L'ATALANTE
(Nantes, France), coll. La Dentelle du Cygne Date de parution : 22 octobre 2020 Dépôt légal : octobre 2020 Réédition Roman, 608 pages, catégorie / prix : 27,90 € ISBN : 979-10-360-0058-4 Format : 14,5 x 20,0 cm❌ Genre : Fantasy
L’artiste ne peut-il donc se soustraire aux exigences de la politique et aux manœuvres des puissants ? Crispin se le demande, venu de Varène à la requête de l’empereur Valerius pour orner de mosaïques son grandiose sanctuaire de la Sainte-Sagesse à la coupole vertigineuse. Pris dans les filets du couple impérial de Sarance, il est aussi soumis aux réquisitions de sa souveraine batiare, la jeune reine Gisèle en exil. C’est que de grands bouleversements sont en gésine et que nul n’échappe à la marche inexorable de l’Histoire, fût-il cet honnête mosaïste que seul anime le goût de la beauté.
Fût-il de même cet honnête médecin du Levant, Rustem de Kerakek, qui vient d’apprendre que sauver la vie du roi des rois de Bassanie ne suffit pas à assurer la fortune d’un homme : le voici envoyé vers Sarance en mission d’espionnage. Lui aussi, que seul anime le soin de ses patients, devra faire des choix, saisi dans le tourbillon des événements qui se précipitent.
Le Seigneur des empereurs est le second volet de « La mosaïque sarantine ». Méditation sur l’art et le pouvoir, sur la place des humbles comme des puissants dans la marche du monde, c’est d’abord un formidable roman de mœurs et d’aventures où les courses du grand hippodrome de la Cité rythment la ferveur populaire.
Critiques
Second volet du diptyque « La Mosaïque Sarantine », Le Seigneur des empereurs fait suite à Voile vers Sarance, chroniqué dans le Bifrost 97. Il introduit un nouveau personnage, Rustem, un médecin Bassanien envoyé espionner Sarance, et qui, comme Crispin, est un autre étranger portant un regard extérieur sur les Sarantins. Un homme ordinaire évoluant, bien contre son gré, au cœur des intrigues tissées par trois femmes exceptionnelles pour s’emparer du pouvoir ou le conserver. Kay a toujours particulièrement soigné ses personnages, tout spécialement les féminins, mais il atteint sans doute ici le sommet de son art en la matière. S’il nous place au point où le paradigme bascule, où l’Histoire prend un nouveau cours, dans les pas des souverains et autres hauts personnages, il n’en oublie pas pour autant le sort des gens modestes. D’ailleurs, les scènes de plus grande envergure ne sont pas situées à la fin du roman, mais bien avant, et la conclusion met à nouveau en lumière l’art du mosaïste et celui qui lui donne vie.
La première partie (environ 240 pages) nous fait croire que le rythme restera aussi lent que dans le premier volet ; la seconde nous détrompe, faisant s’accélérer les événements et réservant au lecteur ébahi des scènes d’une intensité dramatique absolument extraordinaire. Si Voile vers Sarance pouvait laisser penser que le diptyque pouvait relever, dans un monde imaginaire où le surnaturel est réel, d’une allégorie du règne de Justinien et de Théodora, dans l’Histoire réelle, Le Seigneur des empereurs, en revanche, donne à ces personnages, ainsi qu’à l’équivalent de Bélisaire, un destin totalement inédit. Ainsi, la remarquable précision de la reconstitution de la Byzance de l’époque, jusque dans le comportement de ses souverains ou dans des citations à peine déguisées de L’Histoire secrète de Justinien, par Procope de Césarée, est mêlée à un cours de l’Histoire différent, et bien sûr à des phénomènes magiques.
Voile vers Sarance était un bon roman pour qui connaissait déjà et appréciait Kay. Le Seigneur des empereurs est d’un tout autre niveau, hissant l’ensemble du diptyque à des hauteurs vertigineuses, dignes du meilleur de sa bibliographie (qui regorge pourtant de très grands romans de fantasy historique). On ne pourra que recommander à qui veut découvrir la prose du Canadien de s’y intéresser (même s’il devra faire preuve de patience, tant la mise en place des dominos est lente – mais leur chute ébouriffante), et on conseillera même à ceux qui ne l’apprécient pas, d’habitude, de se faire violence, tant les événements d’une certaine nuit fatidique sont contés par l’auteur de manière extraordinaire, parfaitement servis par la remarquable traduction inédite de Mikael Cabon.