BELIN
, coll. Sujets Dépôt légal : décembre 2001 Première édition Ouvrage de référence, 448 pages, catégorie / prix : 19,80 € ISBN : 2-7011-2930-3 Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
La science-fiction est un genre populaire, en particulier grâce au cinéma En dépit de ce succès, ou à cause de lui, elle est restée marginalisée, voire méprisée par l'institution littéraire Déjà, Jules Verne, le créateur du genre, n'était guère pris au sérieux par ses contemporains La science-fiction merite mieux que cette condescendance, car, au-delà du divertissement, les aventures extraterrestres, le voyage dans le temps et les sociétés imaginaires confrontent le lecteur ou le spectateur aux grandes peurs de l'homme l'autre, la mort, l'avenir, l'inconnu. Ce livre tente d'abord de définir la SF, d'en fixer les frontières, d'en expliquer les origines et l'évolution. Puis il explore les grands thèmes que sont la conquête spatiale, les intelligences artificielles ou les utopies, afin d'en dévoiler l'arrière-plan politique, historique, philosophique et social. Toutes les formes sont abordées : littérature, cinéma, bande dessinée, séries télévisées, arts graphiques...
On trouvera en annexes une imposante bibliographie-filmographie, ainsi qu'une présentation des grands maîtres du genre.
Gilbert Millet est écrivain (romans et nouvelles) et auteur dramatique. Il est aussi le rédacteur en chef d'une revue littéraire, Hauteurs.
Denis Labbé, docteur ès lettres, a publié de nombreux articles en revues ainsi que des recueils de poèmes. Il est également traducteur (anglais).
Ces deux auteurs ont co-écrit deux ouvrages sur le fantastique.
Critiques
Suffisamment rares sont les ouvrages sur notre genre de prédilection pour que nous n'omettions point d'en parler (même avec un an de retard !).
Mais avant toute chose, tâchons de déterminer à qui s'adresse celui-ci.
Certainement pas aux connaisseurs, non, mais plutôt à tous ceux qui veulent savoir ce qu'est cette bête étrange que l'on nomme science-fiction et à qui il apparaît nécessaire ou souhaitable de savoir de quoi il en retourne. Aux profs, par exemple...
Les auteurs commencent par essayer de répondre à la question : « Qu'est-ce que la science-fiction ? » Ils abordent sa dimension anticipative, sa vision technoscientifique et son approche rationaliste, soulignent qu'il s'agit d'une littérature spéculative et non pas prophétique, axée sur l'exploration de divers possibles soumis à condition et non sur une quelconque prédictibilité.
Ainsi, la S-F explore non seulement ce qui pourrait se passer lorsque les E.T. viendront (s'ils viennent, s'il y en a), mais aussi ce qui se passerait s'ils étaient déjà venus, si l'Axe avait gagné la Deuxième Guerre Mondiale, etc.
Les auteurs tentent également de définir la S-F par rapport à des genres voisins avec lesquels on (le béotien) tend à la confondre : le merveilleux, la fantasy, le fantastique, l'utopie, etc. Après quoi ils approfondissent quatre types de S-F : le space opera, la hard science, le cyberpunk et le steampunk.
Cette introduction terminée, nous est proposé un historique du genre, suivi d'une recension des thématiques qui constitue le gros de l'ouvrage. Les auteurs les parcourent, de la conquête spatiale à l'uchronie en passant par les extraterrestres, le voyage temporel, les sociétés futures, mutants, ordinateurs et autres robots, l'impact de la science sur l'homme, la politique, la métaphysique et l'eschatologie, le réel et le virtuel, les univers parallèles. Un dernier chapitre, enfin, est consacré au traitement humoristique. A cette exception près, les auteurs esquivent le débat sur la forme et c'est peut-être dommage.
Le principal défaut de l'ouvrage tient à ce qu'il s'apparente trop à un catalogue de la production de S-F en France. Paradoxalement, c'est aussi ce qui fait sa qualité et révèle combien les auteurs sont des prosélytes qui aiment le genre et connaissent sur le bout des doigts ce qui s'est publié dans l'Hexagone, au point que l'on peut critiquer l'excès de citations. Un auteur actuel et abondant, comme Pierre Bordage, y voisine avec la production plus discrète mais exigeante d'une Sylvie Denis, des space opera oubliés d'un Maurice Limat au Fleuve Noir ou des anciens tels que Rosny Aîné. Du coup, les annexes constituent une autre force de l'essai. Elles sont au nombre de cinq. Un dictionnaire des principaux auteurs avec notices biographiques ; un glossaire pratique des termes spécifiques pour ceux qui n'y connaîtraient vraiment rien ; un répertoire des fort nombreuses œuvres citées (livres, BD et films) classées par auteurs ; un index des notions et un index des noms propres. On déplorera que le répertoire des œuvres ne bénéficie pas d'un renvoi de page et qu'il faille transiter par l'index des noms pour accéder au texte depuis une référence. Il faut aussi noter que seule la production traduite est prise en compte ; le livre fait comme si ce qui n'a pas été traduit n'existait tout simplement pas.
C'est un ouvrage essentiellement descriptif. Pas une œuvre critique. D'une manière générale, les auteurs s'abstiennent de commenter le genre. Ils n'opèrent pas de distinguo entre une S-F animée de véritables ambitions littéraires, tant stylistique que problématique, d'une autre ayant avant tout vocation divertissante (nonobstant le fait qu'il existe de bons divertissements et des spéculations médiocres). On pourra donc considérer comme regrettable qu'un ouvrage destiné en priorité à des béotiens ne demandant qu'à apprendre présente la S-F comme si tout y était intéressant.
Avant de conclure, il nous faut abonder dans le sens des auteurs qui voient depuis 20 ans un certain affadissement du genre, pour ne pas dire un affadissement certain. Le nier reviendrait à adopter la politique de l'autruche. La S-F est un produit culturel des XIXe et XXe siècles où dominait une idéologie de progrès ; elle ne saurait être une littérature du XXIe siècle tel qu'il s'annonce, au mieux conservateur, voir réactionnaire. Ainsi Francis Fukuyama, l'éminence grise (brune) de Reagan qui s'est fendu d'un ouvrage intitulé La Fin de l'Histoire, où il estime le capitalisme indépassable, vient de récidiver avec La Fin de l'Homme, essai ultraréactionnaire sur la bioéthique parce qu'une transcendance de l'humanité représente une menace pour le capitalisme. C'est cette pensée, rigoureusement hostile au concept même de science-fiction, qui aujourd'hui domine totalement le bassin culturel de la S-F, l'Occident. Aussi notre littérature de prédilection est-elle pour l'heure vouée à ressasser les clichés du genre selon un canon politiquement correct, en passant sous les fourches caudines d'un terrorisme intellectuel plus virulent que jamais. Les bons ouvrages spéculatifs, tel Le Feu sacré de Bruce Sterling, sont désormais la portion congrue, très congrue. A l'inverse, foisonnent les ouvrages de fantasy médiévale véhiculant une idéologie féodale et un obscurantisme de mauvais aloi où l'homme est livré à des forces qui le dépassent (sans doute les forces du marché). Difficile d'imaginer un contexte macroculturel moins favorable à la S-F. Il lui incombe néanmoins de porter l'espoir du progrès et d'imaginer un monde meilleur, ne serait-ce qu'en critiquant celui-ci, comme le firent les auteurs des années 60/70.
La Science-Fiction est un ouvrage didactique de base, à caractère essentiellement descriptif, qui ne s'adresse pas au fans chevronnés. Les autres y trouveront un panorama qui pourra leur être utile. Les connaisseurs y puiseront de quoi alimenter leurs querelles de chapelle, opposer moult objections, polémiquer à loisir et animer maintes controverses, mais rien de rédhibitoire qui permette de vouer l'ouvrage aux gémonies.
« Ce livre n'est pas une encyclopédie, encore moins un ouvrage polémique. Il propose un regard objectif. (...) Il essaie de réfléchir sur la SF, ses particularités, sa raison d'être, ses techniques, son développement, à travers des choix de textes, de films, de bandes dessinées et de musiques. »
« Un regardobjectif »... Voilà un pari osé quand on connaît les difficultés qu'ont les amateurs de SF à s'entendre sur ce que recouvre ce terme ! Mais peu importe, car cet ouvrage ne s'adresse pas tant aux passionnés de SF qu'aux enseignants, aux documentalistes, aux étudiants, aux critiques... ou tout simplement aux curieux ! En effet, son but avoué est de « mieux faire connaître le genre », en partant du constat évident que la SF est méjugée car méconnue. Certes ce genre littéraire ne produit pas que des chefs-d'œuvre, mais « pourquoi, s'étonnent-ils, se référer au pire ? Les romans de Guy Des Cars jettent-ils l'opprobre sur Dostoïevski ? » Gilbert Millet et Denis Labbé entendent donc toucher en priorité ceux qui connaissent mal le genre, même si les aficionados peuvent également trouver leur compte.
Un essai débute habituellement par une définition du sujet qu'il aborde... Ce n'est pas toujours simple comme en témoignent les quelque soixante pages nécessaires pour cerner la question dans le chapitre « Qu'est-ce que la science-fiction ? ». Comme d'habitude, on ne peut définir simplement la SF sans discuter de la « vision scientifique » qu'elle propose, de ses liens avec le conte philosophique, de ses frontières avec le merveilleux, la Fantasy, le Fantastique, etc.
La question est si complexe que les auteurs semblent même parfois s'emmêler les pinceaux, par exemple en déclarant d'abord que la Fantasy est « une évolution des épopées antiques » (p.31), puis qu' « aux sources de la fantasy épique se trouvent les épopées médiévales » (p.32), enfin que « la science-fantasy est curieusement l'ancêtre de la fantasy, puisque les premiers récits du genre ont été écrits par Edgar Rice Burroughs » (p.35)...
Cette présentation de la Fantasy — classée ici de façon discutable en trois sous-genres qui seraient le merveilleux, l'épique et la science-fantasy — peut paraître assez confuse. Les auteurs sont plus à l'aise pour parler de la science-fiction proprement dite. Sur ce chapitre, leur discours a le grand mérite d'être très clair, grâce à l'emploi d'exemples précis et au refus de tout jargon universitaire. Les spécialistes y trouveront peut-être à redire, mais le néophyte sortira enrichi de cette lecture, avec une excellente vision d'ensemble des littératures de l'Imaginaire, de leurs convergences et de leurs divergences.
Comme toujours, on relèvera sans doute au passage quelques erreurs factuelles — comme, page 11, l'affirmation que « nul ne saura jamais si la civilisation aux règles magiques dans laquelle évolue Elric le Nécromancien (...) se place avant ou après nous » alors que Moorcock stipule dans son œuvre que la chute de Melniboné est survenue dix mille ans avant notre propre histoire... Heureusement, ces erreurs sont rares et peu signifiantes, puisqu'elles ne modifient pas la teneur du propos : « mais est-ce réellement important ? »
Passons rapidement sur le panorama historique d'une cinquantaine de pages, lui aussi très clair, pour parler des quelque deux cent cinquante pages qui suivent, entièrement consacrées à l'étude des différentes thématiques du genre. Là encore, on est frappé par la remarquable limpidité des propos, qui mettent en lumière l'intérêt des questions abordées par la SF, ainsi que leur actualité et leur pertinence dans notre monde actuel. L'absence d'iconographie est compensée par une « illustration » à l'aide de nombreux résumés, citations et extraits, puisés dans les romans mais aussi dans le cinéma, la télévision ou la BD... Après un tel exposé, il est difficile d'imaginer qu'un lecteur de bonne foi puisse encore s'entêter à dédaigner la science-fiction. Millet et Labbé se montrent convaincus et convaincants, analysant avec justesse et enthousiasme la richesse de la SF, des thèmes les plus classiques (conquête spatiale, voyages dans le temps...) jusqu'aux plus modernes (virtualité, manipulations génétiques...) en passant par des idées ou des approches universelles (Dieu, l'Histoire, l'humour...).
L'ouvrage s'achève sur de courtes notices mettant en relief quelques maîtres de la SF — nous n'en discuterons pas le choix — et d'index des œuvres et des noms cités, dont le nombre témoigne de la culture SF des auteurs, qui connaissent aussi bien leurs classiques anglo-saxons que les SF francophone ou européenne récentes.
Mais, comment ne pas regretter le relatif pessimisme de la conclusion : « Cette merveilleuse machine à conjuguer le rêve et la réflexion s'est enrayée dans les deux dernières décennies du XXème siècle. » (p.381) Une conclusion qui fait écho au dernier chapitre de l'historique, intitulé « Un affadissement ». Sous prétexte que la réalité d'aujourd'hui rejoint les fictions d'hier et que la SF se « dilue » dans les films, la télévision, la publicité ou les jeux vidéo, les auteurs affirment qu'elle « y perd une partie de son âme » (p.125).
Voilà qui est paradoxal ! Hier méconnue, la SF perdrait-elle son âme à diffuser son imagerie ? On a envie de répondre aux auteurs par leur argument liminaire : « Pourquoi se référer au pire ? » Un spot publicitaire science-fictionnant gâcherait-il l'impact d'un roman de Greg Egan ? Doit-on regretter que « la science-fiction intègre la littérature générale » ? Est-il nécessaire de mentionner la disparition de Présence du Futur pour accréditer la thèse d'un déclin sans signaler la création de Folio SF qui a immédiatement repris le flambeau ? Est-il juste de parler d'affadissement — alors qu'un mouvement original comme le cyberpunk ne date que des années 1980 — sans mettre en parallèle l'absence de réelle innovation en littérature générale ?
Il est sans doute dommage qu'en quelques lignes, Gilbert Millet et Denis Labbé semblent sonner le glas d'un genre qu'ils entendent contribuer à sortir du ghetto, mais ce n'est qu'un détail sans grande importance : leur ouvrage est une introduction très complète, un ouvrage de vulgarisation suffisamment passionné, sérieux et approfondi — didactique sans jamais être ennuyeux ni prétentieux — pour captiver le lecteur, d'autant plus que la logique de l'approche thématique rend sa lecture plus facile que celle d'un dictionnaire ou d'un guide.
Voilà enfin un ouvrage que l'on confiera avec profit à tous ceux qui méprisent la SF par simple méconnaissance : il devrait convertir même les plus réticents !
Pour ceux qui l'ignoreraient, Belin est l'un des plus importants éditeurs scolaires en France. La parution d'un tel ouvrage, destiné avant tout aux prescripteurs — enseignants, documentalistes, bibliothécaires, etc. -, n'apportera rien à la poignée de spécialistes de la SF en France. Il serait absurde de le reprocher aux auteurs, car à l'évidence tel n'est pas leur objectif !
Respectivement professeur de Lettres au Centre National d'Enseignement à Distance et docteur ès Lettres, Millet et Labbé dressent avec rigueur et pédagogie un tableau précis du genre. Après avoir tenté de répondre, dans une première partie assez didactique mais fort bien conçue, à la question Qu'est-ce que la science-fiction ?, les auteurs brossent avec précision, dans une seconde partie, un historique du genre, repérant dans Frankenstein de Mary Shelley ou Le Horla de Guy de Maupassant les balbutiements qui annoncent l'apparition de la SF. Les auteurs soulignent aussi, très justement, que ce « qui donne véritablement naissance à la science-fiction, c'est le développement scientifique ».
Parfaitement informés de l'évolution du genre au cours des cinquante dernières années, connaissant bien les auteurs contemporains (Ayerdhal, Eschbach, Evangelisti, Reed ou Simmons par exemple), Millet et Labbé abordent ensuite les thèmes les plus classiques (conquête spatiale, extraterrestres, voyage dans le temps...) puis les plus récents (le réel et le virtuel).
Si l'on voulait vraiment chercher querelle aux auteurs, on épinglerait uniquement leur conclusion en deux pages, qui sent son bricolage, sinon l'exercice imposé : il faut, pour affirmer que « cette merveilleuse machine à conjuguer le rêve et la réflexion s'est enrayée dans les deux dernières décennies du XXe siècle », avoir lu bien peu de SF actuelle ou trop aller au cinéma ! Pour en convaincre Millet et Labbé, nous leur conseillons une lecture plus attentive de Galaxies ! Mais, avouons-le, nous n'avons guère trouvé que cette mauvaise polémique pour éviter de tomber tout à fait dans l'article dithyrambique !
Si l'on cherchait encore un volume à conseiller aux prescripteurs et aux journalistes qui veulent disposer d'un instrument de travail fiable, on dispose désormais de La Science-Fiction de Gilbert Millet et Denis Labbé, l'un des ouvrages les plus pertinents qu'il nous ait été donné de lire depuis bien longtemps. 1
Notes :
1. On saluera avec plaisir l'existence d'un glossaire, d'une liste des œuvres citées et surtout d'un index des noms propres.