Robert SILVERBERG Titre original : Majipoor Chronicles, 1982 Première parution : États-Unis, Westminster (Maryland) : Arbor House, février 1982ISFDB Cycle : Majipoor vol. 2
Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Dépôt légal : février 1983, Achevé d'imprimer : 21 mars 1983 Retirage Recueil de nouvelles, 320 pages, catégorie / prix : 72 FF ISBN : 2-221-00979-7 Format : 13,5 x 21,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
Majipoor, planète géante, abrite des dizaines de milliards d'habitants, humains, Hjorts, Métamorphes, Vroons, Skandars et autres étrangers. Parce que les métaux y sont rares, la technologie y est presque absente. Mais on y excelle dans les arts et les aménités de la vie.
Jeune saute-ruisseau, Hissune est entré au service du Pontife de Majipoor. Il a accès au Registre des Ames où des millions d'habitants de Majipoor ont déposé au fil de milliers d'années des enregistrements de leurs souvenirs.
II suffit de prendre une capsule, de la glisser dans une fente spéciale et, d'un seul coup, c'est comme si on était devenu la personne qui a fait l'enregistrement.
Hissune en prend une et une autre et une autre encore, et c'est comme s'il voyageait à travers les continents démesurés, les océans interminables de Majipoor, comme s'il explorait les plaines, les déserts, les montagnes, les villes, les palais et les âmes aussi.
Les Chroniques de Majipoor, qui a pour scène le monde du Château de lord Valentin, est le chef-d'œuvre de Robert Silverberg, une œuvre légère, subtile, profonde et simple, Les Mille et Une Nuits de notre temps.
1 - Rafael PALACIOS, Majipoor (Majipoor (map), 1982), pages 6 à 6, carte, trad. Patrick BERTHON 2 - Rafael PALACIOS, Zimroel (Zimroel (map), 1982), pages 7 à 7, carte, trad. Patrick BERTHON 3 - Rafael PALACIOS, Alhanroel (Alhanroel (map), 1982), pages 8 à 8, carte, trad. Patrick BERTHON 4 - Rafael PALACIOS, Mont du Château et Vallée du Glayge (Castle Mount and Glayge Valley (map), 1982), pages 9 à 9, carte, trad. Patrick BERTHON 5 - Rafael PALACIOS, Île du Sommeil (Isle of Sleep (map), 1982), pages 10 à 10, carte, trad. Patrick BERTHON 6 - Prologue (Prologue (Majipoor Chronicles), 1982), pages 11 à 15, prologue, trad. Patrick BERTHON 7 - Thesme et le Ghayrog (Thesme and the Ghayrog, 1982), pages 19 à 62, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 8 - Le Grand incendie (The Time of the Burning, 1982), pages 63 à 82, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 9 - La Cinquième année de la traversée (In the Fifth Year of the Voyage, 1981), pages 83 à 105, nouvelle, trad. Gilles BERTON 10 - Calintane explique (Calintane Explains, 1982), pages 107 à 122, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 11 - Le Désert des rêves volés (The Desert of Stolen Dreams, 1981), pages 123 à 180, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 12 - Le Peintre d'âme et la Changeforme (The Soul-Painter and the Shapeshifter, 1981), pages 181 à 201, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 13 - Crime et châtiment (Crime and Punishment, 1982), pages 203 à 220, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 14 - Chez les interprètes des rêves (Among the Dream Speakers, 1982), pages 221 à 239, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 15 - Une voleuse à Ni-moya (A Thief in Ni-Moya, 1981), pages 241 à 291, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 16 - Voriax et Valentine (Voriax and Valentine, 1982), pages 293 à 310, nouvelle, trad. Patrick BERTHON 17 - Épilogue (Epilogue (Majipoor Chronicles), 1982), pages 311 à 315, épilogue, trad. Patrick BERTHON
Par onze nouvelles, Silverberg revient à Majipoor, la planète géante dont le théâtre avait été dressé pour Le château de Lord Valentin(« Tant de provinces ! Tant de cités ! Les trois continents géants sont divisés, subdivisés et divisés encore en milliers d'unités municipales comptant chacune des millions d'individus... » p. 13). Les textes sont introduits par les indiscrétions de Hissune, un archiviste qui a accès au « Registre des Ames » et peut ainsi revivre une portion de la vie de n'importe lequel des milliards d'habitants de Majipoor, dans le cours de tous les millénaires passés. L'auteur a-t-il cherché à donner de sa planète géante une image plus fouillée spatialement et temporellement qu'il n'avait pu le faire dans son précédent roman ?
Les personnes dont il nous raconte des tranches de vie importantes sont variés : il y a une jeune fille goûtant peu ses semblables (Thesme et le Gayrog), un officier pendant la seule guerre qu'ait traversée Majipoor et qui opposait les colons terriens aux autochtones — les mystérieux Changeformes (Le grand incendie),un marin voulant faire le tour de la planète (La cinquième année de la traversée), un artiste (Le peintre d'âme et la Changeforme), la Voleuse à Ni-Moya, enfin Lord Valentin en personne, mais pour un épisode de sa jeunesse. De la même manière, les décors sont très diversifiés (forêt, océan, ville immense, désert, labyrinthe du palais pontifical), et les époques aussi.
De l'Histoire avec un grand H, alors ? Non. Pas plus qu'une coupe sociologique, Silverberg ne nous offre une vision globale d'un monde si vaste que, précisément, il serait vain d'en chercher la synthèse : l'auteur se contente de piocher ici ou là — et ce pourrait être ailleurs et en d'autres temps que le résultat serait le même... Lisant ces récits, nous écoutons un conteur : « L'histoire qu'il raconte fait partie d'un répertoire qu'il possède à fond et qui est d'ailleurs bien connu de son public... » (Marc Soriano, Guide de la littérature pour la jeunesse, Flammarion). Et ce répertoire, plus encore que les chroniques de la seule Majipoor, fait référence à ce que sait l'auteur de ses lecteurs, de la science-fiction en général, et de l'Aventure en général, avec un grand A cette fois.
Dans un premier temps, certes, on peut être frustré : sur un monde si vaste, il ne se passe pas grand-chose. Mais... « Même dans cette société profondément conservatrice où, tout au long de plusieurs milliers d'années, il y a eu si peu de changements, l'harmonie des Puissances paraît miraculeuse, un équilibre des forces qui doit être d'inspiration divine » (p. 124). Il est vrai que Silverberg a choisi d'ignorer le choc des races et la lutte des classes, pour nous présenter un monde paisible (qui n'a connu qu'une seule guerre dans son lointain passé, et où le meurtre est quasi-inconnu : un seul récit fait état d'une mort violente), où il fait bon flâner, et où l'on peut s'occuper d'autre chose. Doit-on le regretter ? Avec Roland Barthes (« A peine a-t-on dit un mot quelque part, du plaisir du texte, que deux gendarmes sont prêts à vous tomber dessus : le gendarme politique et le gendarme psychanalytique » : Le plaisir du texte.Le Seuil), c'est bien volontiers que (pour une fois ?) je me laisserai voguer dans les flots de ce plaisir, abandonnant à la noyade psychanalyse et idéologie. Comme certainement l'a fait l'auteur, qui pourtant s'y connaît (L'oreille interne, Shadrak dans la fournaise) : « Mais des considérations pratiques prévalurent rapidement contre les subtilités de la moralité »(p. 267).
Ce que Silverberg écrit là d'un de ses personnages, il faut l'entendre pour lui : devant l'énormité de la tâche (la description fragmentée — et fragmentaire — d'un monde), il a abandonné le monde pour observer quelques individus... Puis-je me citer ? J'avais jadis écrit pour Fiction (n° 251), un article intitulé Robert Silverberg ou la crise de l'identité, où j'essayais de démontrer que notre auteur s'attachait à dépeindre des êtres (mais aussi des sociétés) en pleine métamorphose. Il ne fait rien d'autre ici, sans ignorer la dialectique — mais avec une sorte de douceur élégiaque qui correspond bien à la société décrite : Thesme doit avoir une aventure sexuelle sans lendemain avec un Gayrog reptilien pour comprendre que sa place est parmi les siens, le commandant Eremoil doit approcher le Coronal pour se rendre compte que « ce demi-dieu était étiolé et ravagé par ses longues campagnes »,le criminel Haligone et la voleuse Innyana doivent apprendre à accepter leur état qui leur ouvre des portes ignorées, Tisana (Chez les interprètes des rêves)découvre que c'est en elle-même et nulle part ailleurs que réside sa force empathique.
Nous racontant les simples histoires de ces simples gens, Silverberg nous a « beaucoup appris sur la nature de la responsabilité, sur les conflits qui surviennent entre des forces antagonistes dont on ne peut dire de l'une ni de l'autre qu'elle est dans l'erreur et sur la signification de la véritable tranquillité d'esprit » (p. 83). Il nous dit aussi, comme le Coronal Valentin à l'archiviste Hissune : « C'est sur mes ordres que tu as pu accéder librement au Registre (...), pour que tu puisses acquérir une meilleure intelligence de ce qu'est vraiment Majipoor, pour que tu puisses avoir l'expérience de la milliardième partie de la totalité de notre planète » (p. 313).
Nous apprenant ceci et nous disant cela sur le ton nonchalant du conteur, Silverberg, en douce, est allé profond dans les âmes et n'a pas ignoré les mécanismes du pouvoir. Finalement, la psychanalyse et la politique n'étaient pas si loin que ça. Mais c'est pour les avoir abordées sous l'angle biaisé de l'utopie légendaire que l'auteur, loin de toute pesanteur, a rendu notre plaisir si léger. On respire dans son livre, et grâce à cette respiration il est possible que la série d'aquarelles que constituent les Chroniques de Majipoor soit plus durable en nous que la grande fresque à l'huile qu'était Le château de Lord Valentin.