FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions
(Paris, France), coll. SF n° 64 Dépôt légal : avril 1999, Achevé d'imprimer : mars 1999 Première édition Roman, 448 pages, catégorie / prix : 47 FF ISBN : 2-265-06618-4 Format : 11,0 x 17,5 cm Genre : Science-Fiction
Né en 1961, Michel Pagel est l'auteur de plusieurs romans et recueils relevant de la science-fiction, du fantastique et de l'heroïc fantasy dont Les flammes de la nuit, Les antipodes, Orages en terre de France, Cinéterre et La comédie inhumaine parus au Fleuve Noir. Les connaisseurs le tiennent pour un maître du fantastique moderne et l'une des valeurs les plus sûres de la jeune science-fiction francophone.
Un soldat de l'armée d'Attila, un chevalier maure, une jeune hippie, un cyborg venu d'un lointain futur, un extraterrestre... Comment tous ces personnages peuvent-ils bien se retrouver en France en 1904 ? Ce qui est sûr, c'est que leurs actes risquent fort de changer l'histoire du monde en précipitant le déclenchement de la Première Guerre mondiale... A moins que ne soit rétabli... l'équilibre des paradoxes.
Avec ses paradoxes temporels en cascade dans une Belle Epoque recréée avec soin et fidélité, ce livre entyraîne son lecteur de Paris à Tanger en passant par l'Algérie coloniale et constitue, de par son décor et ses enjeux le premier grand roman « steampunk » écrit par un français.
Critiques
Il ne faut pas se fier au titre, ni à l'illustration de couverture. On n'est pas chez les littératurants : le prélude donné dans Futurs antérieurs l'indique, et le « prière d'insérer » le confirme. D'autant qu'on trouve bien, dans le volume, les personnages annoncés, du Hun à l'extraterrestre. S'il en est qui disparaissent rapidement, d'autres s'ajoutent à la liste, soldat d'une Allemagne dominant l'Europe, savant fou, princesse russe du XVIIIe siècle, etc. ; certains sont dédoublés : on n'est pas volé sur le casting. Et tous se retrouvant en France en 1904, on obtient de beaux sacs de nœuds. Les paradoxes temporels ne se succèdent pas « en cascade », mais ils sont présents, et avec assez d'autres éléments pour empêcher le nez de quitter le livre. La reconstitution historique est aussi fidèle que souhaitable, bien documentée sans jamais prendre le pas sur l'aventure, et si l'événement clé ne fait pas ou plus partie des connaissances moyennes, les informations nécessaires sont présentées sans le moindre didactisme, et par le biais de l'action. De plus, la parole est aux personnages. Deux journaux intimes, des mémoires théoriquement publiés, des cassettes et quelques coupures de presse permettent de varier les points de vue, et de jouer à plein sur le choc des mentalités et des époques. L'auteur peut se laisser aller à une grandiloquence 1900, avec moult clins d'œil au roman-feuilleton, ou à des grossièretés plus contemporaines et bien senties, la logique du récit l'y autorise, il le fait avec une jubilation d'autant plus contagieuse qu'elle non plus ne sacrifie pas le récit. Le choix de personnages du début du siècle, mais ouverts et en avance sur leur temps, permet d'éviter des oppositions qui seraient trop systématiques, et de jouer l'exotisme chronologique sans jamais lasser.
On pourrait faire la fine bouche, considérer que le personnage venu d'un futur moyennement éloigné parle un français trop proche du nôtre, remarquer qu'il n'est pas fait grand usage des accélérations ou ralentissements du temps accumulés vers la fin du volume, penser que, contrairement à l'assaut contre un bordel parisien, l'histoire de pirates doit peu aux nécessités du récit, mais ce sont là des broutilles — autant ergoter sur la coquille de la page 276... Au total, Pagel semble nous donner des ouvrages plus ambitieux qu'auparavant, et toujours aussi distrayants. Qui donc s'en plaindrait ?
Nous sommes en France, début 1904. Raoul Corvin est journaliste à L'Humanité, en une période ou le socialisme est encore bien souvent considéré comme une tare et ses zélateurs des terroristes. Il fait route veis la Bretagne en compagnie d'un couple de ses amis, le commandant Armand Schiermer et sa jeune épouse Amélie. Tout trois sont bien décidés à rencontrer Gilberte Debien, ancienne fiancée de Raoul vivant recluse depuis des mois dans son manoir de Ravanech et ayant coupé les ponts avec tout son entourage après la mort de sa mère et d'une servante, toutes deux sauvagement violées et assassinées. D'autant que le doute n'est plus permis : la pauvre Gilberte a elle aussi été victime du monstre qui a tué sa mère : il semblerait même qu'elle en ai conçu un enfant, une misérable petite créature contrefaite et hideuse. Et puis il y a ces rumeurs étranges colportées par la presse locale, ces meurtres irrésolus, ces apparitions indicibles, cette épidémie de folie incompréhensible... La seule pensée d'une Gilberte isolée dans son immense manoir lugubre, au cœur d'une région en proie à de biens dramatiques événements, suffit à rendre Raoul fou de colère et de douleur. Il doit sauver son ancienne fiancée de cette horreur et tirer les choses au clair, quitte à plonger lui-même dans l'innommable...
Ainsi s'ouvre L'Équilibre des paradoxes : un collage de journaux intimes, une succession de mémoires, de témoignages et d'articles divers ; une ambiance, au début tout du moins, très fantastique et gothique. Et la magie opère dès les premières pages de ce fort gros roman. Pagel s'amuse et le lecteur avec. À peine le temps de dire ouf et vous voilà plongé dans cette France du début du siècle avec un luxe de détails, un réalisme croustillant. Et si l'histoire s'annonce sur le ton du fantastique, l'auteur change de registre avec maestria, l'histoire prend un tour nouveau pour revisiter avec bonheur le thème du voyage temporel et son cortège de paradoxes. On l'a dit, Pagel s'amuse. Et le voici qui trimbale ses héros, une fois réunis suite à de nombreuses mésaventures, aux quatre coins de la France, de Paris à Tanger, d'un univers parallèle à l'autre, du passé au futur et inversement. Ça part dans tous les sens. Les personnages principaux ont des personnalités bien trempées, la galerie des protagonistes secondaires est tout simplement extraordinaire : de la maquerelle parisienne au pirate sans foi ni loi, de l'officier français en poste dans les colonies sous le soleil nord-africain au jeune milliardaire désoeuvré...
L'Équilibre des paradoxes est dans son genre une parfaite réussite. On tremble autant qu'on s'y amuse tout au long de ses 450 pages, lesquelles sont dévorées d'une traite avec plaisir. Roman d'inspiration steampunk (une manière fort à la mode en ce moment) documenté, on y (re)découvre aussi les enjeux mondiaux de ce début du XXe siècle qui conduiront inévitablement à ce que l'on sait.
On savait Pagel un excellent auteur populaire ; il signe ici tout simplement son meilleur roman, un bouquin d'une qualité à laquelle le Fleuve Noir ne nous avait plus habitué. Tout est dit : achetez L'Équilibre des paradoxes.
ORG Première parution : 1/6/1999 dans Bifrost 14 Mise en ligne le : 12/10/2003
À la suite d'une expérience malheureuse, plusieurs personnages anachroniques — parmi lesquels une jeune fille de 1969, une cyborg, une princesse russe du XVIIIe siècle, un extraterrestre... — sont happés en diverses zones de l'espace-temps et précipités dans la Bretagne de 1904. Certains protagonistes existent même en deux exemplaires, dont l'un vient d'un univers parallèle, futur uchronique où l'Europe est sous la coupe d'un Empire Germanique tout puissant. Avec l'aide du roulletabillesque journaliste Raoul Corvin, réussiront-ils à remettre de l'ordre dans la trame temporelle ? Salué en 2000 par les prix Rosny aîné et Julia Verlanger, L'équilibre des paradoxes a été chaleureusement accueilli lors de sa parution au Fleuve Noir (cf. chronique dans nos Lectures du n° 13). Un succès mérité, car si l'intrigue n'apporte rien de véritablement nouveau au thème classique du voyage temporel et des paradoxes qui en découlent, son traitement joyeusement dynamique et savoureusement orchestré ne peut que soulever l'enthousiasme chez les amateurs de feuilletonesques romans d'aventures scientifiques. Composé d'une succession de fragments de journaux intimes, d'extraits de mémoires ou d'articles de presse, d'enregistrements sur cassettes... ce roman change sans cesse de narrateur et donc de point de vue. Ce procédé pourrait s'avérer fastidieux à la longue, mais il est au contraire parfaitement maîtrisé par l'auteur qui parvient à enchaîner ces différents documents sans jamais se répéter ni égarer son lecteur. D'égal intérêt, les diverses versions s'enrichissent aussi bien par leur complémentarité que par leur opposition stylistique et le contraste des mentalités décrites.
Autre qualité, Pagel peint avec beaucoup de sensibilité un tableau réaliste de ce XXe siècle naissant, de cette France où se développe le socialisme et où apparaît le journal L'Humanité, de cette Europe divisée dont la fragilité rend inévitable un conflit armé, quel qu'en soit le facteur déclenchant. Ce réalisme du contexte fait que L'équilibre des paradoxes n'est pas un ouvrage steampunk au sens strict : il s'agit bien de notre Histoire, non d'un passé fantasmé et bouleversé par des technologies en décalage avec l'époque. Si l'auteur y mêle d'improbables et malicieuses péripéties dignes d'Angélique, marquise des anges, on le devine déjà tenté par le roman historique, lui qui écrira plus tard Le Roi d'Août où l'imaginaire et l'ironie se feront plus discrets. Si vous avez manqué la première parution, cette belle réédition illustrée par Guillaume Sorel est une chance de vous rattraper. Sous-titrée « L'intégrale », elle intègre de fait une nouvelle parue antérieurement dans l'anthologie steampunk de Daniel Riche, Futurs antérieurs, construite selon le même principe du collage et où les principaux protagonistes du roman sont confrontés à un rocambolesque gentleman-cambrioleur d'origine extraterrestre. Un grand plaisir de lecture.
Bretagne, 1904. Rien ne va plus. D'étranges individus, dont certains vont jusqu'à tuer, apparaissent : comme ce mongol qui a l'air sorti de l'armée d'Attila ou cette redoutable femme dotée d'un bras en métal. Les gens commencent à vivre dans la crainte, d'autant que la guerre menace avec le voisin allemand.
Heureusement, un groupe de bourgeois de la Belle Epoque se découvre un esprit d'aventuriers et parviendra, au prix de mille difficultés, à préserver la ligne temporelle que nous connaissons.
Car là est le mystère. Un savant du futur a inventé une machine à voyager dans le temps, mais un accident s'est produit lors de son utilisation, projetant en 1904 des êtres issus de différentes époques de l'humanité.
L'équilibre des paradoxes est probablement le meilleur roman français de ce qu'il est convenu d'appeler le courant steampunk. C'est-à-dire des récits de science-fiction prenant pour cadre le XIXe siècle. Ecrit dans le style de l'époque, mélangeant articles de journaux, mémoires, lettres, etc., l'histoire est aussi cocasse que passionnante. Lorsqu'une hippie dépenaillée tente d'expliquer sa philosophie de la vie à une bourgeoise du XIXe corsetée, le choc des langages et des cultures est franchement savoureux. Ce livre se dévore avec délectation. Un pur plaisir. Les amateurs de Gaston Leroux ou de Maurice Leblanc goûteront la prose de Michel Pagel comme un grand cru retrouvé.