Dragons consommateurs de drogues dures contemplant les gratte-ciels atlantes, mondes médiévaux se renversant sur eux-mêmes par l'action d'un phénomène scientifique explicable, l'alchimie exposée aux plus grands et aux plus petits, monstres technologiques s'abattant sans pitié sur des terres de magie, Paris revisité par l'action d'un passé surréaliste de fantasy, représentants de la loi mécaniques en plein far-west, mondes de fantasy et de technologie s'entrechoquant en un fracas universel, batailles navales dont les canons des navires tonnent au son des enchantements élémentaires  : autant d'histoires, autant de manières si différentes et originales de raconter la science-fantasy. Autant de chemins menant droit à la cité démente, merveilleuse, iconoclaste, où s'en vont nicher les sciences et les sortilèges.

     Nicolas Cluzeau n'aime pas les ghettos. Les frontières artificiellement créées entre les genres l'agacent et pour lui, la Science-Fiction et la Fantasy contribuent ensemble et harmonieusement à émerveiller, émouvoir ou faire rire le lecteur, dans un Imaginaire sans cesse renouvelé.

     Tout cela, il nous le prouve dans l'anthologie Sciences et Sortilèges, publiée aux éditions Nestiveqnen. Neuf nouvelles composent ce recueil. Neuf auteurs, neuf univers totalement différents qui ont en commun de dériver aussi bien de la SF que de la Fantasy, et de nous parler de science et de magie. Le résultat est un savoureux cocktail, explosif à souhait, dont l'ingrédient dominant est l'humour, comme si avec le rire et la bonne humeur on pouvait plus facilement concilier les genres. Quelques textes penchent plutôt vers la veine tragique, mais le souffle épique y est trop faible pour qu'ils puissent rivaliser avec les nouvelles de la veine comique.

     L'anthologie s'ouvre avec Le Shérif Mécanique de Ken Rand. Les habitués de la revue Faëries reconnaîtront l'humour décalé du cycle du Lucky Nickel Saloon dans ce texte qui présente un automate d'un genre assez particulier. Il faut attendre la fin pour saisir toute l'originalité de l'histoire et des personnages. Alors un immense éclat de rire secoue le lecteur qui ne peut que se réjouir de la façon dont Ken Rand résout les problèmes. Jean-Jacques Girardot, avec Du Côté penché du Monde, nous emmène dans un monde distinct du nôtre, un monde où les quêtes héroïques font partie du quotidien, ou tout au moins sont considérées comme allant de soi. Un drôle de monde qui penche de plus en plus. Geoffrey parviendra-t-il à prouver sa valeur ? Et que se passera-t-il quand cet univers en rencontrera un autre, un monde où la Science est souveraine ? Les molécules du vivant seront-elles compatibles ? L'amour triomphera-t-il ?

     Saigne Nuit, de Johan Héliot, est un étrange récit où, sur une planète dont la colonisation a été oubliée, se mêlent l'ignorance de nantis qui interdisent l'écriture à ceux qui veulent savoir, et la cruauté de l'expérimentation scientifique.

     L'Affaire des Elfes Vérolés, de Jess Kaan, m'a littéralement fait hurler de rire. Imaginez une histoire de privé à la Philip Marlow, mais où le rôle d'Humphrey Bogart serait tenu par un triton et celui de Lauren Bacall par une centaure. On ne peut qu'être emballé par tous les délires, les clins d'œil aux films comiques — Geoffroy — comme aux livres d'épouvante — les chtoniens et gardiens. Tout en reprenant ses thèmes de prédilection, Jess Kaan nous livre ici une nouvelle d'une grande originalité.

     Alchémie, la nouvelle de Jean-Michel Calvez, dépeint l'horreur d'un Inquisition scientifique, dans un univers parallèle et terrifiant. Le Mont, de Lionel Belmon, nous offre une vision assez réjouissante des relations de la religion avec l'architecture. Saint Michel est le capitaine d'un vaisseau intersidéral paré pour une guerre interstellaire dont il ignore qu'elle est finie. Les fées réussiront-elles à protéger leur monde ? La Quête du Phaal : Ombilical II, de François Darnaudet, est une parodie de la religion d'un tout autre genre. Soit un multivers où coexistent des Paris et des Lutèce. Soit un isolateur flottant au-dessus du Luxembourg, soit l'église Saint-Sulpice, église de tous les supplices... Malthoeu, détective-ingénieur, enquête sur une série de mystérieux vols, viols et meurtres, signés d'artistes depuis longtemps disparus. La quête du Phaal, récipient dans lequel la semence du diable a été recueillie, n'est peut-être pas étrangère à ces affaires.

     Je vous parlerai encore d'une savoureuse nouvelle de Bruno B. Bordier et André-François Ruaud, Au soleil de ses Paroles. Dans un univers où les corps d'animaux remplissent les fonctions de machines, le roi ne veut plus régner. Il se découvre alors d'extraordinaires pouvoirs qu'il ne comprend pas lui-même. Mais sa bru, acariâtre et méprisante à souhait, n'entend pas renoncer au pouvoir. Qu'adviendra-t-il de ce monde ?

     Nicolas Cluzeau conclut le recueil par La Bataille Navale d'Aiguerrand, qui décrit une recontre du troisième type d'un genre particulier. Une nouvelle un peu longue pour ceux que l'épique maritime ne passionnerait pas. Mais qu'importe, le pari de Nicolas Cluzeau est parfaitement tenu. Sciences et Sortilèges réconcilie la SF et la Fantasy sans hésiter à interpeller pour dénoncer les méfaits de l'intolérance. Un grand plaisir de lecture.