Demain, les grandes nations auront aboli les guerres et la misère. Mais à quel prix ? Gouvernés par un ordinateur géant, les hommes sont — à l'aide d'un traitement hormonal — uniformisés, privés de toute pensée originale. Dans cet univers où il n'existe que quatre prénoms différents pour chaque sexe, le jeune Li RM35M4419 hérite de son grand-père d'un étrange cadeau : un surnom, Copeau. C'est le début pour lui d'une odyssée qui l'amènera d'abord à s'accepter en tant qu'individu, puis à se révolter. Il n'est pas seul, mais lui et ses compagnons seront-ils assez forts pour lutter contre Uniord, le super-cerveau informatique de cette humanité déshumanisée ?
IRA LEVIN
Né à New York en 1929, il est l'auteur de Ces garçons qui venaient du Brésil et de Les femmes de Stepford. Un bébé pour Rosemary, son chef-d'œuvre, adapté au cinéma par Roman Polanski, a envahi le monde d'une inoubliable sensation de malaise. Comme 1984, Le meilleur des mondes ou L'oiseau d'Amérique, Un bonheur insoutenable marque d'une pierre blanche la tradition des dystopies.
Levin est un des maîtres du fantastique d'horreur avec Rosemary's Baby, mais il fut aussi l'un des premiers auteurs à fantasmer sur le clonage avec Ces garçons qui venaient du Brésil, sans oublier Les Femmes de Stepford, variation sur le thème de la robotisation des esprits et des corps qui s'annonçait avec Un bonheur insoutenable. Ce texte prend place dans la tradition de la dystopie, ou anti-utopie, comme Le meilleur des mondes (1932) ou 1984 (1948). Il s'agit cependant d'un récit original, qu'on peut relire trente ans après sa première publication sans sourire des naïvetés qu'il comporte par endroits.
Tout se passe dans un futur non précisé, les dates données ne signifiant rien pour nous. La « civilisation » a colonisé Mars et au-delà. Le calendrier de la semaine comporte un « marxdi », et on porte un « noméro » en bracelet, qui est aussi un lecteur de code permettant en particulier de pénétrer dans les endroits autorisés. L'ordinateur central (Uniord) est censé diriger le monde et les hommes. Pour éviter toute agressivité, chaque individu est médicalisé, classifié, « moutonnisé ». Le héros présente un léger défaut physique : ses deux yeux ont des couleurs différentes. Il a aussi un grand-père qui a aidé à construire Uniord, qu'il a fait visiter à notre héros. On assiste à son enfance où il se révèle un peu différent, à son « éveil » qui le voit conforté dans sa rébellion, puis à sa fuite avec son amour vers la liberté — qui s'avère bien éloignée de ce qu'il rêvait. Il retourne alors détruire Uniord : de nombreuses péripéties, du suspense, des scènes d'action...
Une originalité du récit tient au fait que les gardiens d'Uniord attendent ce type d'attaque afin de faire évoluer l'ordinateur grâce à l'apport des « rebelles ». Ce roman fut écrit à une époque où l'on s'interrogeait, avec Marcuse, pour savoir si le « système » était mis en péril par les rebelles, ou s'il se nourrissait de leur dynamisme pour se maintenir et prospérer. Une réponse est donnée ici. Et combien de jeunes et doux hippies d'alors sont devenus des tycoons des médias, de la banque ou de telle multinationale ? Cette variation sur Le meilleur des mondes est une bonne actualisation du problème, dans le contexte des années 1970. Mais il peut aussi nous interroger aujourd'hui.