Elisabeth Vonarburg - Textes, Articles, Entrevues

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En 1996, La Maison d’Ailleurs, le musée de la SF, de l’Utopie et du reste, sis à Yverdon et legs du regretté Pierre Versins, a fait circuler un questionnaire parmi les auteurs de SF. J’ai essayé d’y répondre. Petit exercice : reconstituez l’intégralité des questions à partir des titres abrégés précédant mes réponses...
 
1. Images de la SF
 
La réputation de la SF auprès des universitaires, (sinon de la curieusement nommée “intelligentsia”, dont je concède le désintérêt), me semble moins mauvaise en milieu anglophone, aux É.-U. par exemple, et même au Québec, qu’en France. Il n’y a pas moins de deux gros colloques universitaires de haut de gamme aux É.-U. (the Eaton Conference sur la côte ouest et l’International Conference on the Fantastic in the Arts sur la côte est), avec une participation assez importante (près de 600 personnes en moyenne à l’ICFA, tous des universitaires et/ou aspirants universitaires bon teint). Et au Québec, même s’il n’y a pas eu récemment de colloque spécifiquement sur la SF, des auteurs sont régulièrement appelés à rencontrer des étudiants dans des universités et des collèges. (Et j’ai été invitée à un colloque bilingue sur “Livre et microchip” ou quelque chose d’approchant, en Ontario, ce qui en dit long sur l’image de la SF dans certains domaines bien précis). Une raison de cette disons moins mauvaise image de la SF en Nord-Amérique est peut-être le sentiment des anglophones que la SF — si méprisée, ignorée, ou mécomprise qu’elle puisse être — appartient profondément à leur culture.

Pour ce qui est de la résistance de l’intelligentsia où qu’elle se trouve, on a tellement souvent répondu à cette question dans les milieux SF de tout poil que ça en devient rasoir. (a) Toute culture a besoin d’une contre-culture, tout aristo de ses prolos [“para-littérature” & Cie] : (b) et vice-versa [“je suis dans le ghetto, mais au moins je suis et je les emmerde”] : (c) l’intelligentsia de tous bords, mais peut-être plus particulièrement en France, a avec les sciences et les technologies des relations pour le moins ambivalentes (quand elle en a ! ) et pour tout dire assez pourries [méfiance, ou carrément terreur de ce qu’on ne connaît pas, ne comprend pas, ou auquel on est par principe “idéologiquement opposé”] (d) Plus particulièrement en France, il ne faut sans doute pas sous-estimer encore aujourd’hui l’anti-américanisme rampant : la SF est perçue (et malheureusement, à juste titre, et de façon encore plus écrasante depuis plusieurs années) comme un produit impérialisto-américain. (e) et je ressors mon bon vieil argument dont on ne m’a pas encore démontré la fausseté : je pense qu’il y a un lien entre l’image qu’un pays donné se fait collectivement de son rôle dans l’évolution des sciences & technologies (et dans la hiérarchie du pouvoir mondial) et la popularité de la SF dans sa population.
 
2. Ghetto ou contagion
 
Cette question aussi, je suis désolée de le dire, est une tarte à la crème. Je ne suis que depuis une trentaine d’années “dans” la SF, mais en trente ans on n’a visiblement pas résolu ce problème, qui se posait déjà pour la génération précédant la mienne, et je ne vois pas comment on pourrait le résoudre, compte tenu des réponses apportées à la question 1. Le “milieu SF” n’existant pas réellement comme classe susceptible d’agir en masse, et particulièrement pas en milieu francophone où il n’a pas les structures professionnelles qui le lui permettraient vaguement[1], on est réduit comme toujours aux escarmouches ou aux échanges aux frontières, plus souvent l’oeuvre d’individus des deux bords pleins de bonne volonté (pour un temps : on se lasse, on vieillit, on arrête, on y revient... etc.). C’est à chacune et à chacun de décider quelle importance réelle elle ou il accorde à la SF dans sa vie et quel temps et quelle énergie elle ou il est prêt à y consacrer, genre apostolat, je suppose.
 
3. La SF et vous
 
(a) j’écris (b) de la SF. C’est là la principale image que j’ai personnellement de la SF. La littérature (ni para, ni pseudo, ni infra) que je pratique. La littérature qui me permet de respirer. La littérature qui me permet de pratiquer la littérature, aussi, dans la mesure où les histoires qui me “viennent” se situent à l’écrasante majorité dans ce cadre — je n’écrirais sans doute pas aujourd’hui s’il n’y avait pas eu la SF. Par ailleurs, en tant que femme, et femme venue au féminisme presque davantage par la SF que par autre chose, j’estime que la SF est un outil sans prix qui me permet de donner un (ou des) sens au monde où je vis ma vie de femme, en me permettant de dépasser le registre de la constatation furieuse ou désolée pour accéder au véritable registre du... j’ai envie de dire “du politique”, mais c’est peut-être une acception quelque peu idiosyncratique du terme : changer la vision qu’on a du monde pour éventuellement réinventer le monde.

Plus je vieillis, plus je deviens militante, je dois dire — pour la SF, parce que c’est à elle qu’est liée l’effet éventuel que je puis avoir sur “le monde” dans le domaine où je me sens le plus concernée, — le monde : la poignée de lectrices et lecteurs qui ont accès à mes histoires — et qui sait jusqu’où peut aller l’effet papillon dans ce monde chaotique, n’est-ce pas ? C’est sans aucun doute le fait d’avoir été publiée aux É.-U. qui m’a ainsi rendu plus militante — inutile de se voiler la face, dans les circonstances actuelles, c’est là que “ça compte” — et je ne parle nullement de l’aspect financier de la chose, minime en ce qui concerne les deux livres publiés : mais les nombreuses rencontres que j’ai pu avoir avec mes collègues féminines et mes lectrices et lecteurs américains m’ont soudain fait regarder d’un autre oeil le fait d’être une auteure publiée aux É.-U — j’ai l’impression de faire là-bas partie d’un groupe, ce qui n’est pas le cas en francophonie, pour ce qui est de la question féministe, j’entends.

Contribue aussi à mon nouveau militantisme le fait que j’ai maintenant accès à des médias audio-visuels : j’ai une chronique de dix minutes à Radio-Canada dans une émission qui commence sa deuxième année, “Demain la veille”, et j’ai été invitée à plusieurs reprises à l’une des deux émissions littéraireuh-sexy de la télévision de Radio-Canada, où l’on dit vouloir me voir encore. Tout comme la publication aux É.-U. cet accès aux médias est aléatoire — il n’y a aucune certitude quant à sa continuation. Mais tant que ça doure, je m’en sers, et sans vergogne, pour promouvoir la SF — et j’ai la satisfaction de constater que cela sert à quelque chose, ponctuellement,mais je n’ai jamais pensé avoir d’effet autre que ponctuel sur “le monde”....

Quant à celles et ceux qui ont suggéré parfois qu’à mon âge et avec mon intelligence, je devrais consacrer mon énergie à autre chose, ils n’ont pas survécu longtemps.
 
4. Campagne de promotion.
 
(a) De quelle SF s’agit-il ? La SF américaine ou anglophone n’a guère besoin de promotion auprès du grand public de la SF qui n’achète pas les revues spécialisées qu’on ne voit jamais aux conventions.

(b) De quelle SF s’agit-il ? La SF cinématographique effets spéciaux, muscles de Schwartzie, bing-bang-boum-paf, n’a visiblement pas besoin de promotion auprès du grand public tout court.

(c) Pour ce qui est de la SF écrite : je ne suis ni une visuelle ni une publicitaire. Ma “promotion” de la SF repose artisanalement sur mes mots et ma passion personnelle. Mais si j’avais à concevoir une promotion de la SF écrite auprès du grand public, (a) ce serait une campagne, i.e. plus qu’une affiche, et (b) ce serait une campagne multimédias (TV, radios, journaux, et affiches, voire happenings ici et là.) (c) ça coûterait un max ! ! !

Appendice i : Peut-être faudrait-il d’abord concevoir une campagne de promotion auprès des éditeurs, des distributeurs et des libraires, au fait — du moins en ce qui concerne la SF indigène : le “grand public”, pauvre petit, n’arrive après tout qu’en bout de ligne...

Appendice ii : Et on ne peut pas promouvoir ce qui n’existe pas/plus : s’il n’y a pas/plus de “bons” livres, de “bons” textes, de “bons” auteurs, quelque part à la frontière fluctuante du “goût du public” tel que conçu par les éditeurs et des idiosyncrasies hautement individualistes des Je-suis-un-artiste-moi-monsieur, autant pisser dans un violon, n’est-ce pas ?
 
5. L’écrit et l’image
 
Ce n’est pas la SF en tant que telle qui est différente (et remarquez que je ne dis pas “supérieure/inférieure”) dans les différents médias, ce sont les médias eux-mêmes, avec leur fonctionnement spécifique (dans la psyché des récepteurs), leur façon spécifique d’articuler les messages, et leur ancrage socio-économique spécifique (en gros, les contraintes du marché, oui ? ) La qualité ou non de la SF (ou autres genres) est étroitement liée au médium qui la transmet, me semble-t-il. De ce point de vue, et pour des raisons liées aux exigences très diverses du médium cinéma, par exemple, il est infiniment plus difficile de faire un bon film de SF qu’un bon roman de SF. Le cas de la BD est spécialement intéressant dans la mesure où elle est à cheval sur le mot et l’image — il est sans doute plus facile de faire une bonne BD qu’un bon film de SF. Et, ah, que va-t-il advenir avec les hyperfictions ? La suite sur votre réseau favori.
 
6. Les SF francophones.
 
Ah noooon, pas encooooore la question de la “spécificité nationale” ! Là aussi, ça fait vingt ans que je manie ou vois manier cette scie. Je sens que je vais être abrupte. (a) La seule SF nationale-spécifique, c’est la SF américaine, et, à moindre titre, les SF anglophones. (b) les SF belge, française, québécoise et suisse ne sont pas anglophones, et plus spécifiquement, ne sont pas américaines. (c) C’est une tare qu’elles partagent avec toutes les autres SF du monde qui ne sont ni anglophones ni américaines. (d) Tous les auteurs non américains écrivent donc avec ou contre la SF américaine, mais jamais sans. (e) Ce n’est pas “plus pire” que ça du point de vue de l’écriture en soi, après tout on écrit toujours avec ou contre, que ce soit sa culture ou une autre et/ou les deux : là où c’est vraiment pourri et déprimant, c’est au plan de la publication, mais ça ne rentre pas dans le présent questionnaire. (f) Et maintenant, lâchons-nous les baskets et arrêtons de nous hypnotiser là-dessus. La seule “spécificité” réelle et importante de la SF, c’est celle de chaque écrivaine et de chaque écrivain qui produit de la SF, avec son alchimie culturelle particulière. Que ce sujet de la “spécificité” soit encore marginalement approprié pour une communication universitaire bidon aujourd’hui, dans le cadre des crises identitaires si glamoureusement post-modernes, je n’en doute pas (ça a de toute façon été fait et refait jusqu’à plus soif et de façon non concluante depuis au moins quarante ans, signalè-je aux amateurs) : quant à moi, j’ai déjà donné, et j’espère que ce questionnaire n’est pas totalement indicatif des sujets qui seront abordés lors du congrès d’Yverdon !


[1] Mais il faut voir à quoi se réduit le rôle de la SFWA aux É.-U....
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