A-t-il rêvé ? Raymond, le vieux serviteur du comte d'Athol, demeure un instant stupéfait. Il jurerait avoir vu apparaître, au détour d'une allée, la robe noire de la comtesse. Il a même cru entendre son rire moqueur... En approchant du salon, le valet perçoit un murmure de voix à peine étouffé. Qui donc M. le Comte reçoit-il à cette heure ? Voilà presque un an, depuis le fatal accident qui a coûté la vie à son épouse, que la porte de la maison est restée fermée à tous les visiteurs. Nul n'a franchi le seuil du vaste hôtel désolé. Pourtant, Raymond a parfois cru sentir rôder une étrange présence féminine. Un matin, il a trouvé dans la chambre une toilette de bal de la comtesse, froissée, comme si elle venait d'être abandonnée. La réclusion du comte n'est-elle qu'un prétexte pour entretenir une maîtresse ? Son deuil inconsolable n'est-il qu'une feinte pour éloigner les importuns ? Il y a près d'un an que Véra, son épouse bien-aimée, repose dans un tombeau de marbre blanc... Soudain, un coup de sonnette arrache le vieillard à ses pensées. Il pénètre dans le salon et découvre le comte debout, un léger sourire aux lèvres. « Raymond, dit tranquillement D'Athol, nous dînerons de bonne heure, ce soir. Nous sommes accablés de fatigue, la comtesse et moi. » Saisi d'étonnement, le serviteur s'incline en silence, sans rien distinguer dans la pénombre de la pièce...
Si Véra est le plus célèbre des Contes cruels, il n'est pas le seul à faire frissonner le lecteur. La cruauté, partout présente, anime les passions d'une société impitoyable, où le crime capital est la sincérité. Olympe de Bienfilâtre, prostituée célèbre, meurt de honte le jour où elle aime vraiment... A l'homme du monde réellement épris, il ne reste que le suicide pour échapper au ridicule : tel est le verdict amer de Sentimentalisme. Mais, sous l'outrance de ses affirmations, Villiers de l'Isle-Adam dissimule une observation aiguë et profonde du cœur humain. Cet univers de « filles » et de dandys est le miroir grossissant des vices et des vanités partout répandus. L'humour noir et le raffinement transforment la chronique réaliste en mirage fantastique. Sous le masque du plaisir grimace l'angoisse : dans chaque récit, une lente horreur s'insinue peu à peu au cœur d'un tourbillon qui bascule dans le cauchemar.
1 - Les Demoiselles de Bienfilâtre, pages 7 à 15, nouvelle 2 - Véra, pages 16 à 25, nouvelle 3 - Vox Populi, pages 26 à 29, nouvelle 4 - Deux augures, pages 30 à 42, nouvelle 5 - L'Affichage céleste, pages 43 à 46, nouvelle 6 - Antonie, pages 47 à 48, nouvelle 7 - La Machine à Gloire, pages 49 à 63, nouvelle 8 - Duke of Portland, pages 64 à 70, nouvelle 9 - Virginie et Paul, pages 71 à 75, nouvelle 10 - Le Convive des dernières fêtes, pages 76 à 99, nouvelle 11 - A s'y méprendre !, pages 100 à 103, nouvelle 12 - Impatience de la foule, pages 104 à 110, nouvelle 13 - Le Secret de l'ancienne musique, pages 111 à 115, nouvelle 14 - Sentimentalisme, pages 116 à 124, nouvelle 15 - Le Plus beau dîner du monde, pages 125 à 132, nouvelle 16 - Le Désir d'être un homme, pages 133 à 142, nouvelle 17 - Fleurs de ténèbres, pages 143 à 144, nouvelle 18 - L'Appareil pour l'analyse chimique du dernier soupir, pages 145 à 151, nouvelle 19 - Les Brigands, pages 152 à 157, nouvelle 20 - La Reine Ysabeau, pages 158 à 164, nouvelle 21 - Sombre récit, conteur plus sombre, pages 165 à 173, nouvelle 22 - L'Intersigne (L'Intersigne. Histoires moroses.), pages 174 à 192, nouvelle 23 - L'Inconnue, pages 193 à 205, nouvelle 24 - Maryelle, pages 206 à 214, nouvelle 25 - Le Traitement du docteur Tristan, pages 215 à 219, nouvelle 26 - Conte d'amour, pages 220 à 226, poésie 27 - Souvenirs occultes, pages 227 à 230, nouvelle 28 - L'Annonciateur, pages 231 à 254, nouvelle