Neil GAIMAN Titre original : Smoke and Mirrors, 1998 Première parution : New York, USA : Avon Books, novembre 1998 (version étendue du recueil "Angels and Visitations: A Miscellany", 1993)ISFDB Traduction de Patrick MARCEL Illustration de Justine BONNARD
J'AI LU
(Paris, France), coll. Fantastique (2007 - ) n° 6735 Dépôt légal : août 2003, Achevé d'imprimer : 14 mars 2008 Recueil de nouvelles, 384 pages, catégorie / prix : 7,60 € ISBN : 978-2-290-32545-2 Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Fantastique
Une vieille dame acquiert le Saint-Graal à son insu. Lorsque le chevalier Galaad vient le lui quémander, croyant sa quête achevée, il ne se doute pas que l'épreuve la plus dure l'attend encore... Un écrivain britannique débarque à Hollywood pour adapter l'un de ses livres au cinéma. Son hôtel, jadis palace des starlettes, va devenir le théâtre d'une bien curieuse rencontre...
Miroirs d'un quotidien — le nôtre — en apparence banal mais glissant imperceptiblement vers le surnaturel ou l'absurde, voici trente textes surprenants, décalés, noirs, érotiques, souvent déroutants, toujours fascinants, qui proposent une interprétation brillante et moderne de tous les grands mythes de la littérature fantastique.
NEIL GAIMAN
Scénariste de bandes dessinées (The Sandman), ils'est rapidement imposé comme l'un des meilleurs écrivains de la nouvelle vague du fantastique anglo-saxon. On lui doit le cultissime American Gods et sa suite Anansi Boys, Neverwhere, Stardust et De bons présages, en collaboration avec Terry Pratchett.
« Miroirs et fumée est un recueil à se procurer d'urgence. Ceux qui connaissent déjà Gaiman ne se feront pas prier. Les autres découvriront un auteur riche et magique. »
26 - Le Jour où nous sommes allés voir la fin du monde (When We Went to See the End of the World by Dawnie Morningside, Age 11¼, 1998), pages 309 à 316, nouvelle, trad. Patrick MARCEL
Avec Neverwhere, jubilatoire fantasy urbaine, Neil Gaiman – par ailleurs scénariste de comics – s'est imposé d'emblée comme un auteur de tout premier plan. Miroirs et fumées, son premier recueil en France, était donc très attendu.
Après un bref rondeau, cet assemblage de trente textes, pastiches, poésies et nouvelles débute par une longue introduction. Bizarrement, celle-ci enferme une nouvelle, placée là pour faire la nique à ceux qui ne lisent pas les introductions, en un clin d'œil qui donne immédiatement le ton du recueil : fantaisiste et malicieux. Cette vraie fausse première nouvelle – une astucieuse variation du Portrait de Dorian Gray adaptée au mariage – est suivie de commentaires sur chacun des textes qui vont suivre, sous forme de notices d'intérêt variable, demeurant trop souvent assez superficielles ; leur place en début de livre est d'ailleurs un peu étonnante puisque la lecture préalable des nouvelles est nécessaire.
Dans la seconde première nouvelle, Chevalerie, une vieille dame britannique déniche de nos jours le Saint-Graal dans une petite boutique de rebuts divers et le place sur sa cheminée. Quelque jours plus tard, elle reçevra naturellement la visite de Galaad... Ce pur régal de drôlerie, baignée d'une douce folie assez dans l'esprit des Monthy Python, montre de façon exemplaire que Gaiman excelle à revisiter les contes, les mythes et les épopées, en les plaçant notamment dans le cadre du quotidien étriqué de l'Angleterre contemporaine.
La plupart des autres textes font de même avec plus ou moins de bonheur. Si Gaiman réussit toujours ses ambiances légèrement décalées, les chutes sont parfois décevantes. C'est par exemple le cas de La spéciale des Shoggoths à l'ancienne, un savoureux pastiche Lovecraftien à l'humour irrésistible mais au dénouement assez plat.
L'intérêt se situe donc plus dans l'émotion qui se dégage, dans la sensibilité dont l'auteur fait preuve, dans la légèreté d'un humour subtil et délicat que dans la solidité de l'intrigue ou dans une quelconque innovation : « Chacune de ces nouvelles est un reflet de quelque chose ou un reflet sur quelque chose, et n'a pas plus de substance qu'une bouffée de fumée. » avoue d'ailleurs Gaiman (p.49).
Comme souvent, le recueil est inégal, mais heureusement d'un bon niveau global. Certains textes excellents, comme Les mystères du meurtre – une enquête policière chez les anges en compagnie de Lucifer – ou Neige, verre et pommes – Blanche-Neige revisitée – côtoient des nouvelles plus insignifiantes comme Cherchez la fille où une fille éternellement jeune passe son temps à se faire photographier pour les magazines – ce qui reflète surtout le support pour lequel cette nouvelle a été conçue (Penthouse).
Les textes poétiques ne sont pas non plus toujours très convaincants. Leur mise en forme paraît souvent artificielle, ce qui peut gêner l'adhésion au récit. Soulignons cependant que le résultat est sans doute différent en version originale, la langue anglaise se prêtant peut-être mieux à ce genre d'exercices.
En fin de compte, même s'il manque sans doute des textes véritablement forts et de réelles surprises, l'ensemble du recueil est plaisant, amusant et charmant. Sans être aussi réussi que Neverwhere, Miroirs et fumées est le genre d'ouvrage qui joue avec l'imagination et qui met de bonne humeur : c'est déjà une belle réussite.
Voici très certainement l'un des meilleurs recueils publiés ces dernières années. Jugement péremptoire ? Non, car Neil Gaiman a une imagination foisonnante, et sait adapter son style aux histoires qu'il raconte. Comme, de plus, la traduction de Patrick Marcel sait se faire à la fois précise et discrète, on goûtera avec joie ces nouvelles et poésies, délicates ou cruelles, nostalgiques ou drôles. Qu'on en juge au résumé de quelques-uns des textes réunis ici, qui comptent parmi les plus fameux de l'auteur.
Dans Chevalerie, une vieille dame trouve le Saint-Graal chez un antiquaire. Arrive alors le chevalier Galaad, qui lui propose des trésors toujours plus extraordinaires en échange de la coupe mythique, que la femme rechigne à lui céder sous prétexte « qu'elle fait bien sur se cheminée ». La cocasserie du choc de deux cultures incompatibles (moyenâgeuse d'une part, urbaine d'autre part), et la tendresse dans la description des personnages rendent la lecture de ce texte particulièrement agréable.
Dans Le troll sous le pont, un garçon découvre la créature du titre au hasard d'une promenade sur un chemin inconnu. Menacé de mort, le jeune obtient un sursis en promettant de revenir sous le pont pour que s'accomplisse son destin. Il s'y rendra plusieurs fois à des années d'intervalle, jusqu'au moment où il ne pourra plus se dérober. Cette fois-ci, c'est l'inexorabilité du destin du jeune garçon, puis de l'homme, qui fait tout l'intérêt de cette nouvelle.
Autre texte notable, qui clôt en outre le recueil, Neige, verre et pomme retourne doublement le l'histoire de Blanche-Neige, racontée cette fois-ci par la reine, tandis que la Blanche-Neige de ce conte, au lieu d'être pure et douce, se trouve être un vampire femelle qui tue le roi et nombre de ses sujets. Gaiman joue ici avec une figure majeure de l'imaginaire enfantin. Un certain nombre de textes obéissent au même principe : l'appropriation d'un mythe archi-connu, sur lequel l'auteur plaque sa thématique, qu'on pourrait définir comme l'expression de sa lucidité sur la futilité de la société matérialiste et de la condition humaine, doublée d'un sens de l'humour subtil. Dans une longue préface – qui comprend une nouvelle « cachée » –, l'auteur dévoile d'ailleurs largement les circonstances de l'écriture de tous ses textes, à la manière d'un Harlan Ellison ou d'un Orson Scott Card, mais sans s'étendre autant qu'eux sur la signification de ses oeuvres.
Nouvelles, fables, poésies (en prose ou en vers), tous les textes nous renvoient une image déformée de notre société, passée au crible des croyances populaires et des visions fantasmagoriques de l'auteur, qui oscille entre humour et nostalgie, fatalisme et fantastique. Indispensable.
“ Gaiman est une star. Il construit ses histoires comme un cuisinier dément pourrait faire un gâteau de noces, élaborant loi après loi, introduisant toutes sortes de douceurs et de piquant dans son mélange. ” écrivait Clive Barker à propos de l'auteur du déjà classique Neverwhere. Et il faut bien reconnaître qu'à la lecture de la savoureuse introduction de ce recueil, Neil Gaiman est un maître queux qui pioche dans ses délires, ses rêves ou encore ses rencontres, l'ingrédient premier, original et étrange, pour concocter par la suite une nouvelle, un poème, un pastiche ou encore un collage, que la préparation et le soin maniaque apporté au style par le Chef transforment en plat délicat et inoubliable.
Miroirs et fumées n'est pas un recueil comme les autres, c'est une somme, un condensé de toutes les facettes du talent et de l'art de l'auteur. Qu'il lorgne vers la science-fiction (Changements, Corps étrangers, Le Jour où nous sommes allés voir la fin du monde, trois nouvelles déjantées), vers les mythes lovecraftiens (La Spéciale des Shoggoths à l'ancienne, Une fin du monde de plus, où le pastiche s'apparente à un véritable hommage), vers la fantasy moderne (Le Prix, Chevalerie, Une vie, meublée en Moorcock première manière, où l'on retrouve le Gaiman de Neverwhere), vers le fantastique (Ne demandez rien au diable, La Souris, Saveurs), vers la poésie (La Reine d'épée, Vent du désert, Sizain vampire), Neil Gaiman ne respecte — pour le plus grand bonheur de ses lecteurs — aucune convention du genre. Au contraire, il mélange, greffe, fond les ingrédients les plus disparates pour en faire émerger son univers protéiforme et foisonnant.
Alors certes, le lecteur monomaniaque aura beaucoup de mal à apprécier ces directions et ces approches si différentes de son centre d'intérêt habituel. S'il ne vit que pour une SF, une fantasy ou un fantastique purs et durs, cet ouvrage n'est malheureusement pas fait pour lui. Mais pour ceux que l'exotisme et l'originalité attirent, Miroirs et fumées est une véritable mine d'or. Chaque texte, qu'il amuse ou captive, secrète sa propre magie et démontre que l'émerveillement ne résulte pas forcément d'une surenchère d'effets ou de mièvreries. Par sa touche très anglaise, par l'utilisation d'un réalisme magique d'une sensibilité et d'une intelligence rares, par son côté hétéroclite très (trop ?) trompeur, Neil Gaiman a réussi le pari d'offrir un recueil original et remarquable, dans tous les sens de ces deux qualificatifs. Miroirs et fumées n'est ni à conseiller, ni à promouvoir, il est tout simplement à lire. Parce que la magie de la lecture se nourrit de la magie de l'écriture et de l'imagination de l'auteur, mais surtout parce que jamais un conteur aussi doué n'avait réussi à donner le sentiment aux amateurs les plus acharnés de découvrir une nouvelle contrée du domaine de l'imaginaire, inconnue, insoupçonnée et pourtant si attendue...
Gaiman a une fascination pour les magiciens, leurs trucs et astuces, leurs jeux de miroirs, leurs effets de fumées. Et, en vrai bon fan, à force de fascination, il en est devenu un. Tout simplement. Un magicien. Voilà ce qu'il est. Rares sont les auteurs à avoir acquis aussi rapidement — ou, plus précisément, à travers aussi peu d'œuvres — une réputation telle que la sienne.
Car après tout, en France, que connaît-on de Neil Gaiman ? Principalement son travail de scénariste de comics, sur Sandman (trois tomes au Téméraire, coll. « Vertigo ») ou bien encore Death (deux tomes, également au Téméraire et toujours en « Vertigo »), voire, peut-être, pour certains d'entre vous, son troublant roman graphique, Mr. Punch, mis en images par Dave McKean et publié en France en 1997 chez Reporter. Il y a aussi l'amusant roman, co-écrit avec la star britannique Terry Pratchett, De Bons présages (J'ai Lu — 1995). Puis, bien sûr, NeverWhere (cf. interview de Gaiman in Bifrost 11), un formidable roman de fantasy urbaine dans la collection « Millénaires ». On ajoutera, pour la mesure, une poignée de nouvelles publiées ça et là (à commencer par « Chevalerie », dans le Dossier Fantasy de la revue thématique Yellow Submarine, rééditée ici sans aucune mention de la part de l'éditeur, ce qui fait toujours plaisir...). Bref, et en résumé : voici un auteur dont on a lu deux romans, quelques nouvelles et des scénars de BD. Pas grand chose, donc, mais rien que du bon, voire de l'excellent.
Nous attendions ce recueil en J'ai Lu « Millénaires ». Marion Mazauric ayant quitté le groupe Flammarion pour fonder sa propre maison d'édition, c'est d'Au diable vauvert qu'il nous arrive. Qu'importe. La couverture a changé (elle n'est d'ailleurs pas plus folichonne que ce que nous propose habituellement la collection « Millénaires ») mais le contenu demeure le même : à savoir un recueil non pas artificiellement réuni mais pensé, imaginé, réalisé et présenté par l'auteur lui-même. Ce dernier point est fondamental. Car Miroirs et fumée n'est pas qu'un excellent recueil, c'est avant tout un état, une compilation représentative du travail fort particulier et personnel d'un écrivain, de ses premiers pas dans le métier, au début des années 80, jusqu'à 1998, date à laquelle Gaiman a rassemblé ces textes.
Gaiman est un auteur à la palette extrêmement étendue, tant au niveau de ses vecteurs d'expressions (la BD, la littérature, le cinéma, la télévision) que des genres, des traitements et des sujets. Miroirs etfumée se fait tout naturellement l'écho de cette diversité. Science-fiction, fantastique, fantasy, le tout pour aborder des sujets aussi divers que le sexe, la créativité, la maladie, la mort, la religion... autant de sujets eux-mêmes abordés dans des traités différents, nouvelles en proses ou en vers, poèmes, pastiches, contes, etc. C'est un florilège magnétique, accaparant (magique ?), servi par une écriture légère et un sens du mot remarquable (on saluera à ce propos l'excellente traduction de Patrick Marcel). Gaiman est de ces auteurs capables, en deux lignes pleines de nostalgie, de vous faire décrocher le téléphone afin d'appeler votre grand mère pour le simple plaisir d'entendre sa voix, chose que vous n'aviez pas faite depuis des semaines...
Miroirs et fumée est un recueil à se procurer d'urgence. Ceux qui connaissent déjà Gaiman ne se feront pas prier. Les autres découvriront un auteur riche et magique, qu'ils auront tôt fait de placer aux côtés d'autres illusionnistes magiciens, qu'ils se nomment Tim Burton ou Clive Barker, par exemple.
ORG Première parution : 1/4/2001 dans Bifrost 22 Mise en ligne le : 1/10/2003