Fredric BROWN Titre original : Nightmares and Geezenstacks, 1961 Première parution : Bantam Books, juillet 1961ISFDB Traduction de Jean SENDY Illustration de Stéphane DUMONT
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 65 Dépôt légal : mars 1987 Retirage Recueil de nouvelles, 228 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : 2-207-30065-X Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
1 - Vilain (Nasty, 1959), pages 9 à 11, nouvelle, trad. Jean SENDY 2 - Abominable (Abominable, 1960), pages 12 à 14, nouvelle, trad. Jean SENDY 3 - Rebond (The Power / Rebound, 1960), pages 15 à 19, nouvelle, trad. Jean SENDY 4 - Cauchemar en gris (Nightmare in Gray, 1961), pages 19 à 21, nouvelle, trad. Jean SENDY 5 - Cauchemar en vert (Nightmare in Green, 1961), pages 21 à 23, nouvelle, trad. Jean SENDY 6 - Cauchemar en blanc (Nightmare in White, 1961), pages 23 à 25, nouvelle, trad. Jean SENDY 7 - Cauchemar en bleu (Nightmare in Blue, 1961), pages 25 à 27, nouvelle, trad. Jean SENDY 8 - Cauchemar en jaune (Nightmare in Yellow, 1961), pages 28 à 30, nouvelle, trad. Jean SENDY 9 - Cauchemar en rouge (Nightmare in Red, 1961), pages 30 à 32, nouvelle, trad. Jean SENDY 10 - Malheureusement (Unfortunately, 1958), pages 32 à 34, nouvelle, trad. Jean SENDY 11 - L'Anniversaire de Grand-mère (Granny's Birthday, 1960), pages 34 à 37, nouvelle, trad. Jean SENDY 12 - Voleur de chats (Cat Burglar, 1961), pages 38 à 39, nouvelle, trad. Jean SENDY 13 - La Maison (The House, 1960), pages 40 à 44, nouvelle, trad. Jean SENDY 14 - Deuxième chance (Second Chance, 1961), pages 44 à 46, nouvelle, trad. Jean SENDY 15 - Les Grandes découvertes perdues (Great Lost Discoveries I - Invisibility II - Invulnerability III - Immortality, 1961), pages 47 à 53, nouvelle, trad. Jean SENDY 16 - Lettre morte (The Letter / Dead Letter, 1955), pages 54 à 55, nouvelle, trad. Jean SENDY 17 - Hymne de sortie du clergé (Recessionnal, 1960), pages 56 à 58, nouvelle, trad. Jean SENDY 18 - Marotte (Hobbyist / The Assistant Murderer, 1961), pages 58 à 61, nouvelle, trad. Jean SENDY 19 - L'Anneau de Hans Carvel (The Ring of Hans Carvel, 1961), pages 61 à 62, nouvelle, trad. Jean SENDY 20 - Flotte de vengeance (Vengeance Fleet / Vengeance Unlimited, 1950), pages 63 à 66, nouvelle, trad. Jean SENDY 21 - La Corde enchantée (Rope Trick, 1959), pages 66 à 68, nouvelle, trad. Jean SENDY 22 - Erreur fatale (Fatal Error, 1961), pages 68 à 70, nouvelle, trad. Jean SENDY 23 - Les Vies courtes et heureuses d'Eustache Weaver (Of Time and Eustace Weaver / The Short Happy Lives of Eustace Weaver I, II, & III, 1961), pages 70 à 77, nouvelle, trad. Jean SENDY 24 - Expédition (Expedition, 1957), pages 77 à 80, nouvelle, trad. Jean SENDY 25 - Barbe luisante (Bright Beard, 1961), pages 80 à 82, nouvelle, trad. Jean SENDY 26 - Jicets (Jaycee, 1958), pages 82 à 84, nouvelle, trad. Jean SENDY 27 - Contact (Earthmen Bearing Gifts / Contact, 1960), pages 84 à 88, nouvelle, trad. Jean SENDY 28 - Mort sur la montagne (Death on the Mountain, 1961), pages 88 à 92, nouvelle, trad. Jean SENDY 29 - Comme ours en cage (Bear Possibility, 1960), pages 92 à 94, nouvelle, trad. Jean SENDY 30 - Pas encore la fin (Not Yet the End, 1941), pages 95 à 98, nouvelle, trad. Jean SENDY 31 - Histoire de pêcheur (Fish Story, 1961), pages 99 à 101, nouvelle, trad. Jean SENDY 32 - Trois petits hiboux (Three Little Owls, 1961), pages 102 à 104, nouvelle, trad. Jean SENDY 33 - Faux-fuyants (Runaround / Starvation, 1942), pages 105 à 111, nouvelle, trad. Jean SENDY 34 - L'Assassinat en dix leçons faciles (Murder in Ten Easy Lessons, 1945), pages 111 à 123, nouvelle, trad. Jean SENDY 35 - Fredric BROWN & Mack REYNOLDS, Sombre interlude (Dark Interlude, 1951), pages 123 à 134, nouvelle, trad. Jean SENDY 36 - Entité-piège (Entity Trap / From these Ashes, 1950), pages 134 à 155, nouvelle, trad. Jean SENDY 37 - Petit agnelet (The Little Lamb, 1953), pages 155 à 172, nouvelle, trad. Jean SENDY 38 - Moi, Flapjack et les Martiens (Me and Flapjack and the Martians, 1952), pages 172 à 182, nouvelle, trad. Jean SENDY 39 - La Bonne blague (If Looks Could Kill / The Joke / Face of Death, 1948), pages 182 à 194, nouvelle, trad. Jean SENDY 40 - Fredric BROWN & Mack REYNOLDS, Dessinateur-humoristique (Garrigan's Bems / Lucky Draw / Cartoonist, 1951), pages 195 à 206, nouvelle, trad. Jean SENDY 41 - Les Farfafouilles (The Geezenstacks, 1943), pages 206 à 219, nouvelle, trad. Jean SENDY 42 - F.I.N. (The End / Nightmare in Time, 1961), pages 220 à 220, nouvelle, trad. Jean SENDY
Que ceux qui n'ont encore jamais lu Fredric Brown se dénoncent ! Mais non, je plaisante — d'autant que si vous avez rougi de confusion en lisant cette première phrase (même les lecteurs de Galaxies peuvent présenter des carences...), l'occasion vous est donnée de combler cette insupportable lacune : le maître incontestable de la short short story se livre ici dans tous ses états, en quarante-deux textes sautant allègrement du conte fantastique au polar, en passant par l'horreur pure, l'humour (avec, parfois, une bonne petite dose de grivoiserie), la poésie onirique, sans oublier une petite touche surréaliste par-ci par-là... On déniche même dans ce recueil, en cherchant bien, un peu de science-fiction (une quinzaine de textes, plus ou moins deux, selon les frontières que l'on se plaît à tracer autour du genre). Bref, il y en a pour tous les goûts dans Fantômes et Farfafouilles, et qui n'y trouve pas peu ou prou son compte devrait d'urgence revoir À bout de souffle.
Même si les meilleures nouvelles de SF écrites par Brown ne sont peut-être pas ici (on les trouvera plutôt dans Une étoile m'a dit, récemment réédité dans cette même collection, ou dans Lune de miel en enfer, en voie de réédition sans doute), les petites perles classiques que sont Les Grandes Découvertes perdues, Flotte de vengeance, Pas encore la fin, Moi, Flapjack et les Martiens et bien sûr Sombre Interlude sont de celles qui marquent durablement le lecteur. Cependant, l'ensemble vaut surtout par l'extraordinaire diversité des textes, qui donnent un aperçu vertigineux de la palette de ce rabelaisien impénitent, trop tôt disparu. Une fois n'est pas coutume, les meilleurs morceaux de Fantômes... ne sont pas nécessairement « science-fictifs » : la série des Cauchemars (en couleurs) et Mort sur la Montagne sont d'authentiques merveilles, n'en déplaise aux fondamentalistes de la SF.
Enfin, trois bonnes initiatives qu'il faut saluer à l'occasion de cette réédition : les traductions revues (elles en avaient besoin), l'indication des titres originaux, ainsi que la mention des années de parution en V.O. Séquence nostalgie : même si bien des nouvelles de SF présentes ici, publiées pour la plupart il y a un peu plus de quarante ans, ont moins bien résisté à l'injure du temps que d'autres textes plus classiques (policiers, fantastiques ou mainstream), ne serait-ce que pour avoir été copieusement pillées depuis leur parution, on en redemanderait si c'était encore possible. Rendez-nous des auteurs qui sachent manier la chute avec autant de virtuosité que l'inénarrable Fredric Brown !... À propos : moi, je vais relire L'Univers en folie, tiens ; cela me fera le plus grand bien.
Il y a des écrivains qui remplissent quelques centaines de pages pour vous expliquer qu'il ne s'est rien passé du tout, et il y a ceux qui font tenir en quelques lignes une fin du monde. Fredric Brown est de ceux-ci. Il a acquis par sa pratique du roman policier une totale perfection dans le choix de l'événement à raconter et dans sa présentation, perfection dont il a tiré profit dans ses récits insolites. Ce recueil de nouvelles – dont les Farfafouilles du titre expriment très heureusement l'arbitraire dans l'étrange qui était celui des Geezenstacks de la version originale – est assurément un des meilleurs de Fredric Brown ; et aussi, un des plus parfaitement insolites qui se puissent lire.
L'insolite apparaît d'emblée aux yeux de celui qui feuillette ce livre, sans même le lire ; plus de la moitié des récits qui le composent appartiennent à un genre dont Fredric Brown s'est fait une spécialité dans le domaine de la science-fiction, celui de la short-short story. Fantômes et farfafouillesréunit, en plus de nouvelles aux dimensions conventionnelles, une bonne trentaine de ces récits ultra-courts dans lesquels, en deux ou trois pages, Fredric Brown sait planter un décor inhabituel, faire monter une tension, puis conclure par un éclatant coup de théâtre. Généralement, c'est en vue d'amener ce dernier que tout le récit a été bâti ; mais la gradation qui précède sa révélation est si adroitement ménagée que ces récits donnent autant d'agrément lorsqu'on les relit que lorsqu'on les découvre. Les autres nouvelles, plus longues, possèdent elles aussi ce caractère incisif et brillant, désinvolte et inquiétant, qui est une des marques du style de l'auteur.
En observant qu'il y a dans ce livre d'une part des nouvelles ultra-brèves et, de l'autre, des récits plus développés, on a fait pour ainsi dire tout ce qu'il est possible de faire en matière de classification à leur propos. En effet, ces petites histoires ont, pour la plupart, un caractère qui leur est propre, et elles se rattachent à des genres très divers.
De la science-fiction ? Il y en a, sans doute, dans ces pages : il y a Faux-fuyants, qui raconte avec sobriété la fin du dernier représentant de l'espèce Tyrannosaurus Rex, quelque part dans le passé lointain de notre planète ; il y a aussi Sombre interlude, dont le ressort est le voyage dans le temps, mais dont la résonance dramatique est due à la douloureuse réalité du problème qui s'y trouve traité, celui des préjugés raciaux ; il y a Flotte de vengeance, il y en a d'autres encore.
Voici du policier, sous la forme d'une charge à peine appuyée du récit « noir » (L'assassinat en dix leçons faciles),d'un « suspense » psychologique (Petit agnelet), d'un récit dont la clé n'apparaît qu'à la fin, selon les règles classiques (La bonne blague). Voici, avec l'histoire qui donne son titre au recueil, de l'inquiétant qui débouche sur l'effroi. Voici du fantastique – remarquablement envoûtant – avec La maison.
Mais, plus particulièrement, voici de l'onirique, dans la série des six Cauchemars, et aussi dans des touches qui placent la plupart des autres récits dans un climat de rêve inquiétant. Le titre original du recueil mentionnait d'ailleurs des cauchemars, et non des fantômes : il donnait une meilleure idée de l'univers dans lequel se déroulent ces récits. Le temps n'y obéit plus à ses règles, l'espace peut s'abolir ou se dilater, le monde peut soudainement prendre l'apparence d'une immense farce, d'un piège au milieu duquel le protagoniste se trouve emprisonné. À cet égard, chacun des six petits Cauchemars est une manière de chef-d'œuvre de concision, d'intensité et de rigueur dans la construction de l'anormal.
Ce n'est cependant pas cet élément de sadisme – car il y a, sans nul doute, un sadisme très raffiné dans ces récits – qui caractérise le plus Fredric Brown. C'est surtout son refus du conventionnel. Celui-ci peut se manifester par une pointe de paillardise, comme lorsque Fredric Brown reprend, après Rabelais et La Fontaine, L'anneau de Hans Carvel pour en faire une histoire à chute sans en modifier la substance ; elle peut aussi prendre des dehors irrespectueux, comme dans Jicets, dont le titre joue sur des initiales et où l'on trouve, à propos de la parthénogénèse, la remarque suivante : « C'était déjà arrivé, dans l'Histoire de l'Humanité, qu'un garçon naisse d'une vierge. »
Fredric Brown sait trouver des idées, et il ne craint pas de dépenser en quelques paragraphes une trouvaille autour de laquelle plus d'un de ses confrères bâtirait un petit roman. Il peut se le permettre par la puissance d'impact d'un style mordant, dont Jean Sendy a réussi à donner une très bonne version française, d'un style qui sait s'emparer de l'attention du lecteur en quelques lignes, dès le commencement (ce qui est d'ailleurs une nécessité, avec des récits aussi brefs).
Avec une simplicité incomparablement plus efficace que tous les feux d'artifice verbaux, Fredric Brown plonge d'emblée dans le vif du sujet. On pourra en juger par le commencement de trois de ces récits.
« Il fut tiré du sommeil par la sonnerie du réveil, mais resta couché un bon moment après l'avoir fait taire, à repasser une dernière fois les plans qu'il avait établis pour une escroquerie dans la journée et un assassinat le soir. » (Cauchemar en jaune).
« M. Walter Baxter était depuis de longues années grand lecteur de romans policiers ; quand il décida d'assassiner son oncle il savait donc qu'il ne devrait pas commettre le moindre impair. » (Erreur fatale).
« Le reflet verdâtre de la lumière dans le cube de métal était déprimant. La peau, d'un blanc de cadavre, de la créature assise aux commandes en paraissait verdoyante. » (Pas encore la fin).
Il est d'autant plus surprenant de rencontrer, à côté de telles entrées en matière fulgurantes, des touches d'une étrange poésie, d'une poésie d'autant plus étrange que la place s'en trouvait comme préparée par le climat ou le sujet. Cette poésie peut être insolite, elle aussi, par un rapprochement surprenant, que le ton du récit justifie cependant : « Je riais, et elle riait, mais son rire à elle était comme des cymbales d'argent et mon rire à moi était comme les pétales morts tombant du géranium d'un fou. » Et, effectivement, la folie joue son rôle dans Petit agnelet, où cette étrange comparaison frappe de plein fouet le lecteur.
Encore plus notable, peut-être, le paragraphe suivant, tiré de Mort sur la montagne, car il illustre dans sa concision la maîtrise de Fredric Brown :
« Il y avait une étoile bien brillante. Toutes les trois nuits, elle descendait bien bas, juste au-dessus du sommet enneigé de la montagne, et il grimpait au sommet pour lui faire la conversation. L'étoile ne lui répondait jamais. »
La candeur de celui qui attendait une réponse de l'étoile apparaît en premier, sans doute. Mais l'on se prend ensuite à s'interroger sur cette étoile qui occupe toutes les trois nuits une certaine position du ciel ; et l'on est bien forcé d'admettre que le monde dans lequel Fredric Brown situe son récit n'est pas celui que nous connaissons. Le dépaysement est ici obtenu par un moyen inverse de celui que les auteurs de science-fiction emploient habituellement, puisque des détails troublants viennent déranger un décor dont seuls les éléments familiers sont évoqués d'abord. Tout ce récit est un parfait exemple d'insolite onirique, et ses demi-teintes sont traitées avec autant de maîtrise que les éclairs aveuglants des six Cauchemars.
Trois des nouvelles, Sombre interlude, Dessinateur humoristique, et Moi, Flapjack et les Martiensont été écrites en collaboration avec Mack Reynolds. Le nom de celui-ci n'est pas mentionné à propos du dernier récit, lequel est d'ailleurs une pantalonnade appuyée, sans grande finesse.
Mais le reste du livre est d'une haute qualité, par l'originalité des idées comme par la dense efficacité de leur traitement. À une époque où bien des auteurs s'abandonnent au verbiage dès qu'il s'agit des chemins battus, Fredric Brown montre que l'économie et l'intelligence sont d'une autre efficacité lorsqu'il s'agit d'écrire de l'insolite…
Demètre IOAKIMIDIS Première parution : 1/10/1963 Fiction 119 Mise en ligne le : 29/7/2024