MARABOUT - GÉRARD
(Verviers, Belgique), coll. Bibliothèque Marabout - Géant n° G197 Dépôt légal : 1964 Première édition Recueil de nouvelles, 320 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : néant Format : 11,5 x 18,0 cm✅ Genre : Fantastique
Dédicace : Au docteur Urbain Thiry
Président des médecins-écrivains de Belgique
Chef de service à l'hôpital la Biloque Ce livre... qui devrait porter comme sur-titre Les histoires de la Biloque..., le célèbre hôpital gantois, riche de siècles et de troublants souvenirs historiques, que le docteur Thiry a évoqué dans sa revue d'humanisme médical Les cahiers de la Biloque.
Écrites avec du soufre et du sang, les histoires qui composent la cavalerie fantôme du "Carrousel des Maléfices" nous replongent dans les abîmes d'angoisse que seul Jean Ray, ce génial fossoyeur de notre paix nocturne, sait ouvrir sous nos pas. Maître incontesté du fantastique, il explore cette fois de nouveaux horizons, abordant même la science-fiction, pour nous révéler, sous la banquise spectrale, le formidable "secret du Pôle"...
[suite du texte en troisième de couverture]
Sur notre chemin parsemé d’embûches et de terreurs, Jean Ray dispose ses chimères : la tête coupée de M. Bramberger, prête à vous mordre ; les trois petites vieilles sur leur banc, bien paisibles en apparence, mais douées d’un insatiable appétit, qui vous convient à leur agapes. Il y a Satan aussi, un bonhomme à l’humour féroce, justicier à ses heures, qui revêtira les plus surprenantes apparences et qui, comme tout le monde finira par prendre sa retraite… Unanimement considéré comme un "classique de l’épouvante", Jean Ray nous prouve avec ces histoires nouvellement écrites, que sa prodigieuse imagination n’a pas tari, que l’univers de ses phantasmes intimes recèle encore des perles précieuses.
1 - Mathématiques supérieures, pages 5 à 9, nouvelle 2 - La Tête de monsieur Ramberger, pages 11 à 34, nouvelle 3 - Bonjour, Mr. Jones !, pages 35 à 41, nouvelle 4 - Histoires drôles, pages 43 à 52, recueil de nouvelles 5 - Têtes-de-lune, pages 53 à 68, nouvelle 6 - Le Banc et la porte (De bank en de deur, 1959), pages 69 à 73, nouvelle 7 - Croquemitaine n'est plus... (De Boeman is dod, 1948), pages 75 à 109, nouvelle 8 - Puzzle, pages 111 à 116, nouvelle 9 - L'Envoyée du retour, pages 117 à 121, nouvelle 10 - La Sotie de l'araignée, pages 123 à 131, recueil de nouvelles 11 - Le Beau dimanche, pages 133 à 145, nouvelle 12 - Le "Tessaract", pages 147 à 163, nouvelle 13 - La Sorcière, pages 165 à 181, nouvelle 14 - Les Gens célèbres de Tudor Street (Beroemde lui in Tudor Street, 1953), pages 183 à 191, nouvelle 15 - Trois petites vieilles sur un banc (Drie oudevrouwtjes op een bank, 1956), pages 193 à 198, nouvelle 16 - La Conjuration du lundi, pages 199 à 212, nouvelle 17 - Un tour de cochon, pages 213 à 222, nouvelle 18 - Smith..., comme tout le monde..., pages 223 à 230, nouvelle 19 - (non mentionné), Le Formidable secret du Pôle, pages 231 à 231, notes 20 - Le Formidable secret du Pôle, pages 231 à 311, roman 21 - (non mentionné), Le Livre... et son auteur, pages 251 à 251, biographie
Critiques
Les nouveaux admirateurs de Jean Ray, ceux qui le découvrirent cette année ou l'an passé, ne tarissent pas d'éloges ; les vieux compagnons de vingt ans ne cachent pas un certain désappointement. J'ai partagé cette déception, puis j'ai rouvert le livre, je l'ai relu, bien attentivement, et j'ai compris.
Nous attendions de nouveaux contes dans la lignée du Psautier ou de la Ruelle, de denses récits à l'ombre pétrie de puissances obscures et surhumaines et de mystères cosmiques… Et voici qu'à 77 ans, à l'âge où l'on se répète, ce diable d'homme fait peau neuve, se libère des frontières où l'on pensait l'enfermer et nous donne autre chose. Plus de longs récits mais des contes brefs, parfois de dix lignes, magistraux dans leur brièveté même ; plus, ou peu, de fantastique mais de l'insolite, de la SF, de l'humour noir, des récits troubles et cruels, voire du surréalisme. Jean Ray a voulu montrer qu'il pouvait braconner sur d'autres terres et faire mieux que ceux qui détiennent le droit de chasse. Voici la palette nettoyée et chargée de couleurs nouvelles.
Récits de SF.
Les lecteurs de Fiction connaissent déjà La tête de M. Raanberger. Le Tessaract est un des plus étranges, des plus inquiétants contes concernant la 4e dimension, d'où est issu cet objet (ou cette machine, on ne sait) qui matérialise les rêves des hommes afin de les détruire. Mathématiques supérieures et mélange de SF et d'humour, c'est l'histoire, extrêmement savoureuse, d'un tueur professionnel, bon mathématicien, qui expédie ses victimes dans la 4e dimension. Et puis il y a l'introuvable Formidable secret du pôle, ce récit de la série John Flanders, avec la mystérieuse civilisation de Thulé, et où Jean Ray fait montre d'un métier remarquable dans le suspense.
Fantastique traditionnel.
Têtes de Lune et son criminel prisonnier d'un éternel présent, Trois petites vieilles sur un banc, difficile à classer, aux lisières de l'insolite, un peu comme La conjuration du lundi, tous contes mineurs dans l'œuvre de Jean Ray. Au contraire La sorcière est un de ces contes où l'auteur évoque le démon, d'une façon oblique et terrifiante.
Mais l'humour sarcastique et irrévérencieux ne respecte rien, pas même le diable. On le voit intervenir, un peu ridicule, retiré des affaires, ayant pris l'apparence de Dickens dans les trois récits qui se font suite : Bonjour Mr. Jones, Le banc et la porte et L'envoyée du retour. Il revient également, déguisé en employé du gaz, dans Un tour de cochon, victime d'un héros que l'enfer n'impressionne guère.
Récits insolites et divers.
Ce détachement, cette moquerie discrète de tout ce qui est censé respectable ou effrayant apparaît dans Un beau dimanche et surtout dans la série des courts récits contés très sec, rassemblés dans Histoires drôles etLa sotie de l'araignée. Nous sommes ici à la limite : fantastique ? humour ? insolite ? surréalisme ? C'est tout cela, un peu à la fois. Le surréalisme domine dans Les évadées et Drôle d'histoire, l'humour dans la verve énorme de Soirée de gala, dans des récits grinçants comme La fileuse et Le monstre. Et tous ces récits inclassables, brefs, contés en 15 lignes parfois, étranges et percutants, aux limites de tout, du fantastique, de l'insolite, de la folie : un homme tuant son compagnon car son ombre ressemble à une araignée, une Anglaise collectionnant dans la cire les sosies d'hommes célèbres, un toboggan londonien qui vous descend à la Concorde ou à Rio de Janeiro. Hors pair, le conte atroce de la mouche, où une mouche et une araignée s'entendent pour dévorer un homme.
Ce nouveau Jean Ray déroute un peu ; nous admirons, mais nous regrettons quand même les anciens récits. Jean Ray est le père d'un fantastique nouveau et inimitable, et il est toujours triste de voir un père se détourner de son enfant. Mais il nous reviendra bientôt avec les Contes noirs du golf(26 récits qui ne figurent pas dans la bibliographie établie par Fiction).
Il n'empêche que dans tous les contes du Carrousel, Jean Ray est présent. On retrouve cette attitude de défi face à l'au-delà ; quel que soit le personnage, Dieu ou diable, il en rit. Ce sont là adversaires puissants sans doute, mais que l'on peut affronter. Aucune trace de terreur sacrée, d'angoisse devant le mystère ; ils contemplent la réalité surnaturelle d'un œil lucide, puis ils s'en vont l'étreindre à bras-le-corps.
Cela va même si loin que le paisible épicier de Smith comme tout le monde entreprend, à l'aide des mathématiques, de rendre Dieu fou. Et il y parvient.
Ce recueil rassemble nombre de thèmes chers à l’auteur, traités à travers certains de ses meilleurs textes. L’hyper-géométrie sert de toile de fond à « Mathématiques supérieures », « Le Tessaract » et « Smith contre tout le monde ». Un fantastique de facture classique anime « Bonjour M. Jones ! » et « La Sorcière ». Le sordide quotidien s’illustre dans « Le Banc et la porte ». La tête autonome permet différentes variations, comme autant d’exercices de style dans « La Tête de Monsieur Ramberger », ou la tête vivante dans « Histoires drôles », florilège d’historiettes au comique absurde et grinçant. « La Sotie de l’araignée » revient à l’animal cher à Jean Ray depuis Les Contes du whisky (le nectar écossais laissant place pour ce recueil à la chartreuse verte, évoquée plusieurs fois). « Croquemitaine n’est plus », récit au ton flamand qui évoque le peintre James Ensor, est un bel exemple de la manière dont Jean Ray recyclait ses lectures (ici empruntées au Magasin pittoresque).
On retiendra surtout deux nouvelles, « Trois petites vieilles sur un banc », réinterprétation des trois Moires au fil d’un récit terrifiant, et surtout « Tête-de-Lune », probablement l’un des plus beaux textes de Jean Ray, illustration au vitriol de ce que Hegel appelait « le dimanche de la vie », soit l’idéal bourgeois du paradis, fait d’un plantureux déjeuner familial, suivi d’une promenade digestive. Sur le même thème, en mode comique, l’auteur propose également « Le Beau dimanche ».
Dans sa première édition, le recueil est complété par Le formidable secret du pôle, court roman pour la jeunesse signé à l’origine John Flanders. L’intrigue convoque Thulé et l’Atlantide et se place sous les auspices de Jules Verne et de Ridder Haggard, ce dernier donnant son nom à l’un des personnages. Un roman dispensable, qui ne sera d’ailleurs pas repris dans l’édition Alma en 2018.
Xavier MAUMÉJEAN Première parution : 1/7/2017 Bifrost 87 Mise en ligne le : 12/1/2023