BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France) Dépôt légal : mars 2006, Achevé d'imprimer : mars 2006 Roman, 432 pages, catégorie / prix : 22 € ISBN : 2-84344-072-6 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Science-Fiction
L'Argonos est un monstre de métal. Un vaisseau démesuré qui nourrit en son sein des milliers d'êtres humains depuis des générations. Nul ne sait plus dans quel but, nul ne sait plus pour quelle destination. L'Argonos erre d'étoile en étoile, mais pour y trouver quoi ?
Bartolomeo Aguilera est un monstre de chair. Contrefait, sans bras, enferré dans un exosquelette, mais doté d'une intelligence hors du commun. Conseiller du capitaine Nikos Costa, il sera ses yeux au sein de l'équipe d'exploration d'Antioche, une planète depuis laquelle l'Argonos a capté une transmission probablement humaine. Une colonie ? Sans doute. Mais aussi un carnage, des centaines de corps pendus à des crochets comme de vulgaires morceaux de viande.
Que s'est-il passé sur Antioche ? Pourquoi une telle atrocité ? Et surtout, commise par qui ?
Né en 1954 à San Jose, Californie, Richard Paul Russo fait ses débuts en science-fiction en 1986 dans Isaac Asimov Science Fiction Magazine. En quelques mois, son nom figure au sommaire de toutes les meilleures revues américaines. Son premier roman, Inner Eclipse, paraît en 1988, suivi un an plus tard de Subterranean Gallery, qui rafle le prestigieux prix Philip K. Dick. Suivront la trilogie de Carlucci, un thriller futuriste d'une rare noirceur, puis La Nef des fous, space opera métaphysique et brutal, lui aussi salué par le prix Philip K. Dick en 2001. Son tout dernier roman, The Rosetta Codex, est paru en fin d'année 2005 aux Etats-Unis.
Critiques
Personne à bord n'est assez vieux pour se rappeler depuis combien de temps l'Argonos erre dans l'espace. Depuis des générations il va, il est, même son passé a disparu. C'est pourtant une véritable société qu'il transporte à son bord, plusieurs milliers de personnes dont Bartolomeo, le narrateur, vivant uniquement grâce au soutien indispensable d'un exosquelette. Il est le conseiller du capitaine Nikos et fait figure d'électron libre dans ce vaisseau où la société est fortement hiérarchisée : soutiers et travailleurs manuels en bas, Église toute-puissante avec son évêque en haut. En cas de crise, celui-ci acquiert une influence considérable. Aussi quand, pour la première fois depuis quatorze ans, l'Argonos aperçoit une planète inconnue, l'évêque prend-il les devants et la baptise Antioche. Pourtant, sur cette terre promise, c'est l'horreur qui s'offre au petit groupe parti en reconnaissance : des corps mutilés, dépecés, des rivières de sang et de cadavres sur une planète déserte. Le Conseil décide de fuir ce cauchemar mais les soutiers aspirent à la terre ferme et fomentent une rébellion : ils vont quitter le vaisseau pour s'installer sur Antioche, Bartolomeo à leur tête. Mais ils sont découverts et Bartolomeo enfermé, pour être bientôt relâché car le capitaine a besoin de ses conseils : on a détecté la présence d'un autre vaisseau dans l'espace. L'événement ne s'est jamais produit et la prudence est de rigueur : ami ou ennemi ? Humains ou aliens ? Bartolomeo fait encore partie de l'équipe qui doit explorer l'engin spatial. Tout y semble mort, abandonné. Mais bientôt des accidents mortels ponctuent l'exploration et des voix s'élèvent pour que, malgré cette exceptionnelle rencontre, les recherches cessent.
Jamais l'existence de l'Argonos ne sera justifiée, jamais on ne saura ce que ces milliers d'hommes et de femmes font dans ce vaisseau depuis des générations. Pas plus qu'aujourd'hui nous ne savons ce que quelques milliards d'humains font sur une planète nommée Terre et vers quoi ils tendent. L'Argonos n'a pas de passé, pas d'archives et pas de mémoire. L'Argonos n'a pas de but, si ce n'est celui d'être et de rester en vie. Il s'interroge parfois sur sa présence dans l'univers, jamais sur son existence. C'est Bartolomeo, ce philosophe cynique et souffrant qui met en marche le doute, et donc la crise. À vouloir donner un autre statut à l'homme, il ébranle les fondations de cette société sclérosée jusque dans ses institutions les plus anciennes. Et quand la peur s'y insinue, c'est le lecteur qui tremble car Russo sait soigner ses effets. Il y a à la fois de l'Alien et du Dan Simmons dans cette écriture qui installe l'angoisse en quelques paragraphes. Aussi bien sur Antioche que dans le vaisseau alien, c'est avec appréhension que l'on suit l'avancée macabre des explorateurs et que l'on sursaute à chaque fois qu'ils ratent une marche. Au thème classique du méchant extraterrestre caché, Russo apporte sa pierre qui, si elle n'atteint pas la maîtrise de ses prédécesseurs, n'en est pas pour autant à oublier. Russo sait bâtir des atmosphères confinées, des personnages cohérents à la personnalité riche, parfois imprévisible. Enfin il a ramassé en un tome ce que certains font traîner sur trois, gagnant ainsi en efficacité. Ainsi la destinée de l'Homme prend-elle des airs de suspense hitchcockien à la sauce space op'. Bien plus profond que la plupart des romans du genre actuellement, cette Nef des fous et ses méchants aliens vous embarquent, et vous ne les quittez plus.
L'Argonos est un vaisseau qui navigue au hasard depuis des siècles. Depuis la Répudiation et la destruction de ses archives, nul ne sait quand ni pourquoi il a été fondé. Officiers et clergé — catholique romain — s'y disputent le pouvoir, tandis que l'équipage des soutiers trime sans espoir. Alors que le capitaine tente de maintenir son autorité et que l'Evêque rêve d'évangéliser de nouvelles planètes, on découvre une nouvelle terre dont les habitants ont tous été massacrés.
Après cette première partie transposant simplement un roman d'aventures maritimes dans l'espace — y compris la mutinerie — , La Nef des fous s'oriente vers un thème science-fictif des plus classiques : suite à un signal radio (cf. 2001), l'Argonos découvre un mystérieux vaisseau extraterrestre, qu'il faudra explorer (entre Rendez-vous avec Rama et Alien, le huitième passager).
Bien que récent, La Nef des fous n'apporte ainsi rien de neuf au bon vieux space opera. Il s'agit avant tout d'un roman d'aventures et de suspense, suffisamment habile pour maintenir le lecteur attentif alors même que les diverses péripéties qui émaillent le récit sont aussi prévisibles que son dénouement expéditif. Le résultat est distrayant, d'autant plus facile à lire que l'auteur évite tout jargon science-fictif et toute idée potentiellement exotique. La religion officielle du vaisseau ne présente par exemple aucune différence notable par rapport à l'église occidentale du XXe siècle et les quelques réflexions sur l'existence possible de Dieu et sur le libre-arbitre de l'humanité ne dépassent pas le niveau d'une première année de catéchisme. Quant au héros, Russo en fait un être contrefait à la Quasimodo, mais sans réelle profondeur. Bref, le lecteur demeure constamment en terrain connu.
Au final, La Nef des fous ne demeure qu'un roman d'aventures sympathique. Certes, on passe un fort bon moment à sa lecture, mais, une fois le livre refermée, il ne reste qu'une sensation de gentille vacuité.
Depuis des centaines d'années, l'immense vaisseau Argonos sillonne l'espace à la recherche de la Terre Promise, du moins c'est à ça que son errance ressemble. Deux cent soixante-quatorze ans après la Répudiation, épisode de peste meurtrière durant lequel furent perdues les archives informatiques, le vaisseau tombe sur un signal radio qui le guide jusqu'à une colonie humaine visiblement à l'abandon, une planète habitable que l'évêque de l'Argonos s'empresse de baptiser Antioche. Là, Bartolomeo Aguilera, le narrateur, et son équipe d'exploration se heurtent à l'insensé, insensé qui va bientôt rebondir vers un abyme plus renversant encore... et que je vous laisse découvrir par vous-même, tant l'attente est un des ressorts essentiels de ce volumineux roman.
La Nef des fous, qui évoque Rendez-vous avec Rama et le film de Ridley Scott Alien (cette référence-ci étant particulièrement assumée, y compris dans le vocabulaire utilisé par les protagonistes), se lit comme un thriller. A aucun moment la tension ne faiblit : le lecteur tourne les pages, que ce soit pour savoir ce qui s'est passé sur Antioche et ce que sous-entend cette découverte, ou, plus étonnant, pour savoir si Bartolomeo et Père Veronica finiront par donner corps à leur affection réciproque. Car voilà la force principale de cette Nef des fous : outre le suspens entourant les événements d'Antioche, admirablement mené, les personnages, leur complexité, leur rapport au réel, rendent le récit haletant. Bartolomeo, abandonné à sa naissance à cause de ses malformations, affublé d'un exosquelette, et Père Veronica, croyante régulièrement rongée par le doute, sont des protagonistes magnifiques, d'autant plus touchants que Russo ne se livre à aucune simplification du genre « voici les bons, voilà les méchants, devinez qui est le traître ». Chargé de dilemmes déchirants, de réflexions vertigineuses sur la foi, les sentiments et rituels religieux, ce roman ne déçoit pas ; même si certains esprits chagrins trouveront sa fin « un peu facile » et son style peu élaboré, Russo se contentant de raconter son épopée spatiale, ce qui le rapproche d'une certaine école anglaise, celle d'Arthur C. Clarke (Rendez-vous avec Rama, on y revient) et Stephen Baxter. Outre cette écriture sans panache, mais que je n'irai tout de même pas jusqu'à qualifier d'asimovienne, on regrettera quelques coquilles, parfois cocasses, mais rien qui ne puisse vraiment gâcher notre plaisir.
La Nef des fous fait partie de la grande tradition de la science-fiction mettant en scène des personnages du clergé confrontés à un premier contact extraterrestre, on est proche, très proche, d'Un cas de conscience de James Blish, proche aussi de l'épisode du prêtre dans Hypérion de Dan Simmons ; en ce qui me concerne, c'est du même niveau, pas moins. Une fois de plus, si vous aimez la science-fiction, la vraie, vous ne pouvez pas passer à côté de ce livre récompensé, à juste titre, par le Philip K. Dick Award 2001. Décidément, avec La Plage de verre de Iain M. Banks et Crépuscule d'acier de Charles Stross, ce début d'année 2006 est riche en aventures spatiales de haut niveau.
Thomas DAY Première parution : 1/5/2006 dans Bifrost 42 Mise en ligne le : 31/7/2007