DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 618 Dépôt légal : novembre 1999 Première édition Anthologie, 192 pages, catégorie / prix : 5 ISBN : 2-207-24956-5 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Au sommaire de ce premier numéro, Paul J. McAuley, Michael Swanwick, Michael Rheyss et Stephen Baxter (excusez du peu !) nous livrent le meilleur de la science-fiction et de la fantasy, des textes qui mélangent allègrement les genres et dynamitent leur cloisonnement.
Où l'on rencontre le Dr Stein à Venise, occupé à démasquer les sombres agissements du professeur Prétorious, ce dernier affirmant pouvoir faire revivre les morts. Où l'on s'envole vers les secrets du pôle en compagnie de l'Oberleutnant Hermann Göring. Car là-bas se trouverait l'axe, un immense pilier dont on ignore la nature exacte... Où l'on suit le retour — Jaguar, cocaïne et musique punk à fond — de Mordred et Merlin dans un monde broyé par la pollution.
1 - Gilles DUMAY, En route pour la joie ! (avant-propos), pages 9 à 11, introduction 2 - Paul J. McAULEY, La Tentation du Dr Stein (The Temptation of Dr Stein, 1994), pages 15 à 47, nouvelle, trad. Marie-Catherine CAILLAVA 3 - Stephen BAXTER, Tu ne toucheras plus jamais terre (No Longer Touch The Earth, 1993), pages 51 à 75, nouvelle, trad. Michelle CHARRIER 4 - Michael SWANWICK, La Voie du Dragon (The Dragon Line, 1988), pages 79 à 105, nouvelle, trad. Pierre-Paul DURASTANTI 5 - Michael RHEYSS, L'Apopis républicain, pages 109 à 186, nouvelle
Critiques
La tentation du Dr Stein, de Paul J. McAuley, se déroule dans une Venise apparemment uchronique (bien que je n'ai pas compris en quoi elle est uchronique, ni à quelle époque se déroule l'histoire). Le Dr Stein enquête sur une jeune fille disparue, qu'il avait trouvée morte, mais semble se trouver à nouveau en ville, et vivante. Ceci le conduira à un certain Dr Prétorious et à ses étranges travaux. L'intrigue de cette histoire rappelant fortement Frankenstein tient à très peu de choses. Le texte n'est toutefois pas déplaisant, sans doute par son ambiance étrange, l'ambiance gothique de Frankenstein transplantée dans cette Venise indéterminée.
Avec Tu ne toucheras plus jamais terre, Stephen Baxter nous propose une autre uchronie. Après la première guerre mondiale, que les Allemands ont gagnée, le pilote Herman Göring participe à une expédition dans l'Antarctique visant à prouver que Ptolémée avait raison, que la Terre est le centre de l'Univers. Pour cela, il veut observer l'axe (physique !) autour duquel tourne la Terre, et qui forcément passe par le pôle. L'idée est très séduisante, et ce mélange de para-science avec un monde uchronique fonctionne bien : l'auteur sait le rendre crédible, et le « sense of wonder » est bel et bien au rendez-vous.
Si le monde du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde a disparu depuis longtemps, quelques uns de ses protagonistes ont survécu et vivent dans notre monde moderne. Telle est du moins l'idée de départ de La voie du dragon de Michael Swanwick. Il en est ainsi de Mordred, fils de feu Arthur, et du magicien Merlin, qui malgré leurs différents essaient de faire alliance pour sauver le monde. Le décalage de ce texte provient d'une part de la transposition du monde magique des légendes arthuriennes dans notre propre monde, et d'autre part de la démystification à laquelle se livre l'auteur (les preux chevaliers ne sont pas ce que nous racontent les légendes). J'aime bien, a priori, le principe de ce genre de texte. Mais j'avoue que en l'occurrence La voie du dragon m'a laissé indifférent : je ne l'ai trouvé ni merveilleux, ni drôle, ni émouvant, comme s'il voulait jouer sur tous ces tableaux et échouait pour chacun d'eux. Ce n'est pas mauvais, ça ne m'a pas déplu, mais l'alchimie n'a pas joué.
L'anthologie se termine avec L'apopis républicain de Michael Rheyss. Nous sommes en l'an 226 de l'Ere Impériale. Les successeurs de Napoléon continuent de diriger l'Empire d'une main de fer, Empire qui s'est bien étendu depuis puisqu'il incluse désormais les colonies lunaires et martiennes. D'autre part, c'est la religion égyptienne qui a été imposée dans tout l'Empire par Napoléon Premier, suite à une certaine découverte archéologique faite par Champolion. Deux siècles plus tard, le Dauphin dirige une expédition sur un satellite de Saturne : Titan, où l'on découvre un artefact extraterrestre comme il était prédit par la découverte de Champolion. Mais des ennemis de l'Empire, favorable au rétablissement de la République, de la Liberté et des droits de l'homme, sont à bord et fomentent un coup d'état.
Ce texte est particulièrement long : plus de 70 pages, soit presque la moitié du bouquin entier ! Et il n'en fallait sans doute pas moins pour développer l'univers et l'histoire que nous propose l'auteur. L'univers est original, fascinant, et rendu parfaitement crédible. Et contrairement aux autres uchronies proposées dans cette anthologie, l'histoire est également passionnante ; on s'intéresse autant à cette histoire de révolution qu'à l'expédition archéologico-spatiale à la Stargate (en mieux, je vous rassure !). Les personnages parviennent à ne pas être bêtement manichéens (les Gentils Républicains contre les Méchants Impériaux). Bref, c'est de la très très bonne SF.
Malgré le texte de Swanwick qui m'a peu convaincu, Aventures lointaines 1 s'avère une anthologie de très bon niveau, de même d'ailleurs que le deuxième tome. Il serait vraiment dommage pour les amateurs de nouvelles de passer à côté. Dommage également que l'arrêt de la collection PdF risque de rendre encore plus lointaines toutes ces aventures...
Philippe HEURTEL (site web) Critique déjà parue sur ce site Parution sur nooSFere : 1/9/2000 Dragon & Microchips 18 Mise en ligne le : 20/10/2003
Pour la série d'anthologies qu'il installe chez « Présence du Futur », Gilles Dumay affiche sa volonté de publier nouvelles et novellas, françaises et anglo-saxonnes, et de privilégier le récit. Au titre explicite, avec des s (pour marquer ses ambitions ?), il ajoute une note demandant un synopsis aux candidats à la publication. On peut s'en réjouir. Et les questions sur l'opportunité d'une simili-revue plutôt que de recueils des auteurs concernés tombent puisque des inconnus se mêlent aux grands noms, l'homogénéité étant assurée par la parenté entre textes, à travers, ici, l'usage — uchronique ou pas — de références passées.
En effet, chez Paul J. McAuley, l'électricité redonne aux morts quelque vie dans une Venise pas encore totalement bouleversée par les inventions du Grand Ingénieur Léonard, dans le monde des Conjurés de Florence, et le personnage principal, le Dr Stein, est un clin d'œil à Mary Shelley. Chez Stephen Baxter, Goering vole sur le pôle Sud, dans un monde où Ptolémée a raison, et non Galilée, donc où la Terre est au centre de la machinerie céleste. Chez Michael Swanwick, Merlin et Mordred s'affrontent sur fond de cocaïne, de pollution dévastatrice et de business, et on apprend du nouveau sur la filiation d'Arthur. Enfin, dans la novella de Michaël Rheyss, le Français et la quasi-découverte du lot, une mission spatiale (dérivée d'A. C. Clarke ou du K. S. Robinson des Menhirs de glace — il y a pire repère) se mêle à une uchronie où Napoléon a imposé la religion des anciens Égyptiens, et où sa dynastie perdure — situation assez baroque pour suspendre toute incrédulité.
Aventure, références, culture, titillement des neurones. On ajoutera laïcité républicaine et antiracisme sans déclamation. Pour être tout à fait heureux, manque une couverture aussi réussie que celle qui est offerte, mais plus adéquate aux textes : on ne peut tout avoir, et il faut bien garder de quoi récriminer.
Avec sa première livraison, Aventures lointaines n'évitera sans doute pas la comparaison avec les autres productions de l'anthologiste, comme Etoiles vives. Et il est vrai que l'on y retrouve, en (un peu) plus policé, le ton unique, à la fois provocateur et naïf, de Gilles Dumay. Cela plaît aux uns, cela déplaît aux autres, mais les textes parlent d'eux-mêmes, et la qualité de ce volume qui privilégie les textes d'une certaine longueur est tout à fait remarquable.
La Tentation du Dr Stein, de Paul J. McAuley se situe dans l'univers que l'auteur a déjà exploré dans l'envoûtant Les Conjurés de Florence (Denoël, « Présences »). Ici, encore, l'Italie d'une Renaissance uchronique disposant déjà de la technologie du XIXe siècle sert de cadre à une enquête policière qui flirte avec les mythes fondateurs, justement, de la science-fiction... Mais cette mise en abyme ne nuit pas à la jouissance de lecture, totale, que l'on éprouve à suivre ce court roman qui renoue avec l'esprit des feuilletonistes.
On reste dans l'uchronie avec l'étrange Tu ne toucheras plus jamais terre, de Stephen Baxter, où Hermann Göring découvre l'Axe, mais pas celui auquel on pense en général. je vous en laisse la surprise... Quant à Michael Swanwick, c'est au mythe Arthurien qu'il s'attaque dans un texte cinglé où Mordred, cocaïnomane invétéré et businessman averti, réduit au désespoir par les mauvais traitements que le genre humain inflige à la Terre, se résout à sortir du cocon où il dort depuis des siècles... Merlin soi-même. On y lira aussi un bel hommage coquin à l'Excalibur de Boorman.
La découverte, cependant, c'est le court roman de Michael Rheyss. L'Apopis Républicain — une uchronie, encore — décrit la découverte sur Titan d'un observatoire que certains croient d'origine divine et d'autres de facture extraterrestre. Mais les Francs-Maçons prévoient de renverser Cyprien II Bonaparte et de tuer son fils, l'Aiglon, chef de l'expédition vers le satellite de Saturne dans cet univers où la religion égyptienne a permis à la dynastie napoléonienne de garder le pouvoir. Mais l'enjeu n'est-il pas ailleurs ? Le meilleur texte français de SF de l'année, ambitieux, efficace, qui ne déparerait pas au sommaire d'un magazine anglo-saxon.
Aventures lointaines montre encore le talent de défricheur de Dumay et prouve s'il en était besoin la vitalité du genre, toujours tel qu'en lui-même il se renouvelle. Souhaitons bon vent à l'entreprise (petite, mais certainement bienheureuse).
Décidément, les anthologies se multiplient : après Escales chez Fleuve Noir, ou celle entreprise par Librio (inaugurée par Les dinosaures de Serge Lehman), et Forces Obscures chez Naturellement, voici Présence du Futur à présent qui se lance dans des aventures... lointaines. Il faut se féliciter de cette soudaine recrudescence, car les nouveaux auteurs se révèlent bien souvent par le biais de nouvelles qui, ainsi éditées, touchent un public bien plus large que les seuls abonnés de revues spécialisées. Quatre récits seulement, mais de qualité : trois uchronies et une de fantasy moderne. Cette dernière, La voie du dragon, de Michael Swanwick, décrit le retour dans l'avenir de Merlin et Mordred : la légende arthurienne transposée dans un Philadelphie pollué, le cocktail est explosif ! Quant aux uchronies, elles sont toutes remarquables. La première satisfera ceux qui avaient aimé Les conjurés de Florence de McAuley. L'écrivain britannique situe sa nouvelle, La tentation du Dr Stein, dans le même univers, mais dix ans auparavant. L'intrigue est plus fantastique que SF, mais l'atmosphère excellente. Tu ne toucheras plus jamais terre de Stephen Baxter dépeint un Göring tentant, avec l'aide des Anglais, de découvrir la nature de l'Axe de la Terre... L'Apopis républicain enfin, du jeune auteur français Michael Rheyss, est un brassage ma foi fort réussi d'égyptologie, de space opera et d'épopée napoléonienne. Influencé par Clarke (des mégalithes envoient des signes vers les étoiles), le texte conte la découverte par un Aiglon de l'an 226 de l'Ère impériale d'un artefact sur Titan, destiné — pense-t-il — à renforcer la toute-puissance de l'empire et la suprématie de la religion égyptienne dont s'inspire la dynastie bonapartiste. Mais un complot républicain menace... Peut-être un rien inaboutie, cette nouvelle est fort originale, et ce dès le début (une lettre de Champollion adressée en 1828 à Napoléon Ier, grand consul d'Orient) et dénote un talent bien prometteur. Beau recueil donc, auquel on souhaite rapidement d'aussi brillants successeurs !