Robert SILVERBERG Titre original : The Longest Way Home, 2002 Première parution : Asimov's Science Fiction, d'octobre 2001 à janvier 2002 / Angleterre, Londres : Gollancz/Orion, mai 2002ISFDB Traduction de Raphaële PROVOST Illustration de Jackie PATERNOSTER
Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Date de parution : février 2003 Dépôt légal : février 2003, Achevé d'imprimer : février 2003 Première édition Roman, 336 pages, catégorie / prix : 23 € ISBN : 2-221-09574-X Format : 13,5 x 21,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
Joseph Keilloran, adolescent, vient d'accomplir en quelques heures d'avion un long voyage entre la Maison de son père, l'un des Maîtres de la planète Patrie, et celle de ses nobles hôtes, les Geften. Il y jouira de tous les privilèges de sa caste.
Car Patrie, ainsi nommée depuis l'arrivée des Maîtres venus de la Terre des milliers d'années plus tôt, est habitée par trois peuples différents. Il y a les Indigènes, les seuls véritables autochtones, qui vivent à l'écart. Il y a le Peuple, d'origine humaine, qui a colonisé une bonne partie de la planète dans des temps immémoriaux. Et il y a les Maîtres, les derniers venus, qui ont assujetti le Peuple — certains disent qu'ils l'ont réduit en esclavage — lors de la Conquête. Un ordre, apparemment immuable, s'est institué.
Mais une nuit, Joseph est réveillé par des explosions. Le Peuple s'est soulevé et a commencé de massacrer les Maîtres. Une servante loyale lui permet de fuir et de gagner les forêts.
Et Joseph comprend qu'il va lui falloir emprunter le long chemin du retour vers la Maison Keilloran, huit ou dix mille kilomètres, à pied, sans aide ni allié. En espérant que la révolte ne s'est pas étendue jusque chez lui.
Il va lui falloir traverser un territoire hostile habité de créatures étrangères, les unes redoutables, d'autres secourables, marcher jusqu'au bout de ses forces, découvrir un monde inconnu et faire l'expérience de la vie.
En tant qu'auteur, Silverberg a eu trois carrières. Une première, comme auteur de récits aventureux destinés aux « pulps », correspondant en France à la production du Fleuve Noir. La seconde, couvrant les années 60/70, dont sont issus les titres cités ci-dessus, l'a vu s'élever au rang d'un très grand écrivain. Globalement, la S-F connaissait alors son apogée et avait les moyens d'ambitions littéraires qui font aujourd'hui défaut. Puis, à l'instar de Barry N. Malzberg, un auteur plus radical, Silverberg cessa d'écrire cinq années durant. Il fit sa rentrée avec Le Château de Lord Valentin pour sa troisième carrière, mi-chèvre mi-chou, qui se poursuit encore avec ce Long chemin du retour. L'inspiration s'est pour beaucoup tarie, le métier est resté : en témoigne le présent roman qui, s'il n'est pas un long livre, n'en est pas moins un tantinet longuet...
Joseph Keilloran, adolescent de la race des maîtres, a été envoyé dans la maison Geften, à l'autre bout de ce monde rural nommé Patrie, pour parachever sa formation de, en quelque sorte, seigneur féodal. Mais voilà qu'éclate la révolution. Tous les maîtres sont massacrés et Joseph n'échappe que de justesse à la vindicte du Peuple. Il fuit à travers bois pour rentrer chez lui, sur le continent Sud, en espérant que les paysans de Patrie ne se soient pas tous unis.
Sur Patrie, outre le Peuple et les Maîtres venus de la Terre en deux vagues de colonisateurs en des temps lointains, la seconde ayant dominé la première, existe plusieurs espèces indigènes qui, bien que faisant une impasse sur les présences humaines sur leur monde, aident néanmoins le héros. Ensuite, il est recueilli par des membres libres du Peuple alors qu'il mourrait d'inanition...
Il ne se passe pas grand chose au cours de ce long voyage pédestre où Joseph est le plus souvent seul ou accompagné d'êtres bien peu communicatifs. D'où la rareté des dialogues et leur brièveté. Là où d'autres, Peter F. Hamilton par exemple, en abusent allégrement pour booster leurs intrigues, Silverberg tombe dans l'excès inverse, avec l'effet inverse. Lent, ennuyeux, soporifique. Un type qui chemine par monts et par vaux ne correspond par vraiment à ce que l'on est en droit d'attendre de la science-fiction.
Bien sûr, ce jeune homme apprend de ce long voyage ; il y acquiert quelque maturité, notamment sexuelle. Mais c'est bien peu. C'est un récit qui aurait pu acquérir une autre dimension hors du champ de la S-F, dans un contexte historique, l'Occupation ou les révolutions française, russe, américaine ou chinoise. Le contexte S-F ne sert à rien ici, si ce n'est peut-être à éviter à son auteur le travail préalable au roman historique.
Robert Silverberg est incontestablement un géant de la S-F, mais ce roman ne contribuera malheureusement en rien à le grandir encore. On préférera sans l'ombre d'un doute les rééditions parues depuis le début de l'année : le recueil Voile vers Byzance chez Flammarion (700 pages de nouvelles choisies pour 25 euros !), La Tour de verreet surtout Le Fils de l'homme, phénoménal chef-d'œuvre datant de 1971 qui suffirait à lui seul à justifier toute l'immense réputation de Robert Silverberg. (les deux au Livre de Poche, éditeur qui fait en ce moment un excellent travail de réédition sur cet auteur 1).
Notes :
1. Effort également mené par le Bélial', qui rééditera Les Déserteurs temporels en novembre prochain et Les Temps parallèles au premier semestre 2004. [NDRC.] (ces deux rééditions ont été finalement publiées en un seul volume titré Time Opéra [Note de nooSFere])
Croit-on donc les fidèles, inconditionnels et autres amateurs éclairés du maître incapables de distinguer un juvenile d'une œuvre « normale » ? Croit-on qu'ils ne vont pas réaliser que les quelques pages qui évoquent — assez finement d'ailleurs — les premières relations sexuelles du jeune héros ont été ajoutées pour que le roman passe en « adulte » (un peu comme un boxeur qui prendrait du poids pour changer de catégorie) ? Comme tout amateur de Silverberg qui se respecte, je me suis laissé emporter par le récit du voyage initiatique accompli par le jeune Joseph Keilloran. Fils de Maître invité chez un de ses pairs, il doit pour rentrer chez lui parcourir la moitié de sa planète : huit à dix mille kilomètres avec le risque constant d'être reconnu par les révoltés. Des révoltés dont on ne saura rien ou presque, excepté qu'ils ont commis des massacres et qu'ils se partagent la planète avec les Maîtres, préférant, on les comprend, un modus vivendi acceptable à l'anéantissement. Par un apprentissage complet de la vie et des autres — il sera déniaisé par une jeune femme qu'en d'autres temps, son statut l'aurait empêché de voir — , Joseph découvre le partage, le don de soi, le sens de l'échange et le respect de la différence. Ces modes de vie, ces valeurs, sont simplement mis en situation et vécus par le héros. Mais ni Joseph ni l'auteur ne les commentent. Joseph se pose des questions et imagine des réponses, mais ne fait pas d'analyse. C'est à nous que Silverberg en laisse le soin, bien sûr sans se priver d'orienter notre commentaire selon que son héros est « heureux » ou « malheureux » des effets de ses découvertes.
Qu'importe que ce roman soit un vrai-faux juvénile s'il est un passeport pour le plaisir de lire. Car il va de soi que c'est comme raconteur d'histoire que Silverberg plaît... Mais attention : des histoires porteuses d'idées — comme ici celle de paix et d'équilibre que l'on retrouve aussi dans le cycle de Majipoor — et d'émotions pour les faire « passer ».
Silverberg est, en France du moins, un auteur qui se vend bien et on peut penser que ce Long Chemin du retour bénéficiera d'un lectorat conséquent et trouvera un écho intense, au moins chez les jeunes lecteurs.