J'AI LU
(Paris, France), coll. Millénaires n° (6075) Dépôt légal : février 2003, Achevé d'imprimer : février 2003 Première édition Roman, 306 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 2-290-32727-1 Format : 13,0 x 19,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
2303. Les 30 milliards d'humains résidant sur Terre — auxquels s'ajoutent les Exos, qui ont choisi de fuir dans l'espace — sont désormais gouvernés par l'Union solaire. Capitalisme et système monétaire ont été abolis dans cette société mondiale et interplanétaire sans classes, héritage d'un siècle d'obscurantisme initié par la victoire politique des Verts, qui ont mis à bas une civilisation dominée par l'Empire américano-onusien.
Bras armé de l'Union solaire, la Division Cassini a pour fonction de défendre les humains des attaques répétées des Joviens, des Exos hostiles exilés sur Jupiter ayant détruit réseaux informatiques et systèmes de communication terriens à force d'inlassables bombardements de virus. Or une nouvelle menace se profile : on soupçonne les habitants de la Nouvelle Mars, planète en voie de terraformation située à des années-lumière du Système solaire, d'ourdir aussi un complot contre les Terriens...
Des ruines végétales de Londres aux confins de la galaxie, La Division Cassini renoue avec la grande aventure spatiale, au long de laquelle seront révélés les travers de l'Histoire, les terrifiants enjeux de pouvoir d'un monde à nul autre pareil et où, in fine, se posera la question de ce qui définit vraiment l'humanité...
Écossais fortement engagé politiquement, Ken MacLeod fait partie des incontournables jeunes talents de la nouvelle science-fiction britannique. La Division Cassini, son troisième roman mais le premier à être publié en France, s'inscrit dans un vaste univers qu'il a déjà développé au cours de quatre livres, dans lesquels d'aucuns ont vu le renouveau original d'une littérature libertaire, radicale et anarchiste.
« Ken MacLeod écrit une science-fiction révolutionnaire. C'est une nova qui vient d'apparaître dans notre ciel. » Kim Stanley Robinson
Critiques
Commençons par le plus délicat : vous expliquer de quoi il retourne dans ce roman...
Nous sommes en 2303 : sur Terre règne une société du type « utopie bucolico-marxiste » chapeautée par le gouvernement de l'Union Solaire. Les hommes y ont trois choses en horreur : le capitalisme (c'est logique...), les Verts (rendus responsables d'une terrible épidémie sur la planète) et les Joviens. En ce qui concerne ces derniers, il faut savoir que plusieurs siècles auparavant, certains humains ont choisi d'émigrer sur Jupiter, développant leur intellect au point de finir par fusionner avec les ordinateurs pour devenir de purs « téléchargés », des « rapides » au comportement incompréhensible et surtout dangereux. Dangereux car, si d'un côté ces « Exos » ont réussi à créer un trou-de-ver à proximité de Jupiter en pulvérisant Ganymède, ils ont aussi bombardé la Terre de virus informatiques, provoquant des millions de morts. D'où la Division Cassini, bras armé — avec de fortes velléités d'indépendance — de l'Union Solaire chargé de surveiller Jupiter et l'entrée du Trou afin de prévenir toute nouvelle agression. On complétera le tableau avec l'ajout d'un groupe de Joviens sécessionnistes, qui ont utilisé la déchirure spatio-temporelle pour partir avec armes et bagages — en l'occurrence des personnalités téléchargées — vers l'autre bout du Trou, et dont on était jusque là sans nouvelle.
Sauf que, justement, un des membres du groupe de l'autre bout du Trou revient et, une fois pourvu d'un corps humain, entreprend de vanter les mérites de la Nouvelle-Mars, colonie capitaliste habitée par des téléchargés réincarnés. Ce qui ne plaît guère aux membres de la Division, pas très fans des pseudo-humains, clones et cyborgs en tous genres, spécialement quand ils sont amateurs de libre entreprise. Voilà pourquoi Ellen May Ngwethu, capitaine dans la Division, part à la recherche du professeur Malley, premier théoricien du Trou-de-ver, passé chez les « non-co » (comprenez « non-coopérants », anarchisants opposés même à l'Union Solaire), pour voir comment il serait possible de traverser le Trou pour débarquer sur Nouvelle-Mars avant que ce ne soient ses habitants qui débarquent. Pour compliquer l'affaire — parce que c'était trop simple, hein... — , les Exos ont entamé une nouvelle mutation, se dotant d'une civilisation de type humaine qui inquiète la Division. Celle-ci, qui ne fait guère dans la finesse des procédés, se débarrasserait volontiers de tout ce petit monde — Exos et Nouveaux-Martiens — d'un coup. Le problème est que les Exos se montrent subitement coopératifs et repentants, expliquant que les virus qu'ils ont lancés sur Terre n'étaient que des effets involontaires de leurs mutations. Et l'Union Solaire, soutenue par l'opinion, se met bientôt à soutenir les Exos et à défendre, avec les Nouveaux Martiens, l'idée que les êtres artificiels ont une conscience...
Voilà pour l'essentiel : une paille, quoi !
Je ne détaillerai pas plus, parce que l'intérêt du roman tient surtout dans le suspense — encore qu'il ne soit pas à vous tenir éveillé toute la nuit, le récit étant finalement plutôt convenu... Ce qui risque de vous tenir éveillé, en revanche, c'est que le fil est assez tortueux, grevé de retours historiques destinés à instruire le lecteur, qui finissent par devenir étouffants, pour ne rien clarifier du tout. De même, le choix d'un récit à la première personne conduit l'auteur à accorder une place importante aux réflexions d'Ellen, souvent répétitives et assez caricaturales. Mais disons que cet aspect du personnage fait aussi son charme et trouve sa raison d'être dans le développement du débat soulevé par le récit : l'homme a t-il le monopole de la conscience ?
Il faut dire également que le texte original n'est pas gâté côté traduction. On passera sur les erreurs de syntaxe, qui sont légion. Plus gênant : nombre de références culturelles ne sont pas explicitées — l'auteur joue par exemple avec des utopies du XIXe siècle, de Wells à William Morris (les Nouvelles de Nulle Part donnent ainsi leur titre à un des chapitres du roman), or à aucun moment la traductrice ne juge bon de renvoyer à une note explicative. L'intertextualité devient alors inexistante et l'œuvre perd de sa profondeur. Dommage, car ces allusions soulèvent tout un « non-dit », un second degré qui n'est pas directement accessible au lecteur et qui peut néanmoins modifier l'interprétation du roman.
Space opera politiquement engagé, donc, La Division Cassini est riche en promesses, parce que l'univers créé par MacLeod est réellement original. Roman un peu court peut-être pour les tenir toutes, parce que l'on a l'impression, souvent, que l'auteur a plus d'idées que de papier... On a de fait du mal à suivre, et on reste finalement sur sa faim. En outre le final, manifestement ouvert, indique que ce roman ne prend toute sa dimension que dans le cadre d'une épopée beaucoup plus vaste, puisqu'on sait qu'il est aussi une continuation de The Stone Canal. Une épopée qu'il faudrait pouvoir lire pour juger plus avant des talents de l'auteur. A suivre, donc, mais pas forcément en courant...
Dès le XXIe siècle, des enthousiastes de l'espace mettent en place des habitats orbitaux, puis une partie d'entre eux abandonnent leur corps humain pour s'installer sur Jupiter, évoluent à une vitesse hallucinante et ouvrent la Porte, un « trou de ver » spatial qui fait communiquer l'orbite des satellites de Jupiter avec une étoile à 10 000 années-lumière de là... et par laquelle s'enfuient une partie des humains qu'ils ont réduits en esclavage informatique dans des machines ou des vaisseaux. Les fuyards fondent une colonie, la Nouvelle Mars. Pendant ce temps, les Verts prennent le pouvoir sur Terre à la faveur de la déconfiture du capitalisme. Un tir groupé d'épidémies détruit leur société, et des virus informatiques émanant des Joviens, et transmis par radio, achèvent de dévaster l'infrastructure terrestre. Une dernière guerre mondiale aboutit à un régime anarcho-communiste, l'Union Solaire, à laquelle seuls se soustraient (en dehors des Joviens post-humains) quelques groupes de « non-coopérants » que l'Union (où tout est gratuit et chacun fait à sa guise — tant qu'il le peut) laisse pratiquer leur économie de marché démodée.
Mais l'Union connaît une exception à ses règles anarchistes : son corps de défense spatiale, la Division Cassini, hiérarchie originale (les chefs doivent subir en première ligne les conséquences de leurs décisions, par exemple) est tout à la fois service secret et régiment d'élite. Un de ses pontes, Ellen May Ngwethu, descend sur Terre vers 2300 pour récupérer Isambard Malley, le physicien dont les théories ont rendu possible la Porte, qui vit modestement au milieu de l'enclave « non-co » de Londres. Sans renier ses convictions, Malley se montre assez... coopératif, et aide Ellen May à combattre les post-humains en-deçà et au-delà de la Porte.
Il est difficile d'imaginer une société anarchiste sans poser le problème du bras armé dont elle a besoin pour traiter avec d'autres cultures — et difficile à notre époque d'écrire un roman situé dans une telle utopie sans faire abondamment intervenir ce bras armé. La Division Cassini de MacLeod est à son Union Solaire ce que les Circonstances Spéciales sont à la Culture de Iain M. Banks. Par rapport à son modèle, MacLeod utilise une narration moins riche, moins humoristique (quoique le contact avec les Néo-Martiens anarcho-capitalistes, amateurs de country music, ne manque pas de sel !), qui se passe de digressions et de manipulations des émotions du lecteur. On lui saura gré en revanche de ne pas esquiver les problèmes économiques ou moraux, dans des discussions pas toujours à l'avantage de son utopie anarchiste (et égoïste à la fois !) ; de se colleter, aussi, avec la science spéculative qui sous-tend les événements spectaculaires du roman. Qui se lit sans une minute de répit — et qui est précédé ou suivi d'au moins trois autres livres situés dans le même univers. Du plaisir en perspective.