FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions
(Paris, France), coll. SF n° 32 Dépôt légal : février 1998, Achevé d'imprimer : janvier 1998 Première édition Roman, 416 pages, catégorie / prix : 42 FF ISBN : 2-265-06379-7 Format : 11,0 x 17,8 cm Genre : Science-Fiction
Michel Pagel, né en 1961, a publié son premier livre à 22 ans, au Fleuve Noir. Une vingtaine de romans plus tard, il aura abordé l'anticipation, la fantasy, le fantastique, l'aventure. C'est toutes ces influences que l'on retrouve dans son space-opera "Casino perdu".
Quatre mondes en guerre. Quatre champions engagés dans une course contre la mort. Le dernier survivant apportera aux siens la suprématie totale.
Le jeu consiste à retrouver l'autre et à l'abattre. Mais pas facile de "loger" son adversaire quand les portes interplanétaires ne permettent pas de choisir sa destination, font perdre ou gagner des dizaines d'années au passage. Et si d'autres joueurs, dans un casino perdu, se mêlaient à la partie ?
Critiques
Quatre planètes : une société « normale », entre horreur économique et déglingue chimique, une autre hyper-militarisée, une troisième ultracléricale, plus des extraterrestres amiboïdes et sympathiquement lubriques. On ne peut quitter sa planète que par des rares « portes » qui mènent sur une autre, au hasard, en faisant prendre ou perdre moult années selon la destination. Ces mondes se haïssent, et ont fini par désigner quatre « champions » pour que le dernier survivant donne l'hégémonie à son groupe. Il faut une forte « suspension d'incrédulité » pour accepter ces prémices, mais ce sont les règles du jeu : il y a pire en video-game. Et elles ont le mérite de se détraquer tout de suite. Le héros, auquel il est facile de s'identifier, ne veut pas jouer. Les autres sont poussés à tricher. Il faut ajouter les manipulations de « supérieurs hiérarchiques » cyniques. Et d'autres joueurs, invisibles, dans le casino éponyme, qui manipulent discrètement tout ce petit monde. Comme l'un d'eux se met lui aussi à tricher, la machinerie pagélienne atteint un honorable niveau de complexité. Il y a de l'aventure et du suspense, aucune autorité (curés et militaires au premier chef) ne sort grandie, et ce n'est clairement pas l'apparence physique qui rapproche les gens, bref on a, sur des bases un peu approximatives, un roman à la fois efficace et sympathique. On se contenterait souvent de moins.
Chelterre, Barbarie, Céleste et Plommée, tels sont les noms des quatre planètes habitées d'un petit système solaire perdu au fin fond de l'espace. De ces quatre planètes, trois sont peuplées d'êtres humains arrivés à quelques dizaines d'années d'intervalle sur des arches d'ensemencement énormes après un voyage long de plus de mille ans. Quant à Barbarie, elle accueille les E.N.H.P — aussi appelés « pious-pious » — des extraterrestres à , la repoussante apparence — de véritables BEM, les fameux bug-eyed monsters de l'Age d'Or — dont on ne sait pas grand chose. Au cours des ans, chacune des communautés humaines en présence a développé a l'extrême le particularisme majeur des premiers colons qui constituaient l'équipage originel des vaisseaux. Ainsi Céleste est-elle une théocratie « fanatisante » et monothéiste ne jurant que par Mammet, Plommée un monde ou l'armée est la quintessence de la société, le grade l'unique et seule distinction sociale, et Chelterre une parodie de démocratie libérale, avec son inévitable quota d'exclus, de zonards.
La principale singularité de ce petit système solaire complètement paumé et oublié du reste de l'humanité, c'est un phénomène pour le moins étrange et absolument unique dans l'univers, connu sous le nom d'Achronie. Aucun scientifique n'est capable d'expliquer les causes de l'Achronie, ni même de clairement énoncer l'intégralité de ses effets. Ce que l'on sait, c'est qu'avant l'arrivée de créatures pensantes sur ces quatre mondes, les planètes en question semblaient évoluer dans une sorte de stase ou le temps n'avait plus cours. Les colonisations successives ont débloqué le processus, mais avec un décalage de temps entre chaque planète puisque les colonisations des quatre mondes n'ont pas eu lieu au même moment. Résultat : les colons ne peuvent quitter leurs mondes d'adoption sans s'exposer à un réajustement temporel inévitablement mortel équivalent à la période durant laquelle les planètes furent temporellement figées, à savoir un lapse de temps de plusieurs milliers d'années ! Jusqu'au jour où apparaissent sur Chelterre, Barbarie, Céleste et Plommée, des portes permettant de relier aléatoirement chacune de ces planètes et n'exposant donc le voyageur qu'au décalage temporel de quelques dizaines d'années existant entre celles-ci. Vous suivez ? Cela conduit inévitablement ces mondes, aux fondements éthiques radicalement différents, à se livrer une guerre larvée par espions interposés. Au bout de quelques siècles, la situation entre les quatre peuple s'étant inévitablement enlisée, l'Accord est conclu. Chaque monde désignera aléatoirement un champion dont le but sera de liquider les trois autres. Le vainqueur offrira ainsi à sa planète tutélaire la suprématie sur tout le système solaire. Ici débute l'intrigue de Casino perdu.
Michel Pagel, dont on salut le grand retour (après son roman Fantastique, Nuées Ardentesaux éditions Orion), signe avec Casino perdu un planet opera plein de rebondissements, de complots secrets et d'entités mystérieuses, dans la digne lignée d'un Jack Vance. L'intrigue, menée avec une grande maîtrise, accomplit parfaitement son office : nous faire tourner les pages sans lassitude aucune et irrésistiblement nous mener au mot « fin », après tout de même plus de 400 pages, ce qui n'est pas rien. On regrettera en revanche le peu d'épaisseur des mondes décrits qui, au-delà de quelques différences radicales et très caricaturales, tant du point de vue psychologique des habitants (les libéraux, les militaires, les prêtres et enfin les E.T., bien plus humains que les humains, naturellement...) que de l'aspect physique et géographique (ici il fait très chaud, là très froid, etc), manquent cruellement de relief. Quoiqu'il en soit, si Pagel avait pour motivation de faire œuvre de divertissement avec son Casino perdu, il y est incontestablement parvenu.
ORG Première parution : 1/4/1998 dans Bifrost 8 Mise en ligne le : 2/11/2003