Rencontrer les Grands Anciens dans les rues de Londres, goûter la chair de l'oiseau-soleil d'Égypte, survivre aux antivirus de la Matrice, voilà un aperçu des voyages auxquels nous invite Neil Gaiman, dans autant de fables tragiques et grotesques, de poèmes doux et cruels, de récits terribles et merveilleux, où réalité et fantasme s'accouplent à l'ombre de Conan Doyle, H P Lovecraft, C S Lewis ou encore Ray Bradbury. Une mosaïque de sons, d'odeurs, d'idées, d'échos, de souvenirs éphémères, de choses fragiles à garder précieusement dans le grenier de sa mémoire.
7 - Les Épouses interdites des esclaves sans visage dans le manoir secret de la nuit du désir redoutable (Forbidden Brides of the Faceless Slaves in the Secret House of the Night of Dread Desire, 2004), pages 95 à 114, nouvelle, trad. Michel PAGEL
13 - Souvenirs et trésors (Keepsakes and Treasures : A Love Story, 1999), pages 173 à 196, nouvelle, trad. Michel PAGEL
5 autres éditions de ce texte dans nooSFere : - in 999 (ALBIN MICHEL, 1999) sous le titre Souvenirs et trésors : une histoire d'amour - in 999 (LIVRE DE POCHE, 2001) sous le titre Souvenirs et trésors : une histoire d'amour - in Des choses fragiles (AU DIABLE VAUVERT, 2009) - in Des choses fragiles (J'AI LU, 2010) - in Des choses fragiles (AU DIABLE VAUVERT, 2018)
14 - Les Bons garçons méritent des récompenses (Good Boys Deserve Favours, 1995), pages 197 à 203, nouvelle, trad. Michel PAGEL
15 - La Vérité sur le cas du départ de Mlle Finch (The Facts in the Case of the Departure of Miss Finch, 1998), pages 205 à 228, nouvelle, trad. Michel PAGEL
28 - Pages d'un journal trouvé au fond d'une boîte à chaussures laissée dans un bus Greyhound, quelque part entre Tulsa, Oklahoma, et Louisville, Kentucky (Pages from a Journal Found in a Shoebox Left in a Greyhound Bus Somewhere Between Tulsa, Oklahoma, and Louisville, Kentucky, 2002), pages 333 à 338, nouvelle, trad. Michel PAGEL
Après l'indispensable Miroirs et fumée (critique in Bifrost n°22), Neil Gaiman, que l'on ne présente plus, nous revient aujourd'hui avec un second recueil de nouvelles, poèmes et autres expérimentations diverses et variées, dont bon nombre de textes primés. Et l'auteur britannique, à n'en pas douter, a choisi pour son ouvrage à la fois dense et volumineux le meilleur des titres. Ce sont bien, en effet, « des choses fragiles » que ces trente-deux textes de taille variable, et bien souvent des « merveilles ». Une succession d'instants précieux, de petites histoires enchâssées les unes dans les autres, de fragments plus ou moins hermétiques, de saynètes tantôt drôles, tantôt cauchemardesques, alternant gravité et légèreté, quelque part entre l'enfance de tous les possibles et les tristes réalités de l'âge adulte. Des petits bijoux, camées fourmillant de détails, gravés avec délicatesse et méticulosité. La confirmation, s'il en était besoin, de l'art de l'auteur, tout particulièrement pour ce qui est de la forme courte.
Difficile, ceci étant, d'en dire beaucoup plus : dans bien des cas, en dire quelques mots, c'est déjà en dire trop. Et détailler par le menu ce recueil confinerait à l'absurde...
Il faudra donc bien se contenter ici d'impressions, de survol, de souvenirs plus particulièrement saillants : évoquer par exemple la confrontation des univers de Lovecraft} et de Conan Doyle dans « Une étude en vert », la nouvelle qui ouvre ce recueil (prix Hugo 2004).
Ou mentionner parallèlement la novella (on préférera ce terme à celui de « court roman » employé un peu abusivement par la quatrième de couverture...) intitulée « Le Monarque de la vallée », qui clôt le volume et rappelle à notre bon souvenir Ombre, le héros du roman sur-primé American Gods (chroniqué dans notre n°27) ; Ombre, ici amené à participer à d'étranges festivités au cœur de l'Ecosse la plus embrumée et la moins touristique, où il croisera les inquiétants et fascinants personnages que sont Smith et son employeur M. Alice, que l'on avait déjà suivis auparavant dans « Souvenirs et trésors », une nouvelle particulièrement glauque.
C'est qu'il y eut, entre temps, bien des « nouvelles et merveilles », expérimentations plus ou moins anecdotiques, poèmes épars et, surtout, petits bijoux de nouvelles. « La Présidence d'Octobre », par exemple (prix Locus 2003) ; ou « Amères moutures » et ses filles-café ; ou « Les Bons garçons méritent des récompenses » et son merveilleux souvenir d'enfance ; ou encore « L'Oiseau-soleil », avec ses fins gourmets en quête du plus précieux des repas... Mais on pourrait en citer bien d'autres : « La Vérité sur le cas du départ de Mlle Finch », « Comment parler aux filles pendant les fêtes »...
Il y eut aussi, régulièrement, des univers accaparés et/ou revisités (dont, dans un sens, celui de Matrix avec « Goliath »), des histoires et archétypes renouvelés, de Boucles d'or à Arlequin. Un texte de jeunesse au titre à coucher dehors, également (« Les Epouses interdites des esclaves sans visage dans le manoir secret de la nuit du désir redoutable »). Et nombre de bizarreries souvent savoureuses, et en tout cas largement rétives à la classification comme au commentaire.
Bien des choses, tout ce qui, en somme, fait de Neil Gaiman un des meilleurs auteurs du genre, a fortiori en tant que nouvelliste. Ce n'est sûrement pas un hasard si le volume est dédié à Ray Bradbury, Harlan Ellison et Robert Sheckley, « grands maîtres de l'art ». Et le fait est qu'il se montre ici à son meilleur, particulièrement convaincant quand il se livre au travail de précision. Des choses fragiles le confirme, s'il en était encore besoin après Miroirs et fumée : Neil Gaiman est bel et bien un des meilleurs nouvellistes de sa génération.