Le Dr Benjamin Knowlton mène des recherches susceptibles de révolutionner notre compréhension de l'Univers. Lorsqu'un signal atypique émane soudain d'un trou noir s'approchant de la Terre, il découvre avec stupeur qu'il est... intelligent. Benjamin, aidé entre autres par sa femme et collègue Channing, va tout faire pour entrer en communication avec cet étrange extra-terrestre. Mais Channing, atteinte d'un cancer, n'a plus que quelques semaines à vivre...
Un roman de SF brillant et passionnant par l'un des maîtres du genre.
« Un bonheur de lecture pour tous les lecteurs de SF. »
Un beau jour, les observations astronomiques révèlent des perturbations d'origine inconnue dans une zone proche du système solaire. Les scientifiques comprennent progressivement l'origine du phénomène : une singularité, sorte de trou noir, qui se rapproche peu à peu de la Terre en ricochant sur les astéroïdes. Le branle-bas de combat se déclenche, les enjeux politiques s'opposant aux considérations scientifiques. Au milieu de cette agitation, un couple : le docteur Benjamin Knowlton, l'astronome qui a découvert le « nouveau venu » et sa femme Channing, une ancienne astronaute retenue sur Terre à cause d'une terrible maladie qui amoindrit peu à peu ses facultés. Oscillant entre la douleur d'une fin qu'ils savent inéluctable et l'excitation de la découverte de cet Ogre de l'espace (comme l'a baptisé Channing), le couple y entrevoit la possibilité d'une solution partielle au drame qu'il vit.
Comme les personnages de ce roman, tiraillés de toutes parts, le lecteur ne sait véritablement sur quel pied danser. D'un côté, la rencontre avec le « dévoreur » occasionne de beaux moments de hard-science, comme celui de la découverte de son existence. Dans ces moments-là, Benford se révèle convaincant, et on en vient même à apprécier la poésie de termes arides comme « sursauts à rayonnement gamma » ou « lumière zodiacale ». Malheureusement, de l'autre côté, l'ogre de Benford joue l'Arlésienne durant toute la première partie du récit, qui se perd alors dans les fastidieuses palabres de tractations politiques officielles ou confidentielles, nettement moins intéressantes à suivre. Le lecteur trouvera toutefois un certain plaisir à se demander qui, de Benjamin le gentil idéaliste ou de Kingsley le génial opportuniste, tirera le mieux son épingle du jeu.
Tout écrivain de hard-science qu'il est, Benford n'oublie pas de s'occuper de ses personnages, qui ont d'ordinaire une certaine épaisseur. Cette fois-ci pourtant, la figure de Channing semble trop forcée. Bien sûr, l'auteur ne surexploite pas le registre du pathétique, mais ce personnage de malade quasi mourante, qui continue de se battre jusqu'au bout dans l'espoir d'une improbable rémission, n'est pas assez nuancé pour être un véritable atout. Comme de surcroît elle cristallise la rivalité de Kingsley et Benjamin, ayant été la maîtresse de l'un avant de devenir la femme de l'autre, on aboutit à une accumulation de poncifs du roman sentimental tout justes digne d'un mauvais Harlequin.
Cette dernière faiblesse, associée à celle d'un développement ennuyeux, gâche la poésie scientifique d'un roman dont la matière est au départ excitante.
Benjamin Knowlton a bâti sa carrière scientifique sur les certitudes administratives, et se trouve à la tête d'un prestigieux laboratoire d'astrophysique à Hawaii. Tout va changer dans sa vie avec l'arrivée d'une source inédite de rayonnements gamma, vite reconnue comme un trou noir en balade dans le système solaire, et pire : un trou noir intelligent. Plus rien n'est alors prévisible pour Knowlton, pour sa femme Channing et son vieux rival britannique Kingsley, tous emportés dans l'orbite instable d'un monde affolé par l'arrivée d'un Méphistophélès cosmique. Car l'Ogre, capable de détruire la Terre d'une chiquenaude, propose à la race humaine un contrat inacceptable.
Si, comme La Sphère ou Artefact, ce roman est propulsé par l'irruption d'un phénomène physique extraordinaire dans le monde contemporain, il pousse beaucoup plus loin l'aspect humain et politique de son intrigue. Les trois personnages centraux forment un triangle amoureux, troublé par un élément tragique peu fréquent en science-fiction : incurablement malade, Channing n'a plus que quelques mois à vivre. Mais, même mise sur la touche professionnellement, c'est elle qui a les idées importantes.
Plus qu'un triangle sentimental, les protagonistes incarnent un triangle de choix de carrières scientifiques : Channing est toujours restée proche de la science active, Knowlton s'est engagé dans la direction de laboratoire, mais Kingsley est allé beaucoup loin en devenant expert en manipulation des médias et des décideurs politiques, jusqu'aux États-Unis, seul théâtre d'opérations qui compte au niveau mondial. Il bat Knowlton, le protagoniste auquel on s'identifie le plus, à son propre jeu. Au passage, on se voit plongé dans le monde universitaire américain, avec un réalisme d'autant plus serré que l'intrigue est démesurée. En un sens, Un paysage du temps, La Sphère et L'Ogre de l'Espace forment une trilogie sur le thème « La science au péril du pouvoir ». Chez les scientifiques de chair et d'os, l'émerveillement devant le sujet étudié cède le pas aux impitoyables (et parfois mesquines) rivalités entre membres d'un même milieu.
Benford n'abat ses cartes que progressivement, et réussit le tour de force d'une présentation crédible et contemporaine de ce vieux cliché de la SF qu'est l'envahisseur extra-terrestre d'une irréductible hostilité, décidé à détruire l'humanité. Quoique les intelligences magnétiques qui vivent dans le halo du trou noir, qui comptent parmi les plus belles trouvailles science-fictives de Benford, ne soient jamais explorées en détail.
L'Ogre de l'Espace est le meilleur ouvrage de l'auteur depuis au moins une décennie pourtant marquée par une poignée d'excellents romans (et des recueils de nouvelles toujours intéressants). On peut reprocher à Benford un certain cynisme, on peut être profondément irrité par les choix politiques affichés. Mais je connais peu d'écrivains de SF capables (tout en menant une carrière scientifique de haut niveau) de mettre un style reconnaissable et travaillé au service d'une connaissance aussi profonde de la science, de la politique et des rapports humains. Un livre incontournable.