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La version rive gauche, dans un club dijonnais, en 1970 ; photo Jean-Pierre-Misset |
Vers treize ou quatorze ans, alors que j'écoutais obsessivement sur mon petit électrophone Topaz mes disques de Peter, Paul & Mary, de Bob Dylan, de Joan Baez et de Leonard Cohen (dont j'ignorais totalement qu'il fût Montréalais), je me suis bricolé ma première guitare avec des bouts de bois, du carton et des élastiques. Mes parents, zémus, m'ont alors acheté une petite guitare à cordes métalliques sur laquelle je me suis ravagé les doigts, le temps d'apprendre une vingtaine d'accords. Après quoi je me suis acheté en cassant ma tirelire une autre petite guitare simili-espagnole à cordes nylon, plus clémente. Et j'ai commencé à écrire et composer des chansons en anglais puis en français, tout en chantant celles de mes idoles folksonguesques (après en avoir reconstitué les paroles à coups de dictionnaires d'anglais et d'américain pendant mes cours de maths.)
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La version domestique, 1972, Dijon ; la photo est d'un ami photographe prénommé Guillaume, mais dont le nom s'est perdu dans la brume des albums |
Et j'ai continué. Autour des années 68, je chantais pour les copains dans les cafés et les restaurants. Et une fois rendue au Québec, dans le Nouveau Monde, lieu de toutes les possibilités, après avoir encore fait la manche dans les couloirs du métro de Montréal (ah, la belle accoustique !), je me suis retrouvée à me présenter à un concours, en 1978, à Chicoutimi, concours que j'ai gagné comme interprète et comme parolière. Après quoi, pendant une demi-douzaine d'années, il y eut beaucoup de chansons, d'autres concours, provinciaux (pas gagnés), plusieurs radios, et beaucoup de spectacles dans les boîtes à chansons de la région très populaires à l'époque. Il ne se passait pratiquement pas une journée sans que je sorte ma guitare pour chanter, ou jouer, pour mon seul plaisir. Je ne pouvais pas imaginer de ne pas chanter.
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1978, Yverdon, en 1978, première convention francophone, organisée par Pierre Versin
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Mais il est des chemins qui vous prennent, et qui vous abandonnent. En 1978, j'avais publié mon premier recueil de nouvelles, L'Œil de la nuit, dont je ne pensais pas vraiment qu'il aurait des suites, même si je travaillais à un roman. Mais en 1981, Le Silence de la Cité (qui n'était cependant pas le roman en question), a été publié, très lu et très primé. Et tandis que j'écrivais les nouvelles qui allaient constituer le recueil Janus, les chansons ont commencé à se faire plus rares. Jusqu'au moment où, après la parution de Janus, en 1984, un choix s'est fait en moi, dont je n'ai pas alors eu pleinement conscience, du côté de la fiction. J'ai peu à peu cessé de donner des spectacles. J'ai peu à peu cessé de jouer et de chanter même pour moi. J'ai remisé ma guitare dans son étui, d'où elle est sortie de plus en plus rarement. Et enfin.... il y a bien dix ans qu'elle n'a pas vu la lumière du jour.
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La version hippie, début des années 80, festival de rue à Chicoutimi
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Dans une autre vie, un autre univers, j'ai peut-être continué de chanter, je me suis trouvé des musiciens, qui sait, j'ai même enregistré un disque. Peu importe. Dans cet univers-ci, pendant une dizaine d'années, tout en jouant le rôle qu'avait jusqu'alors rempli pour moi la poésie, musique et chanson m'ont permis de parler aux autres de manière immédiate, une intimité que ne permet pas l'écriture — même si on la retrouve dans les lectures publiques.
Elles m'ont permis aussi de chanter pendant plusieurs années avec le Fokklub, un groupe que j'avais constitué à l'Université du Québec à Chicoutimi, avec une étudiante (Anne-Claude Drolet, une splendide contralto qui a continué à chanter par la suite) et des assistantes en anglais : Brenda Monahan, (qui jouait de la trompette sur certains chansons !), Mary Hagerman (une soprano pure comme de l'eau de roche) Jenny Saint-Pierre (mezzo)... et notre homme, Denis Bouchard, qui jouait du banjo et de la guitare à douze cordes. Hélas, personne n'a jamais enregistré correctement nos sessions ni nos spectacles. Il reste une affiche, une cassette de magnétophone pourrie, quelques photos... et de nombreux et indélébiles souvenirs de plaisirs partagés !
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avec le Fokklub, UQAC 1986 ; photo X |
Lorsque la technologie me le permettra, on trouvera ici les enregistrements d'un certain nombre de mes chansons, avec leurs paroles. En attendant, voici quelques photos de l'autre univers, celui où j'étais et suis restée chansonnière, comme on dit si joliment et si logiquement au Québec : les pommiers font des pommes, ceux qui font des fables devraient être des fabliers, et ceux qui font des chansons... sont des chansonniers !
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Le Fokklub : dernier spectacle à l'UQAC, 1986 ; dans l'ordre habituel, Brenda Monahan, Anne-Claude Drolet, Denis Bouchard, EV, Jenny Saint-Pierre, Mary Hagerman ; photo X |
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