PIRANHA
, coll. Incertain futur Dépôt légal : octobre 2016 Première édition Roman, 240 pages, catégorie / prix : 17,90 € ISBN : 978-2-37119-052-8 Format : 13,0 x 20,0 cm Genre : Science-Fiction
Sept cents ans après la victoire d’Hitler, le Saint Empire germanique a soumis la moitié du monde à l’idéologie nazie. La nouvelle société, empreinte de mythologie et d’ignorance, repose sur une stricte hiérarchie : les chevaliers et les nazis en occupent le sommet, tandis que les étrangers servent de main d’œuvre servile et les femmes, uniquement destinées à la perpétuation de la race, sont réduites à l’état animal.
Lorsqu’Alfred, mécanicien anglais en pèlerinage en Allemagne, est impliqué dans une rixe, il est conduit devant le chevalier von Hess, gouverneur du comté. Séduit par sa personnalité, von Hess ne tarde pas à lui révéler un secret qui le bouleverse. Mais la connaissance a un prix : celui du sang.
Inconnue du public français, Katharine Burdekin (1896-1963) est l’une des rares écrivains britanniques à dénoncer, aux travers de romans d'anticipation, l’idéologie phallocrate de l'Angleterre des années 1930. Swastika Night, dont c'est ici la première traduction en français, fut publié en 1937 sous le pseudonyme de Murray Constantine. Peu après Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley et bien avant le célèbre 1984 de George Orwell, cette dystopie sur l’anéantissement de l’individu, aux accents féministes, demeure étrangement prémonitoire.
1 - Bertrand CAMPEIS, Cauchemars éveillés. Et si le Troisième Reich l'avait emporté ?, pages 233 à 237, postface
Critiques
Les éditions Piranha livrent aujourd’hui un roman publié en 1937 par la Britannique Katharine Burdekin, une œuvre d’anticipation qui essayait d'imaginer ce que serait un monde dans lequel le nazisme aurait vaincu, et donc atteint ses objectifs. Un peu tombé dans l’oubli, il reparaît aujourd’hui dans le contexte de la montée des populismes. Si l’intention est louable, il faut néanmoins au lecteur une bonne dose d’abnégation pour arriver au bout de ce texte.
Sept siècles après la victoire d’Hitler, le Reich nazi et son pendant nippon – composés chacun d’un Heartland et d’immenses territoires soumis – se partagent la Terre. Dans le Reich nazi, le totalitarisme racial a utilisé le temps long pour modeler une société délirante, sorte d’Allemagne médiévale fantasmagorique. Revue de détail. Race : plus de Juifs (tous éliminés, même si Burdekin ne prévoit pas l’Holocauste mais une accumulation de pogroms plus ou moins épidémiques), des peuples étrangers soumis et méprisés, des chrétiens exclus et déclassés. Culture : plus de livres (seulement la Bible d’Hitler et des ouvrages techniques), plus d’Histoire, une population majoritairement analphabète. Politique : un totalitarisme – plus sous-entendu que décrit – d’essence religieuse ; quatre cercles : les nazis (allemands de base), les chevaliers (noblesse militaire et civile nazie), le Cercle des Dix (une sorte de gouvernement formé des plus éminents chevaliers), Der Führer (successeur d’Hitler comme le pape l’est de Saint-Pierre). Religion : un culte d’Hitler et des Saints, une Bible ad hoc, une germanisation du Führer initial en colosse blond aux yeux bleus qui n’est pas sans rappeler l’occidentalisation de Jésus. Sexe : une domestication des femmes, parquées, soumises, disponibles à merci, destinées à porter des garçons (futurs nazis) que leurs pères récupéreront à dix-huit mois. Le nazi est homme ; les femmes (et leurs filles qui formeront la génération suivante de reproductrices) ne sont que les matrices qui le fabriquent.
Dans cette Allemagne rieuse arrive Alfred, Anglais en pèlerinage et doux ami d’Hermann, le paysan nazi. À la suite de l’agression par Hermann d’un jeune éphèbe, Alfred rencontre von Hess, le chevalier d’Hermann. Celui-ci lui confie un livre, écrit par l’un de ses ancêtres, qui dit la vérité sur les origines du Reich et déconstruit les mensonges sur l’Histoire, les femmes, Hitler lui-même. Depuis des siècles, les von Hess se transmettent ce livre qui doit préparer une restauration. C’est maintenant à Alfred, anglais autant que rétif à la croyance officielle, de l’emporter car le vieux von Hess n’a plus de fils.
On reconnaîtra à Burdekin des fulgurances. Elle dit la nature totalitaire du régime, la stase mortelle qui suit la dictature réalisée, le culte de la personnalité, la reconstruction de l’Histoire. Elle montre la violence banalisée qu’induit le régime et l’insensibilité qu’il génère, ainsi que le caractère profondément homoérotique de la praxis nazie et le virilisme qui est en l’essence (elle a peut-être même eu connaissance du programme Lebensborn). Elle développe une philosophie anti-holiste de l’accomplissement et enjoint à une pratique raisonnée de la critique. Tout ceci est bel et bon.
Mais quelle purge quand même ! Plus essai que roman, il ne se passe pas grand-chose dans Swastika Night, et le lecteur lira, avec ennui, des dizaines de pages consécutives de dialogues entre deux ou trois personnages ; car le texte n’est plus un avertissement (date oblige), et son anticipation est, disons-le, trop excessive pour être vraiment prise au sérieux. Si le thème intéresse, mieux vaut relire Arendt.