Elisabeth Vonarburg - Textes, Articles, Entrevues

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Un charmant Québécois intitulé François Laroque m’a envoyé, en 1992, un questionnaire écrit à la main,et fort long. J’ai soupçonné qu’il s’agissait d’un étudiant et d’un travail scolaire, et lui ai écrit ceci, tout en répondant en partie à la demande — j’avais du temps à perdre ; ce n’est pas toujours le cas :
 
“Cher François Larocque, en bonne écrivaine totalement pervertie par le traitement de texte, je trouve insupportable d’avoir à répondre par écrit à des questionnaires quand il y a plusieurs lignes à écrire. J’ai essayé (point 1) mais j’ai vite craqué. Je me suis donc prévalue de la permission qui nous est donnée d’élaborer “au verso”, sauf que je ne pouvais pas tout coller au verso.Je m’épanche donc par feuilles annexes interposées, en identifiant les questions qui suscitent mes commentaires.”

Avis aux amateurs : employer donc le courriel !...

Ici encore, on peut s’amuser à reconstituer les (parfois longues) questions par les réponses...

 
1. Définitions de l’écrivain :
 
J’aimerais ajouter la mienne : “Un/e écrivain/e est une personne qui a organisé sa vie en fonction de l’acte d’écrire”.
 
Et insister sur le fait que pour moi écrire constitue une certaine façon d’être au monde et de communiquer, avec soi-même, les autres et le monde (dans cet ordre) ; c’est donc indépendant des appareils et autres institutions, du “regard social”. Ce n’est pas non plus une “élection”, “vocation”, ou autre terme mythico-mystificateur. Dans mes moments de lyrisme j’admets un“appel” de soi par soi, mais j’essaie de me soigner...
 
J’ai l’habitude de dire qu’être écrivain/e est une perversion particulière à certaines personnes, maisle terme “perversion” prête à confusion. En ce qui me concerne, être(devenue, en devenir) une écrivaine est le résultat d’un certain nombre de circonstances particulières, qui ne se répéteront pas de façon exactement identique chez tel ou telle collègue. Même chose pour n’importe quel artiste. Et à la limite même chose pour n’importe quel autre type d’activité humaine : une rencontre particulière de “nature”et de “culture”. Il n’y a pas, conclurais-je inélégamment, de quoi en faire un plat.
 
2. Être écrivain, est-ce un métier (comme un autre) ?
 
Je suppose que cette question et ses subsidiaires sont destinées à pogner les esprits confus, dans la mesure où je me suis prise à répondre de façon contradictoire à 2. A. et à 2. B.
 
Mais je crois que je peux me tirer d’affaire en partie en soulignant de nouveau le double fonctionnement de “écrivain/e” pour moi. Il y a, disons, le choix de vie, et le rapport particulier au langage ; et il y a l’insertion sociale/publique à partir du moment où on accepte de jouer le jeu de la publication. Dans ce second sens, oui, écrire est un “métier”, ou du moins nous efforçons-nous d’en faire un “métier”, i.e. une activité sociale reconnue et validée par des services sociaux afférents, du genre retraite, variétés d’imposition, syndicats, etc.
 
Pas un métier tout à fait “comme un autre”, dans la mesure où justement le regard social porté sur l’activité d’écrivain/e en fait en général une activité différente, comparée aux métiers “normaux” : pas d’horaires fixes (même si certain/e/s écrivain/e/s sont du genre “pointeur”), pas de “boss”(même si certain/e/s écrivain/e/s “écrivent pour” tel ou tel directeur de collection ou de revue), et surtout pas de rémunération fixe. Nous sommes (administrativement) des “travailleurs autonomes”, ou nous nous disons “à la pige”. D’un certain point de vue nous avons “bien de la chance” de faire “un métier qui nous plaît”, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de gens faisant “un métier comme les autres”, et nous en acceptons (ou du moins certain/e/s d’entre nous) les conséquences “négatives” (incertitude du lendemain, caractère aléatoire du support financier fourni par l’écriture, etc...)

2. A.
Et donc ma réponse contradictoire à cette question :
 
Oui,être écrivain/e c’est sinon pour moi un “hobby” aux connotations trop péjoratives, du moins un “passe-temps” au sens propre : la façon que j’ai choisie de passer mon temps, i.e. ma vie (au contraire par exemple de gens “pognés” dans un métier qui leur déplaît). Et Oui, être écrivain/e est un “métier” mais pas forcément “comme un autre”, et Non tout le monde ne peut pas devenir écrivain — voir plus haut.
 
Pour ce qui est de “tout le monde a besoin un jour ou l’autre, du travail de l’écrivain”, je dirais plutôt que “certaines personnes ont besoin...” etc. Avoir recours à la lecture en cas de “besoin” (je pense ici aux besoins graves, pas à deux heures à perdre dans un hall d’aéroport ; et même dans ce cas-là, “tout le monde” n’aura pas recours à la lecture ! ), en cas de “besoin” profond,donc, lire n’est pas uniformément répandu (il faut savoir lire, déjà, je veux dire, ne pas être analphabète ; ce qui réduit considérablement le “tout le monde”, même dans les pays dits développés...) Il y a des prêtres, des analystes, des psychologues, des diseuses de bonne fortune, des gourous plus ou moins psy et je ne sais quoi encore pour répondre à ces besoins... 
 
2. B.
 
Mes réponses s’expliquent encore par ce qui précède, et en particulier la distinction entre écrivain-choix de vie et écrivain-insertion sociale ; de ce dernier point de vue, l’écrivain/e est aussi important/e pour moi que tous ces gens, il/elle a des fonctions sociales, produit une marchandise qui entre dans le circuit du marché — matériel ou intellectuel peu importe, etc.
 
Quant à l’écrivain/e dans son premier sens — choix de vie — ils sont aussi importants que n’importe quel être humain aspirant et travaillant à donner à sa vie en particulier et la vie en général un sens satisfaisant pour elle ou lui, et, éventuellement, par contagion, pour autrui.
 
3. Dans quelle mesure l’écrivain est-il important pour vous et en quoi vous est-il utile (et nécessaire) ?
 
Dans la mesure où je suis écrivaine, il me semble que la réponse doit être double : (a) en quoi mon “être écrivaine” m’est-il important, utile et nécessaire, et (b) en quoi les autres écrivains le sont-ils ?
 
(a) Je me suis importante, utile et nécessaire comme écrivaine parce que c’est ma façon de respirer, d’être au monde, d’actualiser ma relation à moi-même, aux autres et au monde. Et aussi il m’est important d’être écrivaine parce que ça me permet de rencontrer des écrivaines et des écrivains sur un plan particulier. Et enfin, dans un autre ordre d’idée, parce que c’est ce qui me permet matériellement de survivre, jusqu’à nouvel ordre ! 
 
Le point (b) devrait lui aussi se diviser en deux sous-points ( ! ) : les écrivain/e/s rencontré/e/s dans les livres, et les écrivain/e/s rencontré/e/s dans la vie
 
(b1) les écrivain/e/s rencontré/e/s dans les livres sont important/e/s, utiles et nécessaires en tant que voix humaines, maîtres temporaires et/ou ami/e/s et/ou mystères, qui enrichissent mon expérience personnelle à travers la communication établie avec le texte, et à travers le texte.

 

 (b2) Les autres écrivain/e/s rencontré/e/s dans la vie ont été et son timportant/e/s, utiles et nécessaires également comme des ami/e/s peuvent l’être : des âmes plus ou moins soeurs (ou frères), au moins en partie, avec qui la possibilité d’être sur des longueurs d’onde semblables est marginalement plus grande qu’avec des non-écrivain/e/s.Pas sur tous les sujets tout le temps, mais parfois,sur des sujets précis — comme l’écriture vue du côté de la pratique, par exemple.

 
Je pourrais ajouter un point (c) à propos du fait que les relations entre auteur/e/s de science-fiction(etassimilés) sont en général plus développées, suivies et approfondies que les relationsentre écrivain/e/s de “littérature générale”, ce qui développe et peut-être explique le point (b2)...

 

NB : et tout ceci est la raison pour laquelle je réponds Oui ET Non au point 3. D.
 
4. De quelle façon l’écrivain se rend-il utile à la société ?
 
a. la notion d’utilité sociale est pour le moins périlleuse à manier. On devrait au moins mettre au pluriel, les façons dont l’écrivain/e se rend utile. Et par ailleurs, de quel point de vue est-il demandé de se placer ici ? Du point de vue du Pouvoir en place ou du point de vue de ses contestataires éventuels ? Ou sub specie aeternitatis,un point de vue qui n’a guère de valeur opératoire en l’occurrence ? L’écrivain/e peut être un agent de conformité ou une voixdissidente. Il peut aussi ne faire “que” divertir (et la notion de “divertissement” est bourrée de chausses-trappes). Je serais bien tentée de dire que l’écrivain/e devrait être utile en dérangeant, mais ce pourrait être dit de tous les artistes, et à la limite de tout être humain digne de son sel, dans la mesure où pour moi être “dérangeant/e”, c’est poser toujours des questions...

b. La réponse au questionnaire dépend de toutes façons en très grande partie de la publication ou non de l’écrivain/e1 — un minimum ! — et ensuite du tirage et de la mise en marché de ses livres. De là dépend la “surface sociale” de l’écrivain/e et son éventuelle importance/utilité. De toutes façons, “utilité” veut dire, n’est-ce pas, qu’on peut être utilisé... La question qui se pose alors est : par qui
 
c. Il me semble en conclusion que l’écrivain/e peut “se rendre utile à la société” en essayant déjà d’être un être humain conscient et responsable — ni plus ni moins que n’importe qui d’autre. Disonsquec’est le minimum vital... Ça peut passer par l’écriture (et la publication), mais pas forcément, et pas forcément seulement par là.

 

NB : D’où mes réponses aux questions 4.A et 4.B., que je commente ci-dessous :
 
4. A.
 
 Dans les cas présentés par le questionnaire, le “rôle” le plus important de l’écrivain/e par rapport à autrui (sinon à “la société”) est pour moi de “divertir”, dans la mesure où divertir c’est “détourner”, et où être détourné peut être “dérangeant”. Au pire, bien entendu, divertir, c’est “distraire”, faire oublier, endormir. Mais “au moins pire”, c’est permettre de s’échapper, et tout mouvement, même de fuite, est pour moi potentiellement positif s’il est mouvement par rapport à une immobilisation, toujours négative.
 
Je prends “Informer” dans un sens très large : toute communication avec autrui, avec la différence qu’est autrui, est “(in)formative”. C’est de ce point de vue que je mets “informer” à égalité avec “divertir”.
 
“Donner sa vision du passé ou du futur collectif” et “Refléter la société actuelle” (vous remarquerez que je n’emploie pas “notre”...) dépend encore une fois de l’intensité de l’insertion sociale/publique de l’écrivain/e — laquelle dépend de la personnalité dudit ou de ladite. Il y en a qui sont des sauvages ! Mais enfin, c’est une façon plus étroite, plus spécifique, de “divertir” et d’“informer”, selon moi.
 
Enfin, la défense et illustration de la langue (française ou autre) dépend aussi de l’insertion sociale et publique des auteur/e/s. Dans la mesure où (pour moi) l’écrivain/e est une personne qui cherche à communiquer avec soi d’abord, avec les autres ensuite, la question de la langue dans laquelle se fait la communication est relativement secondaire. Mais il est certain que pour communiquer avec autrui on doit essayer de parler leur langue le mieux possible pour assurer la meilleure communication possible, unefois qu’on s’est fait une idée plus ou moins précise du lectorat auquel on s’adresse — dans la mesure où je ne pense pas qu’un/e écrivain/e puisse “s’adresser à tout le monde tout le temps” — ni même s’adresser à tout le monde de temps en temps : de la même façon que tout le monde ne peut pas être l’ami/e, ou l’âme-soeur de tout le monde...
 
4. B.
 
En temps que personne privée mais citoyen-ne, l’écrivain/e n’a pas plus ni moins à s’engager publiquement dans les causes sociales et politiques que n’importe quelle autre citoyen-personne privée2. SI l’écrivain/e a une surface publique plus ou moins vaste, ça ne change rien à son devoir d’engagement en tant que personne ; ça change éventuellement le retentissement de cet engagement ; et il y a des sociétés où l’écrivain/e (ou l’artiste en général ; mais ceux qui jouent avec les mots — écrivains et chansonniers — semblent plus “influents”) le fait à son péril physique... Mais pas plus et peut-être moins que le simple citoyen, lequel ne peut pas compter sur l'association PEN pour présenter son cas au monde (il y a Amnistie Internationale, bon... mais en plus, les écrivains peuvent compter sur la PEN...).
 
Par ailleurs, l’effet-vedette a des conséquences d’entraînement indéniable ; les écrivain/e/s ne sont cependant pas les seul/e/s concerné/e/s par l’effet-vedette, et de loin ; mais cela implique des responsabilités peut-être accrues...Il y a une différence de degré, pas de nature, me semble-t-il pourtant,entre l’influence (et les responsabilités) qu’a X ou Y, simple quidam,sur sa famille, ses amis ou ses collègues, et l’influence de disons Sartre, ou Havel, sur une portion plus importante de la population.
 
De toute façon, il me semble que “l’effet-vedette” est surestimé, par ceux qui y trouvent un intérêt — parfois les “vedettes” elles-mêmes. À estimer importante son intervention publique parce qu’on se considère (est considéré, même) comme une personnalité en vue, il y a une potentialité de tête enflée, un désir d’auto-agrandissement, qui me rendent assez méfiante, (surtout si on a conscience de la place que tiennent les écrivain/e/s dans la hiérarchie des “personnalités en vue”, derrière les Athlètes, les Rock Stars et les Savants ! )
 
On doit s’engager dans une cause parce qu’on y croit, et parce qu’on croit qu’on peut y faire quelque chose. Mais si on utilise alors son statut de “vedette”, il y a quelque mauvaise foi, et même quelque duperie dans le processus : on a fait preuve de certaines capacités dans l’exercice de telle ou telle activité, artistique ou autre, capacités qui provoquent l’appréciation et l’adhésion du public ; et on se sert de cette appréciation pour attirer éventuellement ledit public dans des causes qui n’ont pas forcément de rapport avec les activités où l’on est compétent... Et que la Cause soit Juste ou pas, ça ne fait rien : on n’invite nullement les gens à penser par eux-mêmes, ici, mais à suivre moutonnièrement un Nom lié à une certaine émotion agréable... Ce qui serait pour moi anathème pas peut susciter des chocs salutaires... Ou aussi des chutes catastrophiques de popularité... Finalement, “vedettes” ou simple quidam, on s’engage toujours à ses risques et périls, donc...
 
***
Je m’aperçois qu’à la question 4.B. j’ai tenu pour acquis qu’il s’agissait de l’engagement social de l’écrivain en-dehors de son écriture, de ses oeuvres. Est-ce assez révélateur ? Mais c’est qu’il va de soi, qu’il est inévitable, en fait, que l’écrivain soit “engagé”, si désengagé se veut-il vis-à-vis du “siècle”... C’est seulement plus ou moins patent.


[1] Dans la mesure où pour moi, rappel, ce n’est pas la publication qui fait l’écrivain/e de toute façon. On peut être écrivain/e/ sans avoir publié.
[2] Et elle ou il font preuve d’autant de courage ou de lâcheté que n’importe qui d’autre, au demeurant.
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