POCKET
(Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy n° 5321 Dépôt légal : janvier 1989, Achevé d'imprimer : janvier 1989 Recueil de nouvelles, 256 pages, catégorie / prix : 5 ISBN : 2-266-02774-3 Format : 10,7 x 17,8 cm Genre : Imaginaire
Marge continuait de fixer le sol : Son hurlement se transforma en gémissement.
« Harry, tu l'as tué.
— Comment pourrais-je tuer quelque chose qui n'existe pas réellement ? Un truc bourré de sciure ?
— Mais regarde bien, dit Marge. Ce n'est pas de la sciure. C'est du sang. »
Harry regarda de nouveau. Le coupe-papier heurta le plancher. Il contempla la flaque rouge qui s'élargissait lentement...
Il regardait encore quand Marge se dirigea vers le téléphone. Il regardait encore quand elle revint. Il regardait encore quand la voiture de la police arriva. Il y eut des questions, des photos ; on emporta le corps, et finalement on emmena également Harry. Marge resta toute seule. Alors elle alla chercher le ramasse-poussière et le balai et fit disparaître le petit tas de sciure sur le sol.
Robert Bloch, né en 1917, fit ses débuts à l'ombre de Lovecraft. Puis il comprit que la crédulité reculait devant la psychanalyse et passa des monstres aux maladies de l'esprit, thème de Psychose (1959) et d'autres chefs-d'oeuvre. Cultivant tour à tour le fantastique et l'humour, la S.F. et le policier, il a une manière bien à lui de marier le rire et l'épouvante. Prince de l'histoire à faire frémir, il était voué à rencontrer le maître du suspense.
1 - Jacques CHAMBON, Préface, pages 7 à 16, préface 2 - Monsieur Steinway (Mr. Steinway, 1954), pages 17 à 34, nouvelle, trad. Marie CAZENAVE 3 - Console-moi, mon robot (Comfort Me, My Robot, 1955), pages 35 à 51, nouvelle, trad. Jean-Marie DESSAUX 4 - Maudit sois-tu, docteur Fell (I Do not Love Thee, Dr. Fell, 1955), pages 52 à 65, nouvelle, trad. Jean-Marie DESSAUX 5 - On se trompe peut-être (You Could Be Wrong, 1955), pages 66 à 83, nouvelle, trad. Jean-Marie DESSAUX 6 - J'embrasse ton ombre... (I Kiss Your Shadow, 1956), pages 84 à 108, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 7 - Eve au pays des merveilles (All on a Golden Afternoon, 1956), pages 109 à 142, nouvelle, trad. Jacqueline PERRIN & Michel PERRIN 8 - La Belle endormie (Sleeping Beauty / The Sleeping Redheads, 1958), pages 143 à 159, nouvelle, trad. Jean-Marie DESSAUX 9 - Le Coin des gorges chaudes (The Gloating Place, 1959), pages 160 à 172, nouvelle, trad. Marie CAZENAVE 10 - Le Monde de l'écran (The Movie People, 1969), pages 173 à 187, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM 11 - Chez le dingue (The Funny Farm, 1971), pages 188 à 203, nouvelle, trad. Jean-Marie DESSAUX 12 - Dans les siècles des siècles, ainsi soit-il (Forever and Amen, 1972), pages 204 à 228, nouvelle, trad. Jean-Marie DESSAUX 13 - La Maladie des entêtés (A Case of the Stubborns, 1976), pages 229 à 251, nouvelle, trad. Jacques CHAMBON
Critiques
Dans cette anthologie réunie et présentée par Jacques Chambon, Robert Bloch nous propose quelques recettes pour accommoder la réalité à la sauce infernale. Le Bizarre possède quelque chose de pitoyable et de touchant, parfois. Mais contrairement à un Lovecraft, tout se passe dans la tête. Les monstruosités ne sourdent pas de la fange ou d'un quelconque autre monde mais de ce qu'il y a de plus humain en l'homme : sa folie...
Douze recettes maléfiques, donc : celle du mort-vivant aux asticots, de l'enfance tueuse et tuée, du clone en robe de chambre, de l'assassin sur canapé, du piano au sang, de l'individu farci de sciure, d'Alice au pays des complexes... J'en passe et des plus complexes. Je sais, tout ça, c'est des jeux de mots que vous ne saisirez qu'en lisant le livre. Mais, pour ma défense, j'avance que je me voyais mal en train de résumer les nouvelles de Bloch en bloc alors qu'elles sont pour la plupart orientée vers un dénouement en forme de chute.
Bloch est particulièrement sensible à la psychanalyse. Les textes de cette anthologie en sont presque tous imprégnés. Dans certains, elle en constitue même l'argument principal. Il s'en moque, bien sûr, il en tire des avantages inimaginables, franchement drôles ou carrément terrifiants. Dans ce concert de divans en folie douce, le psychanalyste occupe une place de choix. Personnage sur lequel pivote l'intrigue.
Les fantômes sont dans nos têtes. Maintenant, j'ai compris. Ça, le savais déjà, mais Bloch donne de la consistance à mon intuition ! Les spectres hantent nos mémoires tordues et se manifestent en troublant nos comportements quotidiens. L'humour de Bloch est quelque chose de vraiment impressionnant, glacial, calculé, presque raisonnable ! Son stylo est un scalpel, son écriture un rapport de comportement. Il n'écrit pas, il dissèque. Il n'invente pas, il décrit. Son art tout en froideur est particulièrement mis en évidence dans la nouvelle. Sa brièveté, sa concision, son économie de moyens et d'artifices font éclater la maîtrise de l'auteur dont la saveur est tantôt acide, tantôt douce-amère. Attention, le sucre qu'il glisse dans ses mixtures produit les effets du poison. Certains montrent l'horreur des morts, Bloch expose celle des vivants.
Enfin, tout ça pour vous signifier que cette anthologie est un feu d'artifice. Et que la nouvelle offre un avantage immense sur le roman : là où le roman vous propose une seule histoire, l'anthologie en déploie une poignée. Échangeriez-vous un recueil de nouvelles contre deux romans ? Si c'est oui, vous avez tort. Car la nouvelle lave plus blanc, même quand elle est noire.
Il est de bon ton de considérer Robert Bloch comme un écrivain mineur. Bien des exégètes professionnels vous expliqueront qu'il est avant tout un excellent artisan, un cuisinier habile qui nappe de sauces piquantes des mets passablement faisandés. Mais un artiste digne de ce nom, vraiment, vous exagérez ! ! Il ne faut pas mélanger le talent véritable et le savoir-faire ! Il y a là une anecdote qui vaut son pesant d'or et qui est plus explicite que cinquante commentaires (Jacques Chambon l'effleure dans son intelligente et sensible préface) : le bruit a longtemps couru que le grand Hitchcock avait un jour tiré un film extraordinaire et géniaaaaaaaal d'un médiocre petit roman d'un certain Bloch. Hitch, qui était un réalisateur honnête et un connaisseur en matière de fantasmagorie, eut beau rendre à César ce qui était à César et à Robert Bloch ce qui lui appartenait, cette affirmation n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Pourtant Psychose est vraiment tout sauf un roman à quatre sous... La modestie naturelle de Bloch, auteur de nombreux romans policiers et de suspense, de quelques livres fantastiques parfois mêlés de science-fiction et de plusieurs centaines de nouvelles englobant les genres précités, n'a rien fait pour dynamiter ces propos imbéciles.
Et pourtant ! Que de petits joyaux, que de découvertes dans cette œuvre inépuisable, sarcastique, jamais dénuée d'humour ! Que d'invention(s) et quel talent d'horloger du bizarre ! Chaque histoire n'est qu'une perle d'un vaste collier, qu'un grain de sable prélevé dans le sablier de la mort, et elles peuvent paraître souvent futiles, parce que trop bien « fabriquées » si on les considère individuellement, mais au bout du compte, lorsqu'il vous arrive de faire le point, vous vous avouez que ce Robert Bloch, avec sa politesse glacée, ses pirouettes parfois clownesques et ses pantalonnades psychiatriques, et bien, mazette, c'est quelqu'un, et même, tout bien considéré, c'est un écrivain à part entière !
Dans l'anthologie de Jacques Chambon, la table des matières se trouve être une table de fins gourmets, avec un menu auquel on ne reprochera qu'une chose (reproche que d'aucuns considéreront comme un compliment de plus !) : sa sobriété. On aurait aimé en avoir davantage, on aurait voulu demander un petit supplément. Mais puisqu'il y a eu chez Casterman deux Sturgeon et deux Matheson, rien ne vous empêche, vous et moi, de crier : Une autre ! Une autre !
Je ne devrais pas céder ici à la tentation méprisable de citer mes nouvelles favorites, mais il se trouve que ce recueil-là contient justement quelques-uns des textes blochiens que je préfère : J'embrasse ton ombre (une histoire de fantômes qui m'avait terriblement impressionné la première fois que je l'avais lue dans Fiction et qui n'a rien perdu de son charme trouble et morbide), Eve au pays des merveilles (qui est tout simplement un petit chef-d'œuvre !) et Le monde de l'écran (où Bloch laisse tomber son masque de cynique pour une petite virée dans un univers de sa jeunesse perdue).
Mr Bloch, si quelqu'un venait à douter de votre talent, je lui enverrais mes témoins !