse de la nef, qui s’ouvre pour les recevoir » (p.177)

     Il est intéressant d’examiner, à ce stade, les stratégies d’adaptation de l’inanimé au vivant dans l’espace. Chez Vonarburg comme chez Sernine ou, moins clairement, chez Pelletier, c’est par la juxtaposition, l’interface ou la greffe du « mou » (la chair) et du « dur » , les modules d’« Éon », par exemple, qui contiennent entre autres les parties de l’ordinateur, du matériel et des colons cryogénisés : [...] éclat dur et coupant du métal tout au bout d’un entonnoir de chair irradiant une lumière qui palpite au rythme d’un cœur lointain. [...] juxtaposition étrange, trop brutale. (p.173)

     Cette alliance des opposés présente aussi dans « Métal qui songe », de façon moins insistante, échoue pourtant à y sauver le Moi ; malgré l’identification désespérée du narrateur de Sernine avec son corps technologique dur, il est aussi son corps de chair, qui vieillit et se dégrade. Au contraire, dans « Éon », il n’y a pas intégration/identification au technologique mais bref passage de Hilsh dans l’ordinateur ; et non seulement c’est un espace cybernétique (où le « mou » et le « dur » ont un relation toute particulière), mais encore il a été envahi par la conscience de la nef, et il était déjà semi-organique au départ : les proportions « dur/mou » sont presque exactement l’inverse de celles de Sernine. L’assimilation des clones par la nef organique est par ailleurs explicitement décrite comme un salut.

     Il semble assez évident, à ce stade, que le rapport à l’espace aussi bien extérieur qu’intérieur (et corrélativement au voyage et au moyen du voyage) est différent dans les textes masculins et les textes féminins présentés ici. Abernathy naît du vaisseau /ventre en le détruisant : pour posséder vraiment l’espace extérieur, il s’y recrée lui-même ; le personnage de Coppel succombe au ventre, confirmant ainsi que l’alternative ne peut être que détruire ou être détruit à ce stade de développement historique de la SF. Il en va sans doute autrement aujourd’hui pour les jeunes générations d’écrivains de SF : les doubles de Champetier essaient aussi de détruire leur vaisseau, en vain. Mais le personnage de Vonarburg renonce à la pulsion agressive parce que ce serait non seulement se détruire, mais détruire tous les autres (la nef, et les clones, qui même fusionnés avec elle existent encore pour lui comme des individus distincts). De même, le personnage de Pelletier renonce à empêcher la migratrice de continuer son voyage et lui évite donc cette mort symbolique de l’échec (après l’avoir sauvée d’une mort physique réelle). Le personnage de Le Guin retournera éventuellement dans la mine après avoir vaincu sa pulsion suicidaire.

     Dans le texte de Le Guin, la planète-marâtre semble avoir échoué, puisqu’un des clones à survécu à la destruction. Mais on peut se demander si ce n’était pas plutôt son /le but originel : la naissance difficile, douloureuse, de la singularité à partir de la redondance. Le Guin ne semble pas avoir besoin de l’euphémisation évidente chez Pelletier ou Vonarburg : elle accepte la proximité de naissance et mort dans l’imaginaire, et c’est sans doute ce à quoi renvoie la description du site de la mine après le tremblement de terre qui a tué les huit clones : « [...] le lent lever de soleil inondait tout de sa bouillie rouge empoisonnée [...] au-delà de la Bouche d’Enfer, la plaine convexe s’était creusée d’une grande dépression pleine d’eau couleur de sang » (171-72)

     De même, le clone survivant devra mourir la mort de chacun de ses compagnons, et renaître à chaque fois, à travers huit « traumas de naissance ». Alors seulement, il pourra apprendre à exister comme individu : « Kaph hurlait, se débattait, étouffait ; son visage noircit. « Oxygène », cria Pugh, « c’est le coup de Lazare [...] je l’ai appris de mon père qui était médecin » (p.174)

     Comme on le voit, le prix à payer est particulièrement élevé chez Le Guin pour passer de la reproduction à la production de soi. Il l’est encore davantage chez Tiptree, puisque c’est la race humaine entière qui meurt pour assurer la reproduction d’une créature cosmique inimaginable. Mais le texte de Tiptree entremêle de façon particulièrement complexe le motif du voyage dans l’espace, celui de la planète lointaine à coloniser et celui de la reproduction. Comme un certain nombre de textes de SF écrits par les femmes pendant les années 1970, c’est en fait une reprise critique très virulente de motifs chers jusqu’alors à la SF masculine.

     J’ai décrit plus haut les fantasmes activés, pour les auteurs masculins, par la forme phallique des fusées classiques. Les vaisseaux spatiaux de la SF modernes, sinon explicitement par leur forme, du moins au second degré par la nature plus ou moins linéaire de leur mouvement, permettent les fantasmes de puissance et/ou de violence stéréotypiquement et naïvement considérés comme apanages du masculin. Ce qui modifie en retour les connotations de l’espace où se déploie ce mouvement « agressif » : il deviendrait presque un espace « féminin » (à explorer, déflorer, percer, conquérir, maîtriser) ; mais, puisque la réactivation dans l’imaginaire du couple terre/ciel permet parfois une récupération « masculine » de l’espace, comme on l’a vu chez Abernathy ou Lewis, la féminité imaginaire se concentre plus aisément dans la rondeur des planètes « visées » par les vaisseaux.

     Il y aurait donc au moins trois éléments indispensables au « complexe » du voyage dans l’outre-espace : l’espace intérieur [du moyen du voyage], l’espace extérieur [au moyen du voyage], et la planète, but du voyage alors confondu avec son moyen. La reproduction du corps serait optionnelle : la réaffirmation de l’identité peut en effet se faire grâce à l’Autre extra-terrestre (autre élément également optionnel) : on retrouve vis-à-vis de celui-ci le même genre de clivage qu’à propos du double, hostilité-crainte ou fascination-désir. Mais en fait, si voyage dans l’espace et reproduction du corps sont liés, c’est de façon indirecte par les connotations liées aux planètes de départ et d’arrivée, et renvoyant aux fantasmes de naissance/création : dans les textes de débutants, très caractéristiques parce que le principe de réalité n’y joue souvent presque pas, si le terme du voyage est une nouvelle planète, on trouve souvent l’enchaînement suivant : sortir du vaisseau, enlever le casque pour vérifier si l’air est respirable ( ! ), puis les descriptions plus ou moins choc (lumières, couleurs, formes, tailles) du nouveau paysage : il n’y a pas reproduction du corps, mais par la reproduction symbolique du processus physique de la naissance, le Moi est renvoyé à sa propre naissance et, fantasmatiquement, se (re)crée ainsi lui-même.

     Toutes ces observations sont éventuellement valides pour les textes écrits par des hommes, mais le sont-elles pour les textes écrits par des femmes ? Car dans la reproduction biologique, par exemple, le mâle (identifié à son sperme comme le voyage à son moyen) peut voir dans l’éjaculation une invasion, une conquête, avec lui comme conquérant ; il peut aussi y voir, comme la littérature générale s’en fait abondamment l’écho, une fin, une perte, une mort. La femme, elle, dans l’invasion/conquête, se verra peut-être plutôt dans le rôle de la victime, mais elle pourra aussi percevoir tout le processus comme une acquisition pour la création d’une autre vie — dont elle sera alors l’agent privilégié.

     Ainsi chez Tiptree, Lori, qui a découvert la planète 27, y voit la possibilité d’une autre vie meilleure, débarrassée des valeurs masculines d’agression et de rapacité. Mais le texte de Tiptree va bien plus loin. Il prend la pulsion d’envol et la métaphore phallique du motif du voyage dans l’outre-espace, les fusionne avec le mécanisme « objectif/scientifique » de la reproduction sexuée, et mène le tout à son terme logique, ce qui le fait exploser : l’humanité est du sperme, la planète lointaine un ovaire à féconder et l’espace lui-même un ventre infini — d’où il ne serait alors jamais question de sortir même au prix de la métamorphose, pourtant si radicale qu’elle est inimaginable, au contraire de celle d’Abernathy, de Pelletier ou de Vonarburg (p.161-162).

     Par un retournement ironique, c’est la femme, Lori, qui a établi le contact reproducteur (« Petite soeur, tu as nagé fort, tu as été un bon petit sperme, tu as touché au but » (p.162)) : le mouvement vers l’extérieur (dans l’outre-espace) est devenu un mouvement vers l’intérieur (fécondation réelle de la planète), et encore une fois pour une femme (personnage et écrivaine). C’est le même mouvement que dans le texte de Pelletier (avec la rotondité insistante de la planète où la migratrice va déposer le germe du futur) et dans le texte de Vonarburg avec la même idée de « merged, healed, made whole » (Tiptree, p.142), de produire du vrai nouveau au lieu de reproduire du même — la promesse de la nef aux clones masculins mutilés du féminin.

     Dans tous les textes masculins où on trouve voyage vers, atterrissage sur, exploration et colonisation de, planètes nouvelles, faut-il voir alors (entre autres !) une tentative pour nier/transformer la fin-mort de l’éjaculation, une récupération de la capacité spécifiquement femelle de création, voire une appropriation du corps de la Mère et de son pouvoir créateur ? Ainsi les textes illustrant explicitement le motif « le père d’un monde » : l’astronaute (même en ne survivant pas toujours au processus), féconde une planète par ses bactéries, son matériel génétique, son oxygène, un crachat... bref, par sa matière : il devient seul(e) origine de la vie. À chaque fois se rejoue la vieille fantaisie masculine de création : c’est l’homme qui donne la vie, la femme n’y est pour rien — ce qu’on trouvait d’ailleurs en puissance dans les textes d’Abernathy et de Lewis, où la notion d’un ciel-espace plein de vie opposé à une terre-planète inerte, voire morte, permet une récupération/négation du pouvoir féminin.

     Mais n’en va-t-il pas autrement pour l’imaginaire féminin, même s’il peut y avoir là aussi des fantasmes de possession de la Mère (du pouvoir fantasmé de la Mère) ? Comme on l’a vu plus haut, dans une société patriarcale, le principe de réalité interdit presque à ce pouvoir de la Mère d’être de type technologique ; l’archétype — et le stéréotype — du pouvoir féminin est la Nature, et plus spécifiquement encore l’organique. Or dans le sous-complexe « arrivée-sur-une-nouvelle-planète », et surtout depuis les années 60, on constate que l’imaginaire féminin a tendance à se mettre du côté de la planète ou de ses indigènes, (« écologiquement/libéralement » ), contre leurs colonisateurs / envahisseurs / violeurs / mâles 28. On objectera que le motif de la défense de la planète vierge et/ou de ses indigènes est aussi illustré par des auteurs masculins ! (voir en particulier le texte de Daniel Sernine, « Exode 4 » 29). Mais l’investissement de l’imaginaire masculin dans la défense de la planète femme/Mère ne serait-il pas différent de celui de l’imaginaire féminin ? Les connotations potentiellement triomphalistes du voyage dans l’espace menant à une planète fécondée/colonisée peuvent-elles opérer pour les femmes exactement de la même façon que pour les hommes, par exemple ?

     Si c’est bien l’image de la Mère (vierge fragile et/ou puissance archaïque), qui est réactivée dans le motif de la planète-inconnue-à-explorer/coloniser, serait-elle alors à posséder/dominer pour les hommes, à posséder/défendre pour les femmes ? La différence n’est pas si simple. La peur/haine/envie de la Mère (archaïque ou non) existe chez les deux sexes — mais avec cette divergence, à mon avis essentielle dans une société patriarcale : le Moi masculin doit se distinguer de la Mère (et si nécessaire la soumettre) pour affirmer son appartenance au monde des hommes (du Père), son identité masculine. Il y a danger pour le Moi féminin, dans la même situation, de perdre son identité féminine en en détruisant la source légitimante (la Mère).

     En effet dans les textes féminins présentés ici, la (re)production de soi, l’individuation, la conquête de l’intégrité, la libération sont pénibles, difficiles et/ou présentées sous la forme d’une problématique à la réponse repoussée dans un futur hors-récit (fins ouvertes de Le Guin, Pelletier, Vonarburg). C’est que si l’image de la Mère, et plus spécifiquement même du corps de la Mère, est le fondement de l’identité féminine, toute séparation radicale d’avec la Mère menacerait cette identité, et le chemin entre la libération et la perte de soi deviendrait alors parfois un fil de rasoir 30. La position du Moi féminin confronté au motif de naissance/renaissance latent dans celui de la planète-à-explorer n’est donc pas dépourvue d’ambiguité et d’inconfort, entre le désir de faire plaisir au Père en étant un bon petit garçon manqué qui reprend à son compte le traitement masculin du motif, (ce qui lui permet d’ailleurs de participer sournoisement du pouvoir mâle en imitant ses comportements)... et la crainte de trahir /détruire la Mère au risque de menacer ainsi sa propre identité féminine !

     On peut arguer que pour le Moi masculin, ce serait la même chose, inversée : certains parviennent à récupérer leur mâlitude (Abernathy), ou y échouent tout en sachant bien ce qu’ils devraient faire (Coppel). Mais pour peu que l’image de la Mère archaïque l’emporte sur celle d’un Père plus ou moins failli (Champetier, Sernine), là où l’identité du Moi féminin serait renforcée, l’identité du Moi masculin serait menacée...

     Différents mais égaux, alors ? Je n’en suis pas si sûre. Notre société est bel et bien une société patriarcale, où pour les hommes et pour les femmes, il faut un moindre effort pour s’identifier à l’image masculine/paternelle et à ses valeurs que pour s’identifier à celles de la Mère. Le texte écrit par un homme et qui essaie, par le biais du motif de la reproduction du corps (dans l’espace ou ailleurs), de récupérer des attributs féminins vise peut-être à permettre au Moi masculin d’avoir tout, d’exister davantage ; le texte écrit par une femme sur le même sujet tente peut-être simplement de permettre au Moi féminin d’exister tout court...

     C’est une pente dangereuse, et je ne m’y risquerai pas ici. Je prends cependant le risque de prédire que l’analyse d’un corpus plus important de textes masculins et féminins confirmerait (en les affinant, certes) les hypothèses de travail que j’ai formulées à partir des textes présentés ici : la multiplication des corp(u)s dans l’espace de la recherche ne modifierait pas, à mon avis, leurs structures fondamentalement différentes.
 

Notes :

1. ”La multiplication des instruments qui permettent la « reproductibilité », pour employer l’expression de Walter Benjamin, (surtout photographie et cinéma) a contribué, contrairement à ce qu’on dit en général, à affecter les images du monde extérieur d’un coefficient d’irréalité particulièrement propice à leur investissement narcissique. » (Max Milner (« Métaphores et métamorphoses dans l’imagination scientifique : l’exemple de l’optique », Actes du Colloque « Science et Imaginaire », CERLI, Publication de l’Université des Langues et Lettres de l’U. de Grenoble (ELLUG), Grenoble, 1985, p.31)
2. La « relative indépendance du texte littéraire par rapport aux contraintes de la représentation picturale paraît être à son maximum lorsque le texte relève du fantastique. [...] Or [...] il n’en est rien [...]. La science — ou ce qu’en retiennent les écrivains — joue par rapport aux représentations du monde communément admises un rôle tout aussi aussi déréalisant que les images venues des fonds mythiques les plus archaïques. Seulement cette déréalisation est, en quelque sorte, prospective. Elle anticipe, de façon plus ou moins inquiétante, sur les apparences dont se contentent et se rassurent les contemporains, et dans ces anticipations oeuvrent de concert le pressentiment collectif d’un monde renouvelé ou appréhendé autrement par de nouvelles formes de savoir et les requêtes d’une psyché individuelle pourvue de nouveaux instruments pour traduire le jeu des instances profondes. » (Max Milner, op. cit.p.24). Le texte « séminal » en la matière resterait Le Château des Carpathes, de Jules Verne.
3. in Le Temps des migrations, Le Préambule, Longueuil, 1987.
4. in Star Songs of an Old Primate, Del Rey, NY, 1978.
5. in Solaris # 75, 1987. Elisabeth Vonarburg en est mentionnée comme la co-auteure, mais une postface au texte indique qu’elle n’a rien eu à voir avec l’élaboration de l’intrigue, et assez peu avec l’écriture elle-même. J’ai donc choisi de classer ce texte dans les textes « écrits par un homme ».
6. Max Milner, op. cit. : « [...] a réduplication du monde sensible, surtout lorsque le sujet y est inclus, exprime une angoisse très profonde quant à sa propre identité, quant à sa relation à l’autre, et quant aux menaces que fait peser sur son être l’investissement totalement narcissique de son image. » Et : « Transformer les conditions de la vision, c’est, d’une manière plus générale, problématiser la place du sujet. » Voir aussi dans le « stade du miroir » de Lacan le rôle constitutif du sujet pour « le regard d’une tierce personne dont le miroir suggère la médiation ». (p.31)
7. in Bio-Futures, anthologie présentée par Pamela Sargent, Vintage Books, NY, 1976 ; trad. française in Le Livre d’Or d’Ursula Le Guin, Presses Pocket, Paris, 1978.
8. in Imagine...# 46, spécial Sciences & Technologies, 1988.
9. in Janus, Présence du Futur, Denoël, Paris, 1984.
10. Peinture et Société, Gallimard, Paris, 1965, p 64.
11. in Histoires de Cosmonautes, Livre de Poche, Paris, 1974.
12. Trad. française Le Silence de la Terre, OPTA, Club du Livre d’Anticipation, Paris, 1967.
13. Liden dit curieusement dans « Axolotl » : « Quand j’ai regardé les plans des physiciens, ici dans l’espace, j’y ai discerné la volonté d’échec qu’ils y avaient introduite, la crainte qu’ils devaient inconsciemment avoir de pénétrer trop avant dans l’atome. (je souligne) [...] (p.56)
14. in Histoires de Cosmonautes, op. cit.
15. On a souligné à juste titre la « bifurcation » (Ketterer) des éléments féminins et masculins dans chacun des personnages de ce roman, y compris le monstre. Mais leur perception est souvent différente selon que le lecteur est un homme et une femme, et on peut supposer que le jeu des identifications doit être aussi ambigu pour une lectrice aujourd’hui qu’il a pu l’être pour Mary Shelley elle-même à son époque — ou pour un lecteur autant qu’il a pu l’être pour Percy Shelley... C’est très perceptible justement quand on examine la réception du roman par des hommes et par des femmes : le balancement fréquent du couple formé par Frankenstein et sa créature entre « victime /coupable » (lecteurs) et « criminel/victime » (lectrices) est tout à fait caractéristique. La science est perçue comme anti-naturelle et plutôt positive chez les uns — à qui elle permet très clairement dans ce texte d’usurper les prérogatives créatrices de la femme — et comme anti-naturelle et plutôt négative chez les autres, qui sentent bien ce qu’on leur vole. De même la culpabilité et le châtiment sont souvent vécus de façon différente par les lecteurs (le Moi masculin est plus ou moins injustement puni de sa transgression) et par les lectrices (le Moi féminin est justment vengé...).
16. Tiptree, in « The Women Men don’t See », (op. cit.), repris par Sarah Lefanu comme titre d’un recueil d’essais (In the Chinks of the World-Machine, The Women’s Press, Londres, 1988).
17. À rapprocher de Vonarburg, lors de la rencontre de Hilsh avec une créature féminine émanée de la Nef : « [...] C’est une symétrie subtilement différente [...] il n’y a pas là cette trinité du sexe, entre les cuisses, qui semble répondre si justement à celle de la tête entre les épaules, mais c’est une sorte de symétrie paire qui est curieusement satisfaisante [...] « (p.172).
18. D’une certaine façon, on a le même conflit dû aux connotations divergentes du vaisseau ou de la station spatiale chez Pelletier.
19. voyeurisme », »pulsion scopique » (Schaulust) : « Notre désir de voir, dans la mesure où il est désir, appétit, et non seulement l’exploration du visible ordonnée à notre autoconservation, s’enracine dans le manque qui nous constitue comme êtres sexués et signifie en fin de compte un déni de notre castration. » (M. Milner, op. cit.).
20. Un motif très souvent lié aux figures paternelles et à la science en général chez Sernine. Voir à ce propos Vonarburg, « Daniel Sernine entre deux mondes », Imagine... # 22, Actes du Congrès BORÉAL V, 1984, ainsi que « Ludovic sur le divan, essai d’approche psychocritique du roman de Daniel Sernine », Solaris # 54, 1984, et « Voyage au Pays de Sernine, suite et fin provisoire », idem # 56, 1984.
21. Du groupe Pink Floyd, dans leur disque Momentary Lapse of Reason.
22. On voit arriver les clones, mais leur débarquement est exécuté avec une remarquable économie : « L’écoutille s’ouvrit. Le jeune homme qu’ils avaient vu sur l’écran sortit d’un bond virevoltant pour atterrir sur le sol instable, poussiéreux et scoriacé de Libra. » (p.150-151). C’est sur la planète que l’accent continue à être mis.
23. Et en particulier chez Vonarburg. Voir entre autres « Janus », et « Dans la fosse », in Janus.
24. Même chose chez Sernine, qui s’arrête pourtant à ce corps, comme d’ailleurs les « doubles » de Champetier à la matière organique du leur, lieu et agent du châtiment.
25. On pourrait dire qu’ici les instances paternelle et maternelle se combinent de façon étouffante pour le Moi.
26. En finale : « On pouvait apprendre. Apprendre à choisir. Apprendre à accepter. Quitter l’abri. Émigrer doucement, hors de l’indifférence. » (p.25)
27. Dans la description de laquelle sont clairement activées les connotations mère / nature primordiale puissante : végétation énorme, splendide et luxuriante.
28. Voir par exemple des nouvelles de Sydney Van Scyoc, (« Mnarra Mobilis ») ou le classique « The Word for World is Forest » de Le Guin.
29. in Le Vieil Homme et l’espace, Le Préambule, Longueuil, 1981.
30. Je renvoie ici à deux romans traitant de la colonisation d’une planète et où la situation des femmes est la clé de l’action, Darkover Landfall, de M.Z. Bradley (Daw, New York, 1972) et We Who Are About to... de Joanna Russ, (Dell SF, NY, 1977). Ils ont chacun à leur façon suscité des réactions caractéristiquement violentes — chez les féministes pour le premier, chez les... hommes, pour le second.

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