Elisabeth Vonarburg - Textes, Articles, Entrevues

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     Un autre Français, qui porte un beau nom moyenâgeux, Geoffroy Berré, et un autre étudiant en maîtrise, à Besançon — une bonne ville pour les genres, avec ma collègue Séréna Gentilhomme... Il était venu faire un tour à Montréal, si je me rappelle bien, en 2001. Il était plus particulièrement intéressé par Ailleurs et au Japon et Chroniques du Pays des Mères.

     G.B. : Afin que nous sachions exactement de quoi nous allons parler, pourriez-vous nous donner votre propre " définition "de la Science-fiction, que signifie-t -elle pour vous ?
     E.V. : " Description ", s'il vous plaît. "Définition" est un terme qui " met dans une boîte ". La SF ne se met pas en boîte. La science-fiction... Laquelle ? Il n'y a pas " la " SF mais " les " SF, tant les sous-genres sont nombreux. En tout cas, la SF que j'aime et que j'essaie d'écrire est un genre poétique, pour moi, parce qu'on y est libre d'y inventer des créatures, des lieux, des histoires qui ne tiennent que par les mots. Il s'agit par ailleurs d'une chimère, d'une créature à deux faces — science/fiction — qui me permet une harmonisation des différents registres de la psyché, " rationnel/irrationnel ", disons. Les alliances de contraires me réjouissent profondément... D'un côté, j'écris à partir de mes rêves : ma SF est donc profondément enracinée dans " ce que je suis " et " là où je suis ". D'un autre côté, elle contient tout ce que je rencontre dans ma vie diurne. Elle me permet de réfléchir sur l'ensemble de mon existence, celle-ci n'étant pas seulement " je-me-moi ", mais tout ce qu'il y a autour de moi, tout ce qui me rentre dedans : c'est un terrain de jeu immense. De proche en proche, c'est véritablement l'univers tout entier. La SF est à mon avis un genre extrêmement complet. Je continue à estimer que, dans la littérature générale, les différents domaines de la condition humaine ouverts à l'exploration considérée comme légitime sont relativement restreints. Certains auteurs se lancent et mêlent philosophie des sciences, politiques, psychologie, surtout aujourd'hui, avec la " fusion ", le dernier truc à la mode... Mais, si on s'intéresse, par exemple, à l'astrophysique, ça ne va plus ! Et il est tout de même rare de trouver un auteur de littérature générale qui pratique activement l'épistémologie... La SF, ça me paraît beaucoup plus complet du point de vue de l'expérience humaine. Je l'ai rencontrée à quinze ans (j'en avais lu avant mais je l'ignorais, il s'agissait pour moi de contes de fées dans l'espace !), j'ai lu Le Matin des Magiciens, qui m'a fait découvrir un nombre important d'auteurs. Et j'ai découvert la science-fiction comme une littérature moderne, une littérature de l'avenir, une littérature qui permet de rencontrer à la fois des scientifiques et des poètes — et donc, l'histoire des deux cultures, là, vraiment pas...
    
G.B. : Faites-vous ici allusion au débat né au cours des années '50 (C.P. Snow, etc.) relatif à la division de notre civilisation entre deux cultures incapables de communiquer entre elles, à savoir la culture traditionnelle et principalement littéraire et la culture scientifique et technique ?
 
    E.V. : Ben oui ! J'avais justement l'impression d'être dans une boîte, moi, au début des années soixante, en France, dans la campagne plutôt profonde — surtout quand on est une fille... D'autre part, j'avais déjà beaucoup lu quand j'ai rencontré la SF, et enfin j'ai eu la chance de la découvrir non pas par le biais d'une seule collection ou d'un seul auteur mais par le biais d'abord de nouvelles de tous genres et de tous styles, dans la revue Fiction qui à l'époque publiait aussi bien des auteurs français, belges, russes, polonais, espagnols, japonais... que les auteurs américains. Je suis donc toujours restée en contact avec les SF " non américaine " et en particulier la SF française, que je n'ai jamais perçue comme inférieure.

     G.B. : Vous parlez donc d'osmose entre rationnel et irrationnel. La science est donc une condition sine qua non à la science-fiction ?

     E.V. : Oui. Mais lorsque je dis " science ", je pense à quelque chose de beaucoup plus vaste, je pense au domaine entier des connaissances humaines, qu'il s'agisse des sciences dites dures, des sciences dites molles, des sciences dites spéculatives. Il s'agit vraiment de l'intégralité du domaine de la connaissance.

     G.B. : Comment vous situez-vous dans l'institution littéraire, Avez-vous l'impression d'être dans un " ghetto littéraire " ? Pensez-vous qu'il y a eu, ces dernières années une évolution de la mentalité par rapport à la SF, principalement au Québec ?

     E.V. : Nous sommes des Nord-Américains (je suis totalement acculturée ou presque !). Il faut savoir qu'en Nord-Amérique, la science-fiction est aussi américaine que la tarte aux pommes et la grand-mère peinte par Norman Rockwell. Même si ça fait un peu " l'enfant taré de la famille "ou " l'adolescent boutonneux ", ça ne fait rien, c'est à nous, estiment-ils. Enfin, c'est à eux, mais on ne se sent pas aussi loin qu'on pourrait l'imaginer, au Québec. Je me sens moins loin ici de la SF, comparé au sentiment de distance que j'éprouvais en France...Je disais tout à l'heure que je lisais également de la SF française et européenne en général, mais tout demême, la SF américaine était nettement dominante. Pourtant, l'expérience du " ghetto ", je l'ai surtout faite ici au Québec, dans la mesure où je n'ai pas appartenu du tout au milieu de la SF française (on ne me considère pas comme une auteure française en France et parfois on ne me considère pas comme une auteure québécoise au Québec !). Comme j'ai participé à la naissance du milieu de la SF québécoise, là, j'ai vu jouer l'effet de ghetto. Si ce n'est pas l'aspect " ghetto ", c'est l'aspect " famille "...Il y a une institution de la SF québécoise, j'en fais partie ; il y a une institution littéraire de... la non-SF, dont je fais partie aussi, parce que je suis capable d'en écrire et que j'en écris, parce que je suis agrégée, parce que je suis " doctorée ", parce que j'ai été et suis de nouveau un peu professeur. Je fais donc partie des gens qui sont à cheval sur la barrière. Des fois, je regarde le ghetto et je le critique ; d'autres fois, je pique ma crise de pauvre petite " ghettoïsée ". Mais lorsque je nous compare à nos collègues de la littérature générale, je me dis que nous avons de la chance : nous avons un public attentif, nous possédons d'une certaine façon notre propre marché — même si nous sommes inondés par les traductions françaises. J'ai l'impression que les auteursquébécois de SF occupent leur marché depuis plus longtemps que les auteurs français... Nos livres se vendent : mon éditeur tire à trois mille exemplaires et les vend en trois-quatre ans. Certains auteurs français tirent à mille ou deux mille et ne les vendent pas tous. Ne parlons même pas du roman normal, non-SF ! Aujourd'hui, au Québec, une œuvre vendue à cinq cents exemplaires en deux ans est un best-seller ! " Ghetto ", oui, OK, mais de qui ? Par rapport à quoi ? Vu par qui ? À quel moment de l'année ?Je fais de temps en temps partie des institutions littéraires et de temps à autres, je les observe avec un " regard d'exoanthropologue ", dans la mesure où il s'agit de phénomènes culturels normaux : les institutions génèrent leurs ghettos ; toutes les littératures ont leurs " para "ou leurs" sous "littératures. Les cultures " dominante " et " dominée " ont besoin l'une de l'autre pour exister. Une journaliste littéraire québécoise m'a un jour demandé : " Mais est-ce que ça ne vous défrise pas de penser que votre excellent roman, Les Voyageurs malgré eux, ne sera pas lu justement par des gens qui pourraient y trouver du plaisir ? "Comme j'étais de bonne humeur ce jour-là, je lui ai répondu : " Et bien, écoutez, Madame, il s'est vendu et bien vendu, je sais que j'ai des lecteurs et je préfère être un gros poisson dans un petit verre qu'une algue microscopique dans un bocal ". Mais cela dépend des jours et des humeurs. Je joue avec ça. Si on commence à prendre ces trucs-là au sérieux, à vouloir sa Carrière... À quoi on me répondra " oui, mais ça t'est facile à dire, tu es reconnue ". Oui. Effectivement. On est toujours venu me chercher, j'ai eu une trajectoire heureuse, je n'ai jamais vécu, jusqu'à présent, de rejet sérieux. Je ne peux donc pas vraiment savoir comment cela se passe pour les autres, mais je leur conseille quand même de rigoler avec l'Institution. Si on commence à prendre ces trucs-là au sérieux, c'est la mort.
 
     G.B. : Vous attachez en général une grande importance au style. Quelque chose m'a marqué en particulier, cet attrait spécifique pour l'écriture semi aléatoire, surtout dans Ailleurs et au Japon. Que vous a apporté cette démarche au niveau de la création en SF ?

     E.V. : Oh ! Vous voulez vraiment que je parle de ça ? Il faut dire que Ailleurs et au Japon a été créé dans une optique vraiment particulière, c'est une espèce de " sampler ", d'échantillonnage de ce que je fais. Il y a même une nouvelle fantastique ! Moi qui n'écris pratiquement pas de fantastique... C'était destiné à un éditeur littéraire (Québec / Amérique), tout comme la première version de Chronique du Pays des Mères — livre pour lequel j'avais choisi moi-même la couverture, pas du tout SF, pour voir si ça passerait. Rien dans le paratexte, à part la quatrième de couverture, n'indique qu'il s'agit de SF. C'est un " packaging "de littérature courante (j'en ai attrapé quelques-uns comme ça d'ailleurs). Pour Ailleurs et au Japon, je n'ai pas choisi la couverture, qui est jolie, mais estampillée " SF " bien visible... Mais c'étaient les nouvelles que je considérais comme les plus " littéraires ", c'est-à-dire les plus lisibles par des lecteurs non habitués à la SF. Et il se trouve qu'il s'agissait soit de nouvelles écrites sur thème imposé soit de textes semi-aléatoires, " Mourir un peu ", et " Ailleurs et au Japon " surtout. " Les yeux ouverts "est un produit d'atelier d'écriture : j'avais pris une version précédente inédite comme objet d'expérience pour les participants, on démantibulait tout et chacun gardait ce qui l'intéressait — dix participants, dix nouvelles différentes ! C'était " expérimental "pour moi, ça. Ce n'est pas le même procédé pour Mourir un peu qui est une novella générée par des lignes découpées au hasard dans des textes de tous genres. " La Carte du Tendre "est aussi un texte d'atelier. Cogito était plutôt un texte sur motif imposé. Le cas de " Le matin du magicien " est un peu particulier. Je l'ai écrit au moment où je faisais ma thèse de doctorat (sur ma propre " œuvre ", les inédits comme les publiés). Je me demandais alors pourquoi j'écrivais de la SF et non du fantastique. La nouvelle a été écrite un peu dans cette optique. Je l'ai fait lire alors à un de mes anciens professeurs qui, justement, m'avait fait découvrir en partie un fantastique plus littéraire. Or il s'agit en fait d'une histoire qui m'est arrivée (à part, bien sûr, le détail
proprement fantastique de la finale). C'est tout à fait indifférent au lecteur, pour qui tout est fiction dans une fiction, à prime abord, mais pour moi c'était important : pour moi, c'était juste du " réalisme un petit peu tordu " ! L'appartement du gars n'était pas tout à fait comme ça, les peintures n'étaient pas celles-là, mais bon, pour moi, c'était à la limite d'un rapport journalistique ! Mon prof et ami a fait le commentaire que c'était dommage que je précise les noms des rues, que cet effet de réalisme n'était pas nécessaire. Ce n'était pas " un effet de réalisme ", c'était " la réalité " ! Ça m'a pas mal tourneboulée, ces perceptions divergentes du réel et du non-réel, du littéraire, du fantastique... Et ça m'a frappée de constater que la seule façon de faire du fantastique, pour moi, c'était de raconter très directement mes propres histoires, mon vécucu. Les dix premières années où j'écrivais de la SF (de 15 à 25 ans, c'est ce qui est devenu Tyranaël), j'étais persuadée que je ne parlais pas de moi ! Ce que j'écrivais était né d'un rêve que j'avais fait — mais j'avais l'impression que ce n'était pas moi... Parce que ça passait par des planètes lointaines, des créatures non humaines, un lointain futur... Le fantastique est trop proche, pour moi.Le seul autre texte fantastique que j'aie écrit est " Géhenne ", dans L'Œil de la nuit, et c'est aussi pratiquement issu d'un rêve extrêmement personnel, mais que je n'ai pas réussi à transformer en SF... Ce sera d'ailleurs republié cette année, avec quelques modifications, pour que ça tienne mieux. Je viens d'en lire les épreuves, et je me rendais compte que je rigolais en me disant, " Mais comment pouvais-tu croire que tu n'écrivais pas sur toi ? " D'une certaine façon, l'aléatoire me permet d'entretenir la " bonne distance " de départ par rapport à mon matériau personnel, auquel je finis évidemment par revenir, mais j'ai besoin du détour. Et le plaisir de l'aléatoire est celui d'un processus onirique...Mais de ce point de vue-là, maintenant, je me sens dédouanée, " j'ai le droit " d'écrire et que ça parle de moi. C'est très difficile de se donner le droit d'écrire, je vois cela avec mes étudiants lors de mes cours de création littéraire. Certains ont beaucoup de mal à se permettre d'écrire. Même moi, lorsque je commence à écrire, il me faut deux à trois semaines pour me donner la permission d'écrire... Alors, quelquefois, l'aléatoire, ça aide : ce ne sont pas mes mots, ce ne sont pas mes affaires, je fais joujou ! Mais lorsque j'ai eu fini d'écrire la nouvelle " Ailleurs et au Japon " d'après la méthode qu'on m'avait donnée — remplir les trous entre des lignes découpées dans toutes sortes de textes différents — les yeux me sont sortis de la tête en le lisant, parce que j'y ai vu toutes mes obsessions, toutes mes influences littéraires, tout moi ! Que quelque chose de si totalement aléatoire puisse me renvoyer de la sorte à moi-même m'a marquée. C'est à ce moment là qu'un de mes amis m'a suggéré de le publier sous pseudonyme, ce qui démarra toute l'affaire Sabine Verreault. Jamais je n'aurais fait cette expérience-là s'il n'y avait pas eu ce texte. J'ai écrit trois textes sous ce pseudonyme. Une fois arrivée à " Mourir un peu ", comme le dit la présentation de ce texte dans Ailleurs et au Japon, ça avait joué le rôle que ça avait à jouer et je m'étais réconciliée avec mon propre matériau... J'ai arrêté. Mais cette méthode reste très importante. Je continue à écrire de cette façon. Le recueil de poésie, Le Lever du récit, que j'ai publié en 1999, est en partie (à peu près la moitié) composé de cette façon-là, et retravaillé pendant quinze-vingt ans, de cette façon-là aussi quelquefois. C'est comme une espèce de test de Rorschach : la façon dont ça se dispose, la manière dont je recompose chacun des textes me renvoie à ce que je suis à ce moment-là, comme une page de journal, c'est un effet de miroir immédiat. C'est très curieux. Ce n'est pas de l'écriture thérapeutique mais c'est un contact avec les profondeurs... — toutes cette sorte de choses !

     G,B. : Et pour Tyranaël ?

     E.V. : Tyranaël est né d'un simple rêve que j'ai fait à quinze ans. C'est entre quinze et dix-sept ans que j'ai monté tout le système, une " déboulade "de projections tous azimuts. C'est donc aussi un phénomène onirique, mais très longuement négocié par la suite (trente-quatre ans !) Jusqu'à ce que ça ait une espèce de pseudo logique. Car le côté rationnel de la SF est très souvent un côté pseudo rationnel : il s'agit de rationalisation, pas de rationnel... Je n'ai plus utilisé de l'aléatoire en tant que tel pour Tyranaël, par la suite. Encore que si, pour la façon dont les noms étaient choisis (association libre, ce genre de choses). Mais pas aussi systématiquement. Tout l'aléatoire avait eu lieu avant... Le rêve que j'avais fait, c'était ça, le gros morceau d'aléatoire.

     G.B : Il me semble, et je l'ai surtout remarqué dans Chroniques, que vous attachez une importance capitale au langage comme outil narratif.

     E.V. : Ah, ça, ce n'est pas mon invention !C'est un pré-requis de la SF. Le fait pour le travail narratif, dans Chroniques, de porter sur le français, sur la féminisation du français, est un cas particulier mais quand on aborde la création d'un monde, une des meilleures façons de produire l'effet de déplacement étrange est d'obliger le lecteur à fonctionner dans la langue de ce monde. Et cette langue peut être inventée. C. Cherryh le fait depuis le début, ainsi qu'Ursula le Guin dans La Main gauche de la nuit, qui a été un grand choc pour moi. Les personnages parlent de " shiftgrethor ", agissent selon le " shiftgrethor " mais c'est quoi, exactement, le " shiftgrethor " ? ! On ne le sait jamais mais on le voit tout le temps : la situation change et on en apprend les connotations du mot en situation. Il en est de même dans Always Coming Home... La sociolinguistique, l'exolinguistique, c'est véritablement un grand outil de déplacement du lecteur, dans la SF. Et dans Chroniques, c'était indispensable, obligé, même. Pour moi, vivant dans un pays théoriquement bilingue, perpétuellement au contact de l'anglais, rencontrant des féministes anglophones... Une féministe anglophone peut écrire un texte entier au sein duquel le genre et le sexe du narrateur ou de la narratrice reste totalement flou. Ce " je " n'est jamais ciblé par un adjectif, par un participe passé, bref, par un mot qu'on doit accorder. J'avais essayé d'écrire " Mourir un peu " de cette façon-là mais j'ai abandonné au bout de trois pages parce que ça venait en travers de l'écriture, que c'était un point finalement mineur, et que l'aléatoire des lignes imposées me suffisait dans ce texte-là comme contrainte ! Mais dans la version anglaise, j'ai bien spécifié à mon traducteur que, s'il y avait des indices pouvant identifier le narrateur, il fallait vraiment les faire sauter. Dans la version anglaise, on ne sait pas. Dans le texte français, on le sait dès la troisième page — même s'il y a des lecteurs qui se réveillent seulement aux deux tiers de la nouvelle : " Hé ! C'est un gars ! ".

     G.B. : La langue devient un élément de cohérence.

     E.V. : Oui, c'est ça. La langue est un élément de cohérence. Si on crée un monde étranger, on doit déplacer le lecteur dans cette autre cohérence, dans cet univers parallèle. Comme la langue fait partie de cette espèce de cube de Rubik que l'on appelle la réalité, cette réalité parallèle doit avoir une langue spécifique. C'est pour cette raison que la présence d'argot français daté dans la SF me tue. Ayerdhal, par exemple, bon, lorsqu'il met " bordel ! " dans une histoire se passant, disons, dans la Constellation du Cygne dans trois mille ans... Non ! C'est un effet de réalité que je trouve déplacé. Ça nous ramène à notre ici et maintenant. Yal dit qu'il le fait exprès, pour rappeler qu'il parle d'ici et maintenant. Ah, bon... Mais moi, ça me dérange — je sais bien qu'on parle d'ici et maintenant, je n'ai pas besoin de me le faire rappeler de cette façon ! Bref, pour moi, le travail de la langue autre est un outil narratif parce que ça fait obligatoirement partie de la construction cohérente d'un monde autre. Je le fais toujours, plus ou moins. Dans " Les yeux ouverts ", par exemple, mes personnages non humains possèdent un langage corporel...

     G.B. : Ah oui ? Comment cela fonctionne-t-il ?

     E.V. : Ils ont un langage par gestes, et par positionnement dans l'espace, en plus d'un langage parlé. Dans l'enclave où ils sont prisonniers sans le savoir des humains, on les oblige à parler seulement et ils sont toujours frustrés ! Le langage est important pour moi, c'est certain, toutes les formes de langage. Dans Tyranaël, par exemple, les langages prennent une place énorme ! Je les ai inventées, les langues, pas une mais quatre, qui finissent par se fondre en une seule, depuis les racines élémentaires, j'ai monté le vocabulaire, la syntaxe... À un moment donné, j'étais même capable d'écrire dans cette langue-là. Mes copines linguistes me disent même qu'elle tenait debout, et j'en suis très fière !
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