Quel est ton nom ? — CIA

Et le tien ? — ITT

Et toi, comment tu t'appelles ? — Moi, je suis le Général de Région. Allez, on boit un coup ensemble et on reparle un peu du Chili !

Ils se sont assis devant les consoles et ont en état d'alerte les Régiments Opérationnels de missiles Pluton — Feu ! Feu ! — Ils ont trinqué et envoyé des messages urgents aux sous-marins CE SOIR LES BOMBES ATOMIQUES FONT LA FETE.

C'est toi qui a écrit tout ça ? — Oui, c'est moi.

Bon, tu nous suis à la Gendarmerie. Enlève tes lunettes, tu vas les abîmer.

Je fais un mouvement pour me frotter les yeux et je prends son poing en plein dans la gueule — l'arcade sourcilière a éclaté j'ai du sang dans la bouche c'est salé — Sur le mur, quand je reviens à moi, je vois la carte de France du nucléaire — Qu'est-ce qu'ils font avec ça, les Flics Noirs ?

COMMUNIQUE : l'armée brise les grèves sur Mars — s'entraîne à la guerre civile un peu au-delà de Vénus — les trusts et l'Etat Major pillent les planètes extérieures et torturent les révoltés — la pieuvre armée emprisonne les espions jaunes sur Mercure — elle expérimente ses Super-bombes dans les cavernes lunaires — 

Mais ici sur Terre tout va bien. Ici l'armée est calme.

     La collection « Ici et Maintenant » mérite son titre : dès la préface « Je me réveille et qu'est-ce que je vois ? Un militaire couché à côté de moi » on se situe dans un montage de textes officiels et de commentaires (à peine) anticipés. On ne renvoie pas à d'autres livres de SF mais à des documents (notes), des hebdomadaires, des groupes engagés dans des combats : pour le Larzac, l'insoumission, etc. Avec adresses et contacts : voir la préface de la nouvelle de J.P. Hubert, une des meilleures de ce recueil. Le texte de SF, dans un environnement pareil, prend des allures de tract, de projection à. peine imaginaire d'un présent toujours mis en relation avec des documents. A la limite de l'agit-prop : mettre en récit, illustrer des points-thèmes que la table des matières présente. Les 7 % de pertes autorisées, l'arme nucléaire, l'arme coloniale, les femmes à l'armée... Les titres des nouvelles sont tout aussi programmatiques : Durand « Comment ça se passe quand la guerre menace », Muriel Favarel « Fabricia t'aurais mieux fait d'épouser un légionnaire ». Ajoutons le dessin de couverture, de G. Ramaioli, sorte de Hells-angel indéfinissable, armé d'une sorte de laser futuriste : une des rares marques extérieures qui rattachent ce livre à la SF.

     Les textes eux-mêmes sont conformes au programme annoncé : ils illustrent de manière volontairement plate, l'horreur quotidienne, le désespoir dans un univers militarisé. Aussi rencontre-t-on de nombreux gradés, courtelinesques malgré l'horrible ; et tout civil est une victime, en gros ; en détail, un objet de plaisir, d'où le nombre important de viols, variés, mais centraux. Cet aspect répétitif finit par créer un climat nauséeux, obsédant, ce qui est à l'évidence le but recherché.

     Néanmoins j'ai été surtout sensible à des textes un peu marginaux par rapport à cette norme du recueil. Celui de Ferran, qui réinvente une Afrique où la magie renverse les pions du jeu que les grandes puissances avaient établi ; J.P. Hubert : un récit « à l'ancienne » avec tout juste ce qu'il faut de « new look » pour pimenter ; le duo Douay/Blanc où la démence est atteinte, avec ce duplicateur enfoui qui se dérègle, et ce paysage qui se pustule (Adieu, mon souvenir plein de ces genêts de juillet, dans la montée du col du Bel Homme ! Juste après Bargemon) : une fin splendide ! Jeury tout en nuances dans l'humour ; Benoist Janin, avec une nouvelle loufoque, style Woody Allen à l'armée ; à ceci près qu'il s'agit d'un commando antimilitariste. Ici, dans ces textes « pas d'envolées lyriques, pas de diatribes injurieuses, pas d'analyses réellement ( ?) politiques » comme le dit le présentateur. Je dirai que c'est peut-être à cause de cela que ces textes me paraissent plus efficaces que les autres. Même si le public visé ne constitue qu'une frange des amateurs de SF et que le recueil manifestement s'adresse à des « militants » (surtout « sauvage » et « libertaires »).