Dino BUZZATI Titre original : Il colombre e altri cinquanta racconti, 1966 Première parution : Italie, Milan : Arnoldo Mondadori Editore, avril 1966 Traduction de Jacqueline REMILLET Illustration de Pierre FAUCHEUX
LIVRE DE POCHE
(Paris, France) n° 2535 Dépôt légal : 2ème trimestre 1977 Réédition Recueil de nouvelles, 448 pages, catégorie / prix : 3 ISBN : 2-253-00836-2 Format : 11,0 x 16,5 cm Genre : Imaginaire
Avec Le désert des tartares, beau roman aux accents kafkéens, puis avec L’écroulement de la Baliverna, Dino Buzzati s’était taillé la réputation du meilleur écrivain fantastique italien. Avec Une image de pierre, il avait effleuré, avec un peu moins de bonheur mais tout de même beaucoup de talent, la science-fiction. Je n’ai pas lu ses carnets, parus sous le titre En ce moment précis, mais la critique, pour une fois unanime sur le compte d’un ouvrage insolite, les avait salués avec transports.
Il serait trop injuste de retirer à Dino Buzzati tous ses lauriers sur la foi d’un seul livre médiocre. Car son dernier recueil de nouvelles, Le K., ne vaut pas grand-chose. On n’y retrouve ni la maîtrise glacée de l’expression, l’ironie hautaine, l’élégance subtile, ni l’originalité des idées ou des atmosphères qui faisaient sa réputation. À la place, de petits contes à la morale courte, mal fagotés, bâclés au fil de la plume en tirant et ahanant sur l’inspiration, va comme je te pousse, encore une ligne encore une page encore un texte de bouclé, qui se serrent les uns contre les autres comme s’ils avaient froid et se succèdent interminablement dans cet épais recueil avec la mine ahurie des voyageurs dans un hall de gare. Certes, il y a là une certaine patte, des joliesses, çà et là quatre répliques justes, un dialogue bien balancé, une image plaisante qui retient l’œil, bref, des riens qui chez un Inconnu ou même chez un autre susciteraient l’attention. Pas chez Dino Buzzati.
À cette baisse de forme, il y a une explication. Dino Buzzati, pour vivre, est journaliste. Il travaille au Corriere Délla Sera. À ce digne journal, il donne selon un rythme que je crois hebdomadaire de petits contes. Ce sont des années entières de cette production alimentaire, encore que sans doute plaisante quand elle est absorbée entre les rumeurs de guerre et les faits divers, qui se trouvent empilées, légèrement jaunies, dans ce recueil. C’est dommage. La gloire de Buzzati n’y a rien gagné. Je ne suis pas sûr, encore que je le lui souhaite, que sa fortune s’en trouve augmentée. Son éditeur, en tout état de cause, eût dû faire un tri sévère. Un quart de ces histoires peut-être méritaient d’échapper au pilon. Quant au reste, un oubli miséricordieux aurait pu lui être accordé.
La sortie de ce recueil a été pourtant l’occasion pour nous de découvrir un aspect inattendu du talent de Buzzati. La librairie La Pochade, boulevard Saint-Germain, qui multiplie cette année les initiatives ingénieuses et qui semble porter au fantastique, à l’insolite et à la science-fiction un intérêt particulier, a exposé trente-six toiles et dessins de Dino Buzzati. Il peint depuis quelques années, renouant avec une ancienne vocation contrariée, dans un style curieusement proche du pop-art et de la bande dessinée, au point que certaines de ses toiles sont découpées en petits rectangles et racontent une histoire. Ce n’est pas du grand art, mais c’est amusant et en même temps éclairant sur les fantasmes de l’écrivain qui édifie un univers insolite, baroque, peuplé de chats et de courtisanes, traversé de meurtres et de monstres. La drôlerie des légendes, qui s’étirent parfois jusqu’aux dimensions d’un texte court, vient souligner l’humour du peintre qui contraste avec la gravité habituelle de l’écrivain. En voici un exemple :
« Portrait du calita Mash Er Rum et de ses vingt femmes : le Prince des Croyants était si strictement végétarien que ses nombreuses femmes, pour éveiller son désir, feignaient d’être qui une carotte, qui un céleri, qui un chou-fleur et ainsi de suite ; seulement, distrait par le simulacre amoureux, de temps en temps, il les dévorait. »
Je relirai cette année Le désert des tartares et j’attendrai de l’année prochaine un nouveau, un vrai livre de Dino Buzzati.
Gérard KLEIN Première parution : 1/9/1967 Fiction 166 Mise en ligne le : 5/11/2022