La dernière version de la bibliographie d'Isaac Asimov, signée Quarante-deux et Alain Sprauel, comporte 502 titres de science-fiction — romans, recueils et nouvelles confondus. Elle constitue une part non négligeable de l'appareil critique que comportent toutes les entreprises de Jacques Goimard aux éditions Omnibus, et s'avère une mine de renseignements pour l'amateur gourmand. Depuis sa mort à l'âge de soixante-douze ans, on n'a jamais autant vu Asimov à l'étal des libraires. Si l'on peut gloser sur l'intérêt de toutes les séquelles de son œuvre, y compris la nouvelle trilogie due à Benford, Bear et Brin, il vient un moment où il est bon d'organiser un regard rétrospectif, que ces gros volumes semblent concrétiser, et en tout cas faciliter.
En 1991, Omnibus avait déjà consacré au « bon docteur » deux tomes qui couvraient le Cycle des robots. Il était temps de voir Fondation bénéficier d'un travail identique. Sept titres sont repris, et on s'aperçoit combien la trilogie classique apparaît « encadrée » par les derniers romans : Prélude à Fondation et L'Aube de Fondation comme mise en bouche, Fondation foudroyée et Terre et Fondation en tant que conclusion. Excepté qu'Asimov n'a jamais rien conclu...
La productivité de l'auteur, jusque dans ses dernières années, cette œuvre bouillonnante, riche d'imagination, ne peuvent être comprises qu'en gardant présente à l'esprit l'exigence de l'écrivain — la passion de comprendre, mieux : de faire comprendre. Expliquer, prodiguer la connaissance, communiquer clairement, être particulièrement attentif aux gens — même s'ils sont des robots : la quintessence d'Isaac Asimov.
Il croyait que la société doit être organisée : son imagination fut fortement sociologique, attachée aux sociétés autistes (Les Cavernes d'acier) et aux empires proches de l'effondrement (Fondation). L'idée de la psychohistoire, la science destinée à prédire l'évolution historique, montre bien cette vision organisatrice. Mais Asimov n'est en rien un utopiste totalitaire : il ne cesse de respirer la bienveillance envers les êtres humains. Avant la guerre, il fut membre du club new-yorkais des « Futurians », qui rassemblait les écrivains de SF à tendance progressiste, chose assez rare aux États-Unis...
La préface de Jacques Goimard, intelligente et limpide comme à l'accoutumée, tente d'éclairer le cheminement d'écriture du cycle de Fondation à la lumière de l'Histoire, ce qui paraît manifeste a posteriori. Néanmoins, les parallèles tracés entre la confection de la première trilogie et les événements de la Seconde Guerre mondiale, en particulier l'invasion nazie de la contrée d'origine de l'auteur, sonnent avec la justesse de l'évidence. Et il est piquant d'apprendre qu'Asimov n'a lu Toynbee qu'après avoir commencé le cycle ! Ces deux volumes comportent encore de très intéressantes notes d'Asimov lui-même, une chronologie du cycle due à Goimard, ainsi que de nombreux extraits de l'Encyclopedia Galactica.
Asimov manquait, dit-on, du grain de folie ou de l'ampleur philosophique qui fait l'œuvre géniale. Pourtant, cette construction possède bien des facettes et constitue en définitive la folie ultime : une œuvre composée de myriades d'approches du monde, qui autorise des myriades de lectures. Sa volonté d'organisation globale de toutes ses œuvres, qui lui fit raccrocher les robots aux Encyclopédistes et tenter de gommer d'évidentes incohérences, peut faire sourire. Mais nos retrouvailles avec Hari Seldon ou le Mulet sont toujours marquées de ce qui donne un souffle : le caractère épique.
Dominique WARFA (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/3/1999 dans Galaxies 12
Mise en ligne le : 25/6/2000