DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : septembre 2004 Recueil de romans, 880 pages, catégorie / prix : 29 € ISBN : 2-207-25623-5 Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Êtes-vous cablé ? Comme Cowboy, l'ancien pilote de chasse aux yeux sensibles aux infrarouges ; comme Sara toujours prête à se débarrasser de ses ennemis en utilisant le cybercobra lové dans sa gorge ; comme Reno, décédé mais toujours vivant dans l'interface ? Si ce n'est pas le cas, comment espérez-vous survivre à la menace que représentent les orbitaux ?
Le cycle de Cablé — deux romans, deux longues nouvelles, réunis ici sous le titre Cablé + — est l'une des œuvres majeures du cyberpunk, un western orbital et informatique dénué de temps morts, écrit quinze ans avant la trilogie Matrix.
Walter John Williams, né en 1952 dans le Minnesota, est l'auteur de plusieurs romans remarquables tels Sept jours pour expier, Plasma et Les Joyaux de la couronne.
1 - Câblé (Hardwired, 1986), pages 9 à 407, roman, trad. Jean BONNEFOY 2 - Perspective érogène (Erogenoscape, 1991), pages 409 à 449, nouvelle, trad. Gilles GOULLET 3 - Solip : système (Solip:system, 1989), pages 451 à 506, nouvelle, trad. Gilles GOULLET 4 - Le Souffle du cyclone (Voice of the Whirlwind, 1987), pages 507 à 864, roman, trad. Jean BONNEFOY 5 - Alain SPRAUEL, Bibliographie des oeuvres de fiction de Walter Jon Williams, pages 865 à 871, bibliographie
Critiques
Câblé est sans doute l'un des romans les plus emblématiques du cyberpunk. Tout y est : le futur davantage gouverné par les grandes transnationales — ici, des colonies spatiales — que par les pays, les autoroutes de l'information, les connections hommes-machines par le biais de broches implantées dans le crâne, le rythme frénétique du récit... De quoi conférer à ce livre le statut d'incontournable des années 80. Sur le modèle de Schimastrice +, de Bruce Sterling (autre classique du genre), Lunes d'Encre propose ici un omnibus reprenant les deux romans et les deux nouvelles de ce cycle. Toutefois, les textes peuvent se lire indépendamment les uns des autres, sauf « Solip : système », nouvelle reprenant le personnage de Reno, déjà second rôle dans Câblé. Ce texte, lu séparément dans Bifrost, m'avait paru sans grand intérêt. Il prend en revanche tout son intérêt lorsque lu après le roman, quand on a bien en tête les rapports entre les différents protagonistes. L'esprit de Reno est injecté dans le corps de Roon, un vieillard grand patron pédophile. Lorsque Reno prend conscience du regard que les autres portent sur Roon — du dégoût, fatalement — la nouvelle est proprement glaçante.
« Perspective érogène » est un texte sans grand intérêt : il montre l'une des utilisations potentielles de l'interfaçage homme-machine poussé à l'extrême. Un médecin est chargé de faire une opération esthétique d'envergure sur une starlette, Babette, afin de donner à celle-ci les moyens de vivre le plus intensément possible sa sexualité ; comme Babette est entièrement modélisée numériquement, il peut s'entraîner à sa guise sur le modèle virtuel de la star.
Nettement plus intéressant est Le souffle du cyclone, second roman de cet omnibus, une suite indirecte de Câblé. L'action se passe dans le même univers, mais bien plus tard, alors que la domination des colonies spatiales sur la Terre s'est un peu assouplie. On suit le personnage de Steward, le clone d'un soldat décédé quelques mois auparavant. Toutefois, celui-ci n'ayant plus fait de sauvegarde de sa personnalité depuis une dizaine d'années, Steward est confronté à un problème : tout le monde lui parle d'actes qu'il a commis durant la dernière décennie, alors que lui n'en a aucun souvenir... Il va peu à peu les reconstruire, et découvrir qu'il se doit d'accomplir sa vengeance avant qu'il puisse vivre par lui-même plus que procuration de la vie d'un autre.
Câblé + est ainsi une réédition appréciée, car rendant disponibles deux romans majeurs du mouvement cyberpunk, accompagnés de deux nouvelles dont une au moins vaut le détour, et d'une bibliographie signée Alain Sprauel complète pour qui veut en savoir plus sur Walter Jon Williams, auteur toujours intéressant.
Au terme d'une guerre d'indépendance, les stations orbitales ont asservi la Terre et continué à en épuiser les dernières ressources. Dans une Amérique du Nord désormais morcelée en petits états indépendants, la circulation des marchandises est soumise à des taxes si lourdes que le marché noir est un business lucratif. Le mercenaire Cowboy parcourt le continent pour passer le « courrier », c'est-à-dire n'importe quoi d'illégal. Comme au bon vieux temps du Pony Express, il fonce à toute allure, dans un panzer surarmé avec lequel il fait littéralement corps : il est « câblé », le cerveau directement interface avec la machine...
Câblé + est un lourd pavé de huit cent quatre vingt pages qui regroupe avec ses « suites » un des romans emblématiques du cyberpunk. Paru en 1986, soit deux ans après le Neuromancien de Gibson, Câblé (Hardwired) n'est pourtant rien d'autre qu'un western : le nom du héros annonce d'ailleurs clairement la couleur. Mais il s'agit d'un western relooké avec l'esthétique cyberpunk, alors toute récente : le « câblage » qui dote l'être humain de prolongements mécaniques ou cybernétiques — comme Sarah, la tueuse qui possède un cybercobra lové dans son oesophage, toujours prêt à frapper — , le réseau, les multinationales (« policorpos »), l'omniprésence des marques déposées, notamment japonaises, autant d'éléments qui se sont imposés comme des caractéristiques du genre. Au lieu d'un futur policé et sous contrôle, Walter Jon Williams décrit un univers redevenu aussi sauvage et violent qu'au temps de la conquête de l'Ouest, les missiles en plus. Il y situe une intrigue aux ressorts politiques où il s'agira pour Cowboy de découvrir qui manipule ce marché parallèle. Avec le recul, l'imagerie déployée par ce roman s'est évidemment banalisée, mais Câblé + demeure un roman d'aventures survolté et efficace, que l'on peut considérer comme un « classique » du cyberpunk.
La nouvelle qui suit, Perspective érogène, seule partie inédite de l'ouvrage, date de 1991 et n'a guère de rapport avec Câblé, même si, « par commodité », l'auteur situe l'action quinze ou vingt ans avant Solip : système. La simulation virtuelle du corps d'une star est utilisée par un chirurgien esthétique afin de répéter les interventions qui rendront son nouveau clone « parfait ». Ne risque-t-on pas un détournement de l'usage de cette simulation ? La réponse réside dans ce texte remarquable qui met en scène le culte du corps, de son image, de son remodelage et de sa possession fantasmée.
Déjà publiée dans Bifrost en 2001, la seconde nouvelle de cette intégrale, Solip : système (1989), constitue la seule vraie suite de Câblé +. On y retrouve l'un des personnages du roman, Reno, la personnalité numérique qui a été projetée dans le corps de Roon, l'un des chefs des orbitaux, pour essayer de combattre ceux-ci de l'intérieur. Mais Roon est un dingue sadique : dans quelle mesure Reno va-t-il pouvoir s'acclimater et ne risque-t-il pas d'être contaminé ? Une belle mais très noire réflexion sur l'identité.
Enfin, Le Souffle du cyclone (1987), est une fausse suite. En effet, dans un commentaire à la précédente nouvelle, l'auteur explique comment son éditeur l'a cyniquement convaincu de modifier quelques détails insignifiants de son nouveau roman, sous prétexte que « les suites se vendent mieux ». L'histoire se situe donc environ un siècle plus tard. Quand Steward se réveille, il se découvre être le clone d'un soldat mort sur la planète Sheol. Faute d'enregistrement récent de l'original, sa mémoire a un trou de quinze ans et il doit réapprendre qu'entre-temps l'homme a découvert des planètes pleines d'artefacts extraterrestres, que les « policorpos » se sont alors lancées dans une guerre à outrance pour en prendre possession, que les Puissances — les extraterrestres qu'on croyait disparus — sont revenues, etc. Mais Steward veut avant tout savoir ce qui s'est passé sur Sheol et dans quelles conditions il est mort, ce qui va le mener bien plus loin que prévu... Plus ambitieux que Câblé +, ce second roman est aussi un peu plus fouillis, mais l'aventure et le suspense lié au procédé classique du héros amnésique emportent facilement l'adhésion du lecteur. En fin de compte, et bien qu'essentiellement composé de rééditions, ce fort volume sera, pour ceux qui ne connaissent pas déjà ce cycle, une excellente occasion de découvrir tout un pan du cyberpunk et du talent de Walter Jon Williams — dont mon roman préféré demeure toutefois Sept jours pour expier (cf. critique in Galaxies n°24).