BRAGELONNE
(Paris, France), coll. L'Ombre Dépôt légal : février 2008 Première édition Recueil de nouvelles, 320 pages, catégorie / prix : 15 € ISBN : 978-2-35294-149-1 ✅ Genre : Fantastique
Ce livre a obtenu le prix Edgar Poe 2009 décerné par les éditions de l'Oeil du Sphinx afin de marquer, en France, le 200ème anniversaire de la naissance du poète et conteur dont l'œuvre est une des sources modernes de la littérature de l'imaginaire. Le Prix est attribué à un ouvrage de fiction en prose (donc poésie exclue) de langue française, publié postérieurement au 1 janvier 2008 et dont la thématique doit s'accorder avec celle de l'œuvre de Poe.
« Il y a chez Fazi une petite musique poignante, extrêmement lucide, et surtout un art de la fêlure qui transcende la moindre de ses histoires. »
Jean-Claude Dunyach, L'Express
Saviez-vous qu'à Venise, qui vole des soupirs encourt la vengeance de la ville ? Connaissez-vous vos plus sensuelles métamorphoses, lorsque vous êtes loup, lorsque vous devenez lionne ? Avez-vous déjà pris un fleuve pour amant ?
Partez à la découverte des troubles secrets de l'âme et des lieux les plus hantés : une villa qui palpite de vies enfuies, l'océan dont certains ne reviennent plus tout à fait humains, ou encore ce train de nuit qu'empruntent ceux qui cherchent l'oubli...
Mais attention : de ces voyages intimes et inquiétants, on ne rentre pas indemne.
Née en 1976, Mélanie Fazi est la princesse du fantastique français, acclamée par les critiques et le public. Plusieurs de ses nouvelles ont même été traduites et publiées dans des revues anglo-saxonnes. Elle a reçu le Prix Merlin en 2002 (meilleure nouvelle) et 2004 (meilleur roman), le prix Masterton en 2005 (meilleur roman) et le Grand Prix de l'Imaginaire en 2005 (meilleure nouvelle) et en 2007 (meilleure traduction). Excusez du peu...
Ce recueil de nouvelles est, à l'instar de Serpentine (critique in Bifrost n°37), initialement publié aux défuntes éditions de l'Oxymore et réédité dans cette même collection, un petit bijou d'intelligence et de sensibilité. A travers douze récits, Mélanie Fazi parle, de façon détournée, de ses angoisses, qui sont aussi les nôtres, et porte son regard si particulier sur le monde et les gens, invitant son lecteur à regarder autrement, à voir vraiment ce que son œil ne fait qu'effleurer. « La Cité travestie » présente une Venise sombre, voire cauchemardesque, qui a avalé tant d'âmes dans ses canaux ; « Mardi-Gras » se penche sur une autre ville fascinante, La Nouvelle-Orléans, qui abrite elle aussi ses fantômes derrière les cicatrices causées par l'ouragan Katrina. Si les fantômes se manifestent ainsi aux narratrices (tous les textes sont à la première personne et un seul est au masculin, « Le Nœud cajun », qui fut repris dans le prestigieux Year's Best of Fantasy and Horror 2004), c'est parce qu'elles cherchent avant tout à comprendre ; il en va ainsi de la nouvelle occupante de la « Villa Rosalie », de la pourtant réticente jeune fille assistant à « La Danse au bord du fleuve » d'une créature liquide, et même de la farouche épouse décidée à récupérer son mari ayant célébré des « Noces d'écume » avec l'océan : elle tient avant tout à comprendre ce qui l'attire dans ces flots. Chaque nouvelle demande qu'on fasse un effort de compréhension : pourquoi ce lion vient-il se planter chaque soir devant la véranda (« Les Cinq soirs du lion ») ? Même en ravaudant le thème classique du train de nuit répertorié nulle part emportant ses passagers pour une destination inconnue, Mélanie Fazi parvient à nous surprendre car elle introduit ici aussi la nécessité de comprendre la raison de sa présence. La relation ne s'établit pas seulement avec des vies disparues, mais avec des objets : voici une musique dispensatrice d'inspiration (« En forme de dragon »), une statue qui absorbe le cancer d'une jeune femme (« Notre-Dame-aux-Ecailles ») et une poupée de chiffon opérant de même avec les chagrins d'une enfant (« Fantômes d'épingles ») — mais on ne donne jamais un supplément d'âme aux objets sans y perdre un peu de soi en retour.
Il est frappant de constater combien Mélanie Fazi considère le monde et les objets qui l'entourent comme un langage qui n'attend que d'être traduit : la fréquentation assidue est promesse de révélation. C'est ainsi qu'est considérée Venise ou que la fillette parvient à comprendre mieux que le père la nature de la musique qu'il écoute, que les protagonistes « apprennent » le fonctionnement de la poupée, de la sculpture, du train. Le seul titre de « Langage de la peau » est éclairant sur cette fonction de décryptage que Mélanie Fazi mettait déjà à l'œuvre quand elle prenait des cours de traduction littéraire et qu'elle observait les marquages de territoire que constituaient les graffitis sur les tables, jusqu'à reconnaître les manies de chacun. Evidemment, œuvrant dans le fantastique, ses sujets de traduction ont souvent la mort pour objet, ou l'appréhension de la mort : décrypter ces peurs-là revient à les dompter, pour mieux se familiariser avec cette dernière. Ce sont ces affrontements très lucides qu'elle offre au lecteur, le ton grave et sensible de son propos étant sublimé par son écriture, magnifique, comme toujours.