[Critiques des livres suivants :
- Les Robinsons du Cosmos de Francis Carsac, Gallimard, Rayon Fantastique n° 34
- Vuzz... de P.A. Hourey, Gallimard, Rayon Fantastique n° 32
- Raid sur Delta de Jean-Gaston Vandel, Fleuve Noir, Anticipation n° 52
- L'aile de l'abîme de D. H. Keller, Fleuve Noir, Angoisse n° 9]
Quatre semaines à marquer d’une pierre blanche – rien que des auteurs français ! Il est vrai que les ouvrages d’A.S. romancée ont été peu nombreux depuis ma dernière chronique et ceux appartenant au genre « terreur » semblent en voie d’extinction.
C’est aux « Robinsons du Cosmos », de Francis Carsac (Rayon Fantastique, Gallimard), que je décernerai le titre de « meilleur S.-F. » du mois. Le point de départ est original : à la suite d’une collision interplanétaire, un arrondissement de France se « détache » de la Terre (en réalité, l’explication imaginée par l’auteur est bien plus ingénieuse) et se retrouve, avec ses habitants, sur une autre planète dont personne ne sait de quel univers elle fait partie. Bien entendu, nos Robinsons doivent explorer Tellus, nom qu’ils donnent à leur nouveau monde, faire face aux hydres qui le peuplent, combattre les « tigrosaures », tâcher de gagner l’amitié des centaures indigènes… Il y a tout cela et plus encore, raconté de la façon la plus simple, la plus directe, mais aussi la plus efficace qui soit, avec une pointe de malice ici et là. Ce que j’ai surtout aimé dans ces « Robinsons » qui font constamment penser à leur immortel modèle, « Robinson Crusoé », c’est le caractère constructif de l’histoire et le comportement parfaitement humain des personnages. Transplantés dans un autre monde, vous et moi essayerions probablement d’agir de façon identique. Que nous sommes loin, ici, des supermen des westerns de l’espace ! Oui, un bien beau livre et, comme tel, chaleureusement recommandé.
Je ne puis en dire autant, à mon grand regret, de Vuzz, de P. A. Hourey (Rayon Fantastique, Gallimard), dont le sujet, très mince, aurait pu faire une nouvelle, mais nullement un roman de près de 200 pages. L’action se passe en 1980 à Paris et dans les environs. Un aérolithe d’une taille prodigieuse est tombé sur l’Île-de-France, ensevelissant des dizaines de villes et de villages, tuant des centaines de milliers de personnes. Mais les malheurs de nos enfants ne s’arrêtent pas là, car la matière dont est constitué le météore a des propriétés dangereuses : chaque fois qu’un homme s’en approche, on entend un bruit, « vuzz », et une pustule noire marque la victime au visage. Celle-ci sent ses forces décroître et meurt bientôt d’inanition. Le mal, en outre, se révèle contagieux. Deux journalistes et trois savants décident de trouver un remède contre le fléau. Ils réussiront, inutile de le dire. Mais le roman ne finit pas là. Curieux, les journalistes vont à nouveau explorer la gigantesque masse et… Je ne vous révélerai pas le dénouement, me contentant de dire qu’il m’a laissé sur ma faim. Les longueurs abondent et, bien que l’auteur écrive agréablement, son livre n’en dégage pas moins de la monotonie (*).
« Raid sur Delta », de Jean-Gaston Vandel (Fleuve Noir), est un ouvrage d’aventures spatiales. Nous y voyons cinq bandits interplanétaires, fuyant après leur crime, atterrir sur une mystérieuse planète dont les habitants ne mesurent qu’une trentaine de centimètres. Ce sont les descendants des Vitaliens dont l’auteur nous révélait les origines dans sa « Fuite dans l’inconnu ». Deux des gangsters parviennent à s’échapper et à revenir dans notre monde, mais la police les interroge et les autorités terrestres organisent un « raid sur Delta », ce qui nous vaut des scènes assez drôles ayant pour héros un général du type « scrogneugneu », qui ne rêve que de pourfendre l’adversaire quel qu’il soit. Heureusement, les autres membres de l’expédition se révèlent plus sages et finissent par évacuer la planète, d’accord en cela avec les Vitaliens. Tout cela est conté alertement, sans digressions, sans effets inutiles. Vandel va droit au but et c’est avec un vif plaisir que j’ai lu son dernier-né.
L’angoisse ne manque pas dans « L’aile de l’abîme », de D. H. Keller (Fleuve Noir), puisque le roman s’ouvre sur la résurrection d’un mort dans un cimetière, qu’un crime atroce y est commis tous les deux chapitres et que la fin fait penser à une pièce pour le Grand-Guignol. D. H. Keller nous raconte la vengeance d’un mari jaloux qui, peu à peu, sombre dans la folie homicide, aidé en cela par un savant qu’il a réduit à l’état d’esclave-robot. Les personnages ne sont pas très convaincants et les invraisemblances psychologiques sont criardes. C’est néanmoins correctement écrit et force m’est de reconnaître que ce volume est susceptible de plaire à une certaine catégorie de lecteurs.
(*) Ce roman, en fait, aura une suite - ce que l'éditeur a omis de préciser - et le mystère du « Vuzz », posé dans la conclusion, s'y trouvera éclairé (N.D.L.R.).
Igor B. MASLOWSKI
Première parution : 1/6/1955 dans Fiction 19
Mise en ligne le : 31/3/2025