Première parution : Saint-Mammès, France : Le Bélial' et Quarante-Deux, 29 octobre 2020 Traduction de Pierre-Paul DURASTANTI Illustration de Pascal BLANCHÉ
BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France), coll. Quarante-Deux Date de parution : 29 octobre 2020 Dépôt légal : octobre 2020, Achevé d'imprimer : octobre 2020 Première édition Recueil de nouvelles, 512 pages, catégorie / prix : 23,90 € ISBN : 978-2-84344-973-4 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
Co-édition avec Quarante-Deux (qui dispose de son propre ISBN : 978-2-9510042-8-3). Dépôt légal à parution. Existe aussi en numérique (ISBN : 978-2-38163-013-7, prix : 11.99 €, parution : 22 octobre 2020).
Elle décolla du quai pour grimper dans le ciel jaune terne. La Ville s’étirait dans toutes les directions. Surtout le haut. Tours gigantesques multicolores, immeubles résidentiels rotatifs, tunnels célestes qui se dépliaient et se repliaient selon la circulation. Eris s’éleva sans hâte à travers un essaim de drones. Par sa caméra ventrale, elle regardait l’upcar couleur argent qui les suivait.
« Les rues basses, j’ai dit. » La voix de l’homme recelait une note d’impatience, désormais. Du code défilait sur ses yeux. Une pellicule de transpiration bordait la naissance de ses cheveux.
« J’ai entendu. » Elle laissa leur poursuivant gagner un peu de terrain. « On ne vomit pas, à l’arrière, d’accord ? »
Rich Larson est né au Niger. Il a vécu aux états-Unis, au Canada et en Espagne, avant de s’installer à Prague. Entre ses débuts en 2011 et aujourd’hui, il a publié un roman et près de deux cents nouvelles, régulièrement reprises dans les plus prestigieux Year’s Best du domaine et saluées par plusieurs prix de lecteurs. À tout juste vingt-huit ans, il est le nouveau prodige de la science-fiction anglo-saxonne, le fer de lance d’une SF post-eganienne qui, distillant les temps présents, synthétise le plus vertigineux des futurs.
Sans équivalent en langue anglaise, élaboré avec exigence, La Fabrique des lendemains réunit vingt-huit récits d’une science-fiction proprement éclatante.
20 - Veille de Contagion à la Maison Noctambule (Contagion's Eve at the House Noctambulous, 2019), pages 345 à 370, nouvelle, trad. Pierre-Paul DURASTANTI
24 - On le rend viral (Let's Take This Viral, 2013), pages 419 à 434, nouvelle, trad. Pierre-Paul DURASTANTI
2 autres éditions de ce texte dans nooSFere : - in Futurs (TRIPTYQUE, 2020) sous le titre Quelque chose de viral - in La Fabrique des lendemains (LIVRE DE POCHE, 2023)
25 - J’ai choisi l’astéroïde pour t’enterrer (I Went to the Asteroid to Bury You, 2015), pages 437 à 441, poésie, trad. Pierre-Paul DURASTANTI
27 - Si ça se trouve, certaines de ces étoiles ont déjà disparu (Some of These Stars Might Already Be Gone, 2018), pages 455 à 459, nouvelle, trad. Pierre-Paul DURASTANTI
Qui est donc Rich Larson ? A peu près inconnu en France (quatre nouvelles seulement publiées en français dont deux au Québec), cet auteur de moins de trente ans a publié près de deux cents textes dans le monde anglosaxon depuis à peine dix ans, dont vingt-huit ont ici été sélectionnés par les 42, déjà responsables des recueils de nouvelles de Greg Egan, Ken Liu, Peter Watts et Nancy Kress aux mêmes éditions du Bélial.
Alors, de quoi parle-t-il ? On peut se douter qu’avec un tel patronage Larson écrit au cœur de la science-fiction. Ses nouvelles se situent dans un futur proche ultra-technologique, rempli de nanomachines, de modifications corporelles, de drogues et de voitures volantes. Digne héritier du cyberpunk, ses personnages utilisent la technologie de manière anodine : nous sommes plus proche du samouraï virtuel de Neal Stephenson que de la Hard SF à la Greg Egan. Remplies de technobabillage (on ne pourra qu’être impressionné par l’excellente traduction de Pierre-Paul Durastanti), les nouvelles nous immergent dans un monde singulier à la fois proche et lointain.
Pour autant ces 28 textes ne souffrent pas d’uniformité : on passe de l’Afrique à l’Espagne au Canada, de zones désertiques à des villes encombrées, du polar bladerunnerien survitaminé à une ambiance loufoque digne de Fredric Brown, de poulpes découvrant un nouveau monde à un homme retrouvant par le biais d’un vêtement intelligent la trace de sa compagne disparue lors d’une expérience scientifique. Alors certes, avec une écriture aussi imaginative que dense, on ne peut pas adhérer à tous les textes et 2 ou 3 nouvelles m’ont laissé de marbre, mais lorsqu’on entre dans ces univers, on est émerveillé devant ces constructions.
Catherine Dufour a évoqué plus d’une fois la difficulté d’écrire aujourd’hui de la science-fiction du futur proche, de peur d’être trop rapidement dépassé par la réalité. La fabrique des lendemains montre brillamment que c’est encore possible.
Dans les arts littéraires, la science-fiction est une fabrique de lendemains, avec ce pluriel qui qualifie la diversité présente plus que la quantité à venir. Se pose alors la question « Qui sort du lot ? » à laquelle Ellen Herzfeld et Dominique Martel, anthologistes de la collection « Quarante-Deux », répondent : Greg Egan hier, Ken Liu aujourd’hui, Rich Larson demain. Plus qu’un jeu de comparaisons, il s’agit de positionner un auteur sur le théâtre des opérations. Rich Larson est jeune et a l’imagination fertile, avec deux cents nouvelles publiées à 28 ans. Il est aussi quasiment inconnu chez nous. La publication du recueil La Fabrique des lendemains chez Le Bélial’ est un geste de découvreurs. L’auteur canadien écrit principalement de la science-fiction, mais ses horizons sont variés, allant de l’horreur parfois au cyberpunk souvent, sur Terre ou dans les étoiles. Il a fallu trier, choisir, pour guider le lecteur dans le foisonnement. La composition du recueil, c’est-à-dire l’agencement des nouvelles, participe au travail de mise en cohérence d’un univers qui à chaque instance gagne en ampleur, creuse plus profond le sillon. La traduction ciselée de Pierre-Paul Durastanti tisse les liens et déploie la trame.
De fait, les vingt-huit textes présentés forment un ensemble, une vision d’avenir, où les récits se suivent et se répondent, directement pour certains, thématiquement pour d’autres. Ce n’est d’ailleurs pas dans les thématiques abordées que l’on trouvera le plus d’originalité puisque celles-ci ne sont ni plus ni moins que les briques de base qui font la science-fiction d’aujourd’hui : réseaux connectés, technologies invasives, modifications génétiques et biomécaniques jusqu’à l’outrance. L’auteur nous propose un avenir sombre où la chair et le silicium font rarement bon ménage, où, comme chez Greg Egan, on livre sa conscience aux implants, où, comme chez Peter Watts, on se défonce par ennui aux virus mortels. L’originalité et la qualité de l’auteur se trouvent dans la manière. Les écrits de Rich Larson se distinguent par leur point de vue. Les récits sont à hauteur d’homme, et si les personnages évoluent dans des univers complexes, c’est à travers eux que le lecteur y accède. Tout est dans la précision des gestes, dans la qualité d’observation, dans le récit de l’humain, dans sa justesse. Lorsque Rich Larson parle d’un soldat du futur, modifié, immortel, il ne narre pas ses exploits guerriers, mais raconte l’enfant qu’il a été et les souffrances subies. S’il parle de machines ou d’intelligences artificielles, c’est par leurs interrogations face à l’intangible du monde. Le recueil aurait pu s’intituler L’humanité retrouvée. Ces textes possèdent une humanité qui souvent manque en SF. Je ne dirai pas que toutes les nouvelles se valent. Les plus courtes sont souvent les moins intéressantes. Mais il y a dans ce recueil des fulgurances bouleversantes : « Indolore », « De viande, de sel et d’étincelles », « On le rend viral ». Et que dire du magistral « Innombrables lueurs scintillantes » qui convoque le meilleur d’Adrian Tchaikovsky et de Ted Chiang ?
Le talent de Rich Larson est de nous convaincre que ce futur il ne l’a pas imaginé, mais il en a été le témoin, il l’a senti, il l’a vécu. De manière poignante. Lire La Fabrique des lendemains donne le sentiment d’assister à la naissance d’un immense auteur de SF.