1 - La Mort de Socrate (Problems of Creativeness / The Death of Socrates, 1967), pages 9 à 41, nouvelle, trad. Ronald BLUNDEN 2 - Corps (Bodies, 1971), pages 42 à 91, nouvelle, trad. Ronald BLUNDEN 3 - La Vie quotidienne sous la fin de l'Empire Romain (Everyday Life in the Later Roman Empire, 1973), pages 92 à 135, nouvelle, trad. Ronald BLUNDEN 4 - Émancipation (Emancipation: A Romance of the Times to Come, 1971), pages 136 à 173, nouvelle, trad. Ronald BLUNDEN 5 - Angoulême (Angouleme, 1971), pages 174 à 194, nouvelle, trad. Ronald BLUNDEN 6 - 334 (334, 1972), pages 195 à 310, nouvelle, trad. Ronald BLUNDEN
Critiques
La mort de Socrate
Numéro 334 de la Onzième Rue Est, c'est l'adresse de Birdie, héros de la première nouvelle de ce recueil. Le pauvre est complètement emprisonné dans les règles sociales de sélection génétique en vigueur à son époque. Il essaye d'y échapper mais ses efforts sont plus pitoyables qu'efficaces. En réfléchissant un peu, on se rend compte avec horreur que nous sommes tous un petit peu comme Birdie !
Corps
Il n'y a pas de mauvais moyens pour gagner de l'argent. L'horrifique vous attend au détour des pages habitées par Ab. Ab travaille à l'hôpital et le moins qu'on puisse dire est qu'il est peu scrupuleux ! Que fait-il des corps des morts ? Tout va bien pour lui jusqu'à ce qu'une patiente un peu plus riche que les autres décède et que l'Institut Macy réclame le corps. Quelle drôle de surprise pour ses descendants si la science tient ses promesses !
Vie quotidienne sous la fin de l'empire romain
La psychanalyse historique ! Voilà un nouvel emploi pour tous les étudiants en histoire ! Cette idée originale donne corps à un récit un peu difficile à suivre mais qui reflète une fois de plus la grande culture de l'auteur. En effet, les scènes historiques sont incorporées dans la vie de l'héroïne, de sorte qu'on est aussi surpris qu'elle de se retrouver transporté dans le passé. On retombe néanmoins sur ses pieds avec satisfaction.
Angoulême
Petit Monsieur Gros Bisou grandit. Comme tous les adolescents, il a soif d'émotions. Lui et sa bande vont donc planifier les mille et un moyens de se distraire, d'une façon très malsaine...Nous qui avons fini de grandir, nous pensons avec inquiétude à tous ces adolescents qui nous entourent !
334
Dernier texte de ce recueil, 334 rassemble des éléments des nouvelles précédentes. Le nombre 334 revient ici encore une fois et on finit par comprendre qu'il est plus central au récit qu'il n'y paraissait au premier abord... Le système de narration très original provoquera des interprétations différentes chez chaque lecteur. Il est un peu déconcertant, car l'ordre chronologique des événements n'est pas respecté. Ainsi est-il assez difficile de faire un tout avec ces tranches de vie éparses. Tout le monde s'accordera néanmoins pour dire qu'il s'agit d'une histoire assez poignante mais finalement sans grande surprise. La leçon à en tirer est sans doute que la famille reste une structure complexe dans toutes les sociétés et qu'une vieillesse agréable n'est pas pour demain ! L'anticipation psychosociologique n'est pas la facette la plus populaire de la science-fiction, mais elle est ici explorée avec toute la maestria d'un auteur confirmé.
Gommage, telle peut être la caractéristique principale de cette chronique en 6 longs textes des années 2021 à 2028, à travers les vies croisées d'une vingtaine de personnages habitant le même immeuble (au numéro 334) d'une rue de New York. Gommage des thèmes traditionnels laissés à l'arrière-plan des récits (décrépitude de la culture dans La mort de Socrate, trafic d'organes dans Corps, drogues psychotemporelles dans La vie quotidienne..., maternité masculine dans Emancipation, meurtre perpétré par des enfants dans Angoulème), gommage de la SF en tant que littérature spécifique de la métaphore et de la prospective (334, long texte final de plus de cent pages, où plus aucun indice d'anticipation sociale ou technologique ne subsiste), gommage enfin de la progression dramatique (334 encore, simple suite de notations psychologiques éclatées). A ce titre, 334 est à lire dans l'optique si bien décryptée par Barlow dans sa magistrale étude La cage de Thomas l'incrédule (Fiction 247) : celle de la « nausée » sartrienne (« Il avala une gorgée du liquide sirupeux, et ce fut comme si tous les relents viciés de l'immeuble, celui des ordures pourrissant dans les poubelles, du gras jaunissant sur les murs, du tabac froid et de la bière éventée... était revenu inonder le tréfonds de son corps avec cette unique gorgée. ») et de l'absurde camusien (« Juan, qui n'avait jamais été malheureux un seul jour de sa vie, s'était suicidé. ») Nul doute que Disch soit en train de quitter (comme, avant lui, Ballard) le terrain de la SF — mais pour le remplacer par quoi ? Aussi superbement brossée que soit sa description de la grisaille désespérante du quotidien (rendons une fois de plus hommage au traducteur Ronald Blunden), elle ennuie et laisse insatisfait. Le néant, oui. Mais l'être, là-dedans ?