DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : novembre 2004 Recueil de romans, 848 pages, catégorie / prix : 30 € ISBN : 2-207-25429-1 Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
« Que ce soit en ce jour de l'été 1960 (ça l'était) où j'ai ouvert mon premier Jack Vance, ou en une quelque autre saison de cette insignifiante et avant-dernière année américaine de 1962, j'ai découvert dans cette œuvre une prose inégalée et la poésie de la science-fiction, me condamnant alors, non seulement à tenter d'écrire un jour dans le même domaine que ce Maître des Dragons, mais aussi à essayer de jouer les notes simples dont ce maestro faisait de si parfaits concertos et des symphonies aériennes semble-t-il faciles. S'il était Mozart, je ne serais que son Salieri, peut-être, mais je savais que j'avais rencontré le matériau idoine, la sensation exacte, la vraie poésie, et un motif de continuer d'aimer la science-fiction bien après l'adolescence, la fac et mes années d'apprenti écrivain. »
Dan Simmons.
Né en 1916 à San Francisco, Jack Vance fait partie des bons génies de la science-fiction, partageant volontiers le panthéon des bâtisseurs d'univers avec Robert Silverberg et Frank Herbert.
1 - Gilles DUMAY, Avant-propos et remerciements, pages 7 à 9, préface 2 - Pas de veine (Hard-Luck Diggins, 1948), pages 13 à 30, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 3 - Un raccourci pour Sanatori (Sanatoris Short-Cut, 1948), pages 31 à 54, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 4 - L'Immonde McInch (The Unspeakable McInch, 1948), pages 55 à 80, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 5 - Les Sardines de qualité inférieure (The Sub-Standard Sardines, 1949), pages 81 à 113, nouvelle 6 - Les Butors hurlants (The Howling Bounders, 1949), pages 114 à 139, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 7 - Le Roi des voleurs (The King of Thieves, 1949), pages 140 à 164, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 8 - La Spa des étoiles (The Spa of the Stars, 1950), pages 165 à 193, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 9 - Le Cycle infernal (Cosmic Hotfoot / To B or not to C or to D, 1950), pages 194 à 224, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 10 - Les Guerriers kokods (The Kokod Warriors, 1952), pages 225 à 272, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 11 - Coup de grâce (Worlds of Origin / Coup de Grâce, 1958), pages 273 à 302, nouvelle, trad. Brigitte MARIOT 12 - La Vie éternelle (To Live Forerver / Clarges, 1956), pages 303 à 557, roman, trad. Gilles GOULLET 13 - Emphyrio (Emphyrio, 1969), pages 559 à 840, roman, trad. Jean-Pierre PUGI
Critiques
Arracher les masques
Emphyrio & autres aventures contient deux romans introuvables du classique Jack Vance. Mais le recueil s'ouvre sur l'intégrale des aventures de Magnus Ridolph, ce drôle de détective barbichu qui n'est pas un justicier, mais résout des énigmes — autant de petites friandises à déguster — pour boucher le trou toujours béant de ses finances. Nul aigrefin n'échappe à ce fin connaisseur des mœurs extraterrestres, lointain parent de l'inspecteur Columbo.
A travers le combat d'un immortel déchu, Jack Vance pose une question dérangeante dans La vie éternelle, où seules les personnes que la société a reconnues méritantes obtiennent l'immortalité : le système ne serait-il pas perverti par ceux qui possèdent les leviers du pouvoir ?
Emphyrio explore à son tour le combat d'un homme contre un système totalitaire caché sous les apparences d'une société idéale.
Les bénéficiaires, artisans laborieux, assurent le train de vie des seigneurs oisifs. Les agents du Service de Protection Sociale sont chargés de faire respecter les règlements.
Un spectacle de marionnettes qui conte l'histoire d'Emphyrio, une figure christique légendaire, donne à Ghyl Tarvoke l'idée d'une vie meilleure. S'écartant du droit chemin, il comprendra et révèlera une vérité surprenante qui modifiera en profondeur sa société natale.
Passé maître dans l'art de décrire des sociétés très élaborées avec un grand luxe de détails, Jack Vance, dans ces trois œuvres, a entrepris d'arracher les masques qui recouvrent aussi bien les êtres que les sociétés.
Joli coup double chez Denoël qui publie simultanément deux forts volumes réunissant des écrits de Jack Vance difficiles à trouver de nos jours. Cette entreprise de réédition de textes s'inscrit dans un mouvement mené aussi par les éditions du Bélial et chez Gallimard, preuve que l'œuvre de ce géant de la littérature de science-fiction est à classer sur les rayons des classiques. Emphyrio & autres aventures contient deux romans : La Vie éternelle et Emphyrio. Mais le recueil s'ouvre sur l'intégrale des aventures de Magnus Ridolph, ce drôle de détective barbu, qui résout des énigmes en premier lieu pour boucher le trou sempiternellement béant de ses finances. De qualités inégales, ces récits sont parfois d'une naïveté qui contraindrait tout lecteur adulte à lâcher de suite le bouquin. Mais, il faut tenir compte de la date à laquelle ces récits ont été écrits (les années cinquante), de l'humour avec lequel ils sont enduits et surtout de la méthode d'enquête du petit barbichu. Grâce à sa fine connaissance des faits scientifiques et des mœurs extraterrestres, Magnus Ridolph découvre l'assassin presque immédiatement ; la progression du récit sert à confirmer son hypothèse. Tout l'intérêt est là. Le lecteur, tel un spectateur de théâtre, assiste à la mise en scène que Magnus Ridolph installe pour démasquer le criminel, et découvre ainsi, à petites doses, la clé de l'énigme. Les enquêtes de Magnus Ridolph, ce détective qui n'est pas un justicier, ce lointain parent de Cugel l'astucieux, autre héros de Jack Vance, sont ainsi autant de petites friandises à déguster. Mmh, les guerriers kokods...
À Clarges, des scientifiques ont découvert le secret de la vie éternelle. Mais elle n'est pas accordée à tout le monde. Seules les personnes que la société reconnaît méritantes obtiennent l'immortalité. Tâche ardue, car il faut franchir cinq paliers pour y parvenir. Les gens passent donc leur temps à essayer de « gagner de la pente », en travaillant comme des fous ou en recherchant des astuces pour atteindre au plus vite le dernier seuil. Celui qui n'y parvient pas à temps se voit éliminer par des assassins officiels.
Gavin Waylock, qui se prétend « gluron » au début du récit — les « glurons » sont des gens qui refusent de participer au système, le cours de leur vie s'écoule alors naturellement — est en réalité un immortel déchu, un banni, un criminel en fuite qui ne songe qu'à retrouver son statut légal. À travers son combat, Jack Vance étudie de près la question de l'égalité. Est-il juste que certaines personnes deviennent immortelles et d'autres pas ? Le système ne serait-il pas perverti par ceux qui possèdent les leviers du pouvoir ? L'homme est-il condamné à se battre pour assurer sa (sur) vie ?
La vie éternelle fourmille d'idées originales, de décors somptueux. Quelle créativité, quelle inventivité verbale, chez Vance ! Images, formes et couleurs se succèdent en une cascade d'impressions visuelles fortes. La force du récit tient dans la description des décors et des règles de vie de cette autre planète. Car les dialogues sont souvent faibles et les péripéties naïves. Cela étant, le combat de Gavin Waylock aura pour conséquence de briser un système répressif pour établir une société plus égalitaire.
Emphyrio explore à peu près le même thème. Celui du combat d'un homme contre un système totalitaire caché sous les apparences d'une société idéale. À la différence près que c'est un texte d'une qualité supérieure.
Ghyl Tarvoke est le fils d'Amiante, un habile sculpteur sur panneaux de bois. Dans la ville d'Ambroy, la société est divisée en deux : les bénéficiaires travaillent comme artisans. « (...) nous dépendons pour vivre du commerce, et nous garantissons que tous nos articles sont faits main. Duplication, moulage et reproduction par gabarit sont par conséquent interdits. ». Les agents du Service de Protection Sociale sont chargés de faire respecter les règlements. La vie est dure pour les artisans, éternels assistés, qui nourrissent par leur labeur les seigneurs, nobles oisifs qui vivent de leurs rentes.
Un spectacle de marionnettes qui conte l'histoire d'Emphyrio, une figure christique légendaire, donne pour la première fois à Ghyl, encore enfant, l'idée que la vie pourrait être meilleure. Il n'aura de cesse de s'identifier à ce personnage et de chercher la vérité sur son destin. Ce faisant, Ghyl Tarvoke va s'écarter du droit chemin, errer dans les marges, fréquenter les seigneurs et devenir un pirate. Jusqu'au moment où il comprendra et révélera une vérité surprenante qui modifiera en profondeur sa société natale.
Dans ce puissant récit, l'inventivité est à nouveau à l'honneur. Vance décrit des sociétés très élaborées avec un grand luxe de détails. Ici, par exemple, il y a cinq systèmes d'écriture différents dont il précise les particularités. La religion est basée sur des sauts rituels. La richesse des trouvailles, la poésie des noms, la verve et la fertile imagination, tous ces éléments confèrent aux récits de Vance une épaisseur qui fait que le lecteur se laisse prendre au jeu.
Les trois œuvres ont ceci en commun qu'elles font référence au théâtre. Dans toutes, le masque recouvre aussi bien les êtres que les sociétés. Pour notre plus grand plaisir, Jack Vance a entrepris de démasquer les marionnettes et de faire tomber les décors.