Dino BUZZATI Titre original : Il colombre e altri cinquanta racconti, 1966 Première parution : Italie, Milan : Arnoldo Mondadori Editore, avril 1966ISFDB Traduction de Jacqueline REMILLET
LIVRE DE POCHE
(Paris, France) n° 2535 Dépôt légal : mai 1994 Retirage Recueil de nouvelles, 384 pages, catégorie / prix : 4 ISBN : 2-253-00836-2 ✅ Genre : Imaginaire
L'histoire du K, qui donne son titre au recueil, contient tous les thèmes familiers à Dino Buzzati, l'auteur du Désert des Tartares, et définit parfaitement un art où le merveilleux et l'humour se mêlent à l'observation lucide avec une maîtrise que confirment les cinquante autres récits suivants. Une sensibilité exacerbée, un sens aigu de la justice, un certain pessimisme aussi donnent une résonnance poignante au Compte, à la Petite Circé, à L'Ascneseur, au Veston ensorcelé, par exemple. Le fantsatique de Buzzati est étroitement accordé à l'air de notre temps et aux préoccupations du jour : la guerre mondiale, la dictature, le mal de la jeunesse et la solitude, comme en témoignent Chasseurs de vieux, La Leçon de 1980 ou Suicide au parc et L'Arme secrète.
1 - Le K (Il colombre, 1966), pages 5 à 12, nouvelle 2 - La Création (La creazione, 1966), pages 13 à 20, nouvelle 3 - La Leçon de 1980 (La lezione del 1980, 1961), pages 21 à 28, nouvelle 4 - Général inconnu (Generale ignoto, 1961), pages 29 à 34, nouvelle 5 - Le Défunt par erreur (L'erroneo fu, 1966), pages 35 à 41, nouvelle 6 - L'Humilité (L'umiltà, 1958), pages 42 à 48, nouvelle 7 - Et si ? (E se?, 1959), pages 49 à 54, nouvelle 8 - A monsieur le Directeur (Riservatissima al signor direttore, 1960), pages 55 à 64, nouvelle 9 - L'Arme secrète (L'arma segreta, 1960), pages 65 à 71, nouvelle 10 - Un amour trouble (Un torbido amore, 1958), pages 72 à 79, nouvelle 11 - Pauvre petit garçon (Povero bambino!, 1960), pages 80 à 86, nouvelle 12 - Le Casse-pieds (Il seccatore, 1960), pages 87 à 93, nouvelle 13 - Le Compte (Il conto, 1960), pages 94 à 100, nouvelle 14 - Week-end (Week-end, 1966), pages 101 à 106, nouvelle 15 - Le Secret de l'écrivain (Il segreto dello scrittore, 1958), pages 107 à 112, nouvelle 16 - Petites histoires du soir (Storielle della sera, 1964), pages 113 à 120, nouvelle 17 - Chasseurs de vieux (Cacciatori di vecchi, 1962), pages 121 à 129, nouvelle 18 - L'Œuf (L'uovo, 1962), pages 130 à 139, nouvelle 19 - Dix-huitième trou (Diciottesima buca, 1964), pages 140 à 146, nouvelle 20 - Le Veston ensorcelé (La giacca stregata, 1962), pages 147 à 154, nouvelle 21 - Le Chien vide (Il cane vuoto, 1962), pages 155 à 161, nouvelle 22 - Douce nuit (Dolce notte, 1962), pages 162 à 167, nouvelle 23 - L'Ascenseur (L'ascensore, 1962), pages 168 à 175, nouvelle 24 - Les Dépassements (I sorpassi, 1962), pages 176 à 183, nouvelle 25 - Ubiquité (L'ubiquo, 1962), pages 184 à 191, nouvelle 26 - Le Vent (Il vento, 1959), pages 192 à 198, nouvelle 27 - Teddy boys (Teddy boys, 1959), pages 199 à 205, nouvelle 28 - Le Petit ballon (Il palloncino, 1963), pages 206 à 211, nouvelle 29 - Suicide au parc (Suicidio al parco, 1963), pages 212 à 219, nouvelle 30 - La Chute du saint (Il crollo del santo, 1963), pages 220 à 225, nouvelle 31 - Esclave (Schiavo, 1963), pages 226 à 233, nouvelle 32 - La Tour Eiffel (La Torre Eiffel, 1964), pages 234 à 241, nouvelle 33 - Jeune fille qui tombe…tombe (Ragazza che precipita, 1963), pages 242 à 247, nouvelle 34 - Le Magicien (Il mago, 1966), pages 248 à 253, nouvelle 35 - La Boîte de conserves (La barattola, 1960), pages 254 à 261, nouvelle 36 - L'Autel (L'altare, 1964), pages 262 à 268, nouvelle 37 - Les Bosses dans le jardin (Le gobbe nel giardino, 1963), pages 269 à 274, nouvelle 38 - Petite Circé (Piccola Circe, 1959), pages 275 à 282, nouvelle 39 - L'Épuisement (Il logorio, 1965), pages 283 à 288, nouvelle 40 - Quiz aux travaux forcés (Quiz all'ergastolo, 1959), pages 289 à 294, nouvelle 41 - Iago (Jago, 1961), pages 295 à 303, nouvelle 42 - Progressions (Progressioni, 1966), pages 304 à 311, nouvelle 43 - Les Deux chauffeurs (I due autisti, 1963), pages 312 à 318, nouvelle 44 - Un service difficile (Un servizio difficile, 1965), pages 321 à 328, nouvelle 45 - Les Secrets de la "MM" (I segreti della « MM », 1965), pages 329 à 336, nouvelle 46 - Les Diablesses (Le diavolesse, 1965), pages 337 à 344, nouvelle 47 - Les Accélérations (Le accelerazioni, 1965), pages 345 à 351, nouvelle 48 - Les Solitudes (Le solitudini, 1965), pages 352 à 359, nouvelle 49 - L'Entrümpelung (L'Entrümpelung, 1965), pages 360 à 367, nouvelle 50 - Fauve au volant (Belva al volante, 1965), pages 368 à 374, nouvelle 51 - Le Jardin (Il giardino, 1965), pages 375 à 380, nouvelle
Avec Le désert des tartares, beau roman aux accents kafkéens, puis avec L’écroulement de la Baliverna, Dino Buzzati s’était taillé la réputation du meilleur écrivain fantastique italien. Avec Une image de pierre, il avait effleuré, avec un peu moins de bonheur mais tout de même beaucoup de talent, la science-fiction. Je n’ai pas lu ses carnets, parus sous le titre En ce moment précis, mais la critique, pour une fois unanime sur le compte d’un ouvrage insolite, les avait salués avec transports.
Il serait trop injuste de retirer à Dino Buzzati tous ses lauriers sur la foi d’un seul livre médiocre. Car son dernier recueil de nouvelles, Le K., ne vaut pas grand-chose. On n’y retrouve ni la maîtrise glacée de l’expression, l’ironie hautaine, l’élégance subtile, ni l’originalité des idées ou des atmosphères qui faisaient sa réputation. À la place, de petits contes à la morale courte, mal fagotés, bâclés au fil de la plume en tirant et ahanant sur l’inspiration, va comme je te pousse, encore une ligne encore une page encore un texte de bouclé, qui se serrent les uns contre les autres comme s’ils avaient froid et se succèdent interminablement dans cet épais recueil avec la mine ahurie des voyageurs dans un hall de gare. Certes, il y a là une certaine patte, des joliesses, çà et là quatre répliques justes, un dialogue bien balancé, une image plaisante qui retient l’œil, bref, des riens qui chez un Inconnu ou même chez un autre susciteraient l’attention. Pas chez Dino Buzzati.
À cette baisse de forme, il y a une explication. Dino Buzzati, pour vivre, est journaliste. Il travaille au Corriere Délla Sera. À ce digne journal, il donne selon un rythme que je crois hebdomadaire de petits contes. Ce sont des années entières de cette production alimentaire, encore que sans doute plaisante quand elle est absorbée entre les rumeurs de guerre et les faits divers, qui se trouvent empilées, légèrement jaunies, dans ce recueil. C’est dommage. La gloire de Buzzati n’y a rien gagné. Je ne suis pas sûr, encore que je le lui souhaite, que sa fortune s’en trouve augmentée. Son éditeur, en tout état de cause, eût dû faire un tri sévère. Un quart de ces histoires peut-être méritaient d’échapper au pilon. Quant au reste, un oubli miséricordieux aurait pu lui être accordé.
La sortie de ce recueil a été pourtant l’occasion pour nous de découvrir un aspect inattendu du talent de Buzzati. La librairie La Pochade, boulevard Saint-Germain, qui multiplie cette année les initiatives ingénieuses et qui semble porter au fantastique, à l’insolite et à la science-fiction un intérêt particulier, a exposé trente-six toiles et dessins de Dino Buzzati. Il peint depuis quelques années, renouant avec une ancienne vocation contrariée, dans un style curieusement proche du pop-art et de la bande dessinée, au point que certaines de ses toiles sont découpées en petits rectangles et racontent une histoire. Ce n’est pas du grand art, mais c’est amusant et en même temps éclairant sur les fantasmes de l’écrivain qui édifie un univers insolite, baroque, peuplé de chats et de courtisanes, traversé de meurtres et de monstres. La drôlerie des légendes, qui s’étirent parfois jusqu’aux dimensions d’un texte court, vient souligner l’humour du peintre qui contraste avec la gravité habituelle de l’écrivain. En voici un exemple :
« Portrait du calita Mash Er Rum et de ses vingt femmes : le Prince des Croyants était si strictement végétarien que ses nombreuses femmes, pour éveiller son désir, feignaient d’être qui une carotte, qui un céleri, qui un chou-fleur et ainsi de suite ; seulement, distrait par le simulacre amoureux, de temps en temps, il les dévorait. »
Je relirai cette année Le désert des tartares et j’attendrai de l’année prochaine un nouveau, un vrai livre de Dino Buzzati.
Gérard KLEIN Première parution : 1/9/1967 Fiction 166 Mise en ligne le : 5/11/2022